La seule chose qui lui importait était l’unité nationale. Il était décidé à l’obtenir par tous les moyens. Et c’est cela qui a choqué beaucoup de militants. Il était violent, brutal, radical et expéditif dans ces décisions. Il ne savait pas “prendre de gants”. On discutait ensemble très violemment. Il disait toujours : “Messieurs, regardez et jugez”. Ainsi parlait d’Abane Ramdane à l’un des chefs du FLN et de l’ALN, Omar Ouramdane.
27 décembre 1957, 27 décembre 2006, voilà déjà 49 ans et Abane, bien qu’ignoré par certains qu’il dérange forcément les siens ne l’oublieront jamais. Comment oublier le maître à penser du FLN, l’intellectuel et le théoricien ainsi que l’homme d’action du mouvement révolutionnaire.
Abane Ramdane est né le 10 juin 1920 au village Lazouzen relevant de la commune de Larbaâ Nath Irathen. Issu d’une famille très modeste, il entame ses études à Larbaâ Nath Irathen puis à Tizi Ouzou ; il a été un écolier très doué ; il est vite remarqué pour ses bons résultats, mais aussi et déjà pour sa forte personnalité. Il a très vite pris conscience de cette société rongée par la pauvreté et la misère. Il effectue ses études secondaires au lycée Duverier de Blida où il obtient en 1941 son baccalauréat avec mention.
Ses études lui ont permis d’avoir un contact avec de jeunes algériens, de se forger une conscience politique et nationale, de penser déjà changer ce sort injuste infligé à son pays.
Il est mobilisé et affecté, avec le grade de sous-officie, dans un régiment de tirailleurs algériens à Blida. Démobilisé, il entre au PPA en 1938 et milite activement à défendre ses idées et œuvrer pour la liberté des Algériens. Il continue à diriger un réseau clandestin du parti même après la Seconde guerre mondiale.
Il est nommé secrétaire de la commune mixte de Chelghoum El Aïd, wilaya de Mila, en 1945. Fortement marqué par les massacres du 8 mai 1945, il a abandonné ses fonctions, rompt définitivement avec l’administration coloniale et reprend son combat dans la clandestinité au sein du PPA. Il devient chef local du mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en 1947.
ll est désigné, en 1948, comme chef de wilaya, d’abord dans la région de Sétif, puis dans l’Oranie. Durant cette période, il est également membre de l’organisation (OS), bras armé du Parti, chargé de préparer la Révolution. Recherché par la police coloniale dans l’affaire dite du “complot de l’OS”, (1950), il est arrêté dans l’ouest du pays, le 25 janvier de la même année, Abane a été jugé à huis clos, et condamné à la peine de six années d’emprisonnement, dix ans d’interdiction de séjour, dix ans d’interdiction des droits mentionnés en l’article 42 du code pénal, et à la peine de cinq cent mille francs d’amende.
Il a subi un long calvaire dans les prisons coloniales d’Algérie (Bougie, Barberousse, Maison Carrée). Il est transféré au début de l’année 1952 aux Beaumettes (Var) à Ensisheim (Haut Rhin, Alsace) dans une prison de haute sécurité. Soumis à un régime de détention de droit commun, extrêmement sévère. Il avait purgé sa peine, seul, dans une cellule et s’était imposé un régime de fer. Sa principale préoccupation était de dévorer des multitudes de livres et réfléchir inlassablement aux problèmes de la Révolution, de la guérilla.
C’est ainsi qu’il avait acquis une culture politique que seuls pourront égaler Mohamed Boudiaf ou encore Hocine Aït Ahmed. Tellement le régime état dur à la maison d’arrêt où il était incarcéré, il donnait du fil à retordre au directeur ; il avait fait la plus longue grève de la faim qu’on n’ait jamais vue, alors, dans les prisons françaises ; trente-six jours ! Sa santé devait toujours s’en ressentir.
C’est alors qu’il obtient gain de cause. Il est transféré en 1953 à la prison d’Albi dans le Tarn (Sud-Ouest de la France) ; il y continua à forger sa culture et sa formation politique grâce à la lecture et l’intérêt qu’il portait aux autres révolutions mondiales ; il est transféré à la prison de Maison Carrée au cours de l’été 1954.
Bénéficiant d’une remise de peine, il est libéré le 18 janvier 1955. Pendant qu’il se trouvait à Azouza, son village natal, et sur ordre de Krim Belkacem, Ouamrane le contacte et parvient à le convaincre d’entrer dans la Révolution et d’accepter de hautes responsabilités dans l’Algérois (wilaya III).
C’est donc Abane, l’homme dur, inflexible et d’une intelligence aiguë qui va assurer la direction de fait d’Alger et de l’Algérois. Son plan était d’axer toute sa lutte en fonction d’objectifs capables d’alerter ou d’émouvoir l’opinion internationale.
Il impulse la création d’El Moudjahid, le journal clandestin de la Révolution, avec Ben Youssef Ben Khedda ; l’idée de la composition de l’hymne nationale est la sienne. C’est d’ailleurs lui qui a pris attache avec le poète de la Révolution Moufdi Zakaria qui composa aussitôt Kassaman.
Abane était particulièrement au fait des conceptions et des organisations des évenements saillants qui ont conduit à la guerre de Libération. Conscient de la situation et soucieux de la réussite de la Révolution, Abane Ramdane trace les grandes lignes du mouvement révolutionnaire et organise le congrès de la Soummam. Il supervise la rédaction d’une base doctrinale destinée à compléter et à affiner les objectifs contenus dans la proclamation du 1er Novembre ; il a pu faire adopter le 20 août 1956 un statut pour l’Armée de libération nationale (ALN).
Des historiens ont noté que l’ensemble des actes de Abane ont été des actes d’organisation, de conception et d’innovation toujours plus complexes face à la détermination de l’ennemi. Son autorité n’était pas organique mais plutôt sapientiale, qui en faisait un acteur à part, un personnage dérangeant, une pureté de l’intelligence.
Abane était connu comme un fin politicien, mais son franc-parler et sa grande instruction, outre sa vision moderne de la future Algérie indépendante lui valent des inimitiés : il est alors sauvagement assassiné le 27 décembre 1957 dans une ferme proche de la ville marocaine de Tétouan. Son corps, disparu, est symboliquement rapatrié en Algérie, en 1984, pour être “inhumé” au Carré des martyrs du cimetière d’El Alia, à Alger. Abane n’est pas mort : il reste un projet de société toujours à construire. Gloire à Abane et à tous les partisans de l’Algérie libre et indépendante.
K. Fridi