Quand la nouvelle devient un genre majeur

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La nouvelle n’est pas un genre narratif réservé à un cénacle, elle plaît à tout public. C’est ce que souligne le magazine Lire. Le phénomène Gavalda en apporte la preuve. Refusé par plusieurs éditeurs, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part a été recueilli par une petite maison, Le Dilettante, avec le succès que l’on sait. En franchissant le million d’exemplaires, le recueil d’Anna Gavalda a démontré que la nouvelle n’était pas synonyme de tirage confidentiel. Prisée par les lecteurs, la nouvelle l’est également par les auteurs de tout poil. Dans un pays dont un habitant sur cinq rêves d’écrire et de publier un livre, elle est à ranger parmi les passions. D’une année à l’autre, davantage de nouvellistes sont invités aux ateliers et aux festivals en France.

Cet engouement donne l’occasion de pulvériser un poncif: les nouvellistes de langue française auraient fatalement la main moins heureuse que leurs confrères de langue russe ou anglaise. C’est oublier que la nouvelle a permis à Stendhal, Prosper Mérimée, Guy de Maupassant, Marcel Aymé, Paul Morand et tant d’autres, de manifester leur génie.

Mais il est vrai que le prestige et l’audience de la nouvelle ont subi des éclipses. Au XIXe siècle, comme le feuilleton, elle est une affaire de presse. Les journaux affectionnent les textes courts qui se lisent d’une traite. Bientôt, la mode tourne. Les éditeurs prennent le relais. Les auteurs en profitent pour bousculer les conventions. La chute, le réalisme, la mécanique du récit, deviennent facultatifs. On voit même apparaître des « novellas », une formule déjà courante dans d’autres pays, à mi-chemin entre le roman et la nouvelle.

Au tournant des années 80, la nouvelle connaît un regain quand, à la suite du vétéran Daniel Boulanger, s’affirment Georges-Olivier Châteaureynaud, Annie Saumont, Christiane Baroche, Paul Fournel, Eric Holder et Pierre Autin-Grenier. La nouvelle apporte un succès d’estime, rarement la fortune. Le triomphe de Gavalda a fait sauter le verrou. Depuis, toute une relève niche parmi des éditeurs, téméraires (Actes Sud, Buchet-Chastel, Phébus, Rivages, Joëlle Losfeld, Verdier) ou puissants (Gallimard, Le Seuil). Aînés ou cadets, confirmés ou à découvrir, français ou étrangers, quinze écrivains dévoilent pour les lecteurs de Lire les ficelles du nouvelliste.

Aux USA, Scott Fietzgerald a écrit, par exemple, plus de 160 nouvelles. Faulkner, Hemingway, Steinbeck ont également écrit des tas. En Algérie, certains recueils de nouvelles en arabe ou en français ont bien marché malgré des problèmes immenses de distribution. Mais qu’est ce qui fait que la nouvelle marche bien? Interrogés par le magazine Lire, des écrivains ont répondu. Pour William Boyd, « toutes celles qui fonctionnent, pour résumer. Plus précisément, une bonne nouvelle est une narration qui procure une charge esthétique différente, en un sens, du plaisir de la lecture d’un roman. C’est, d’une façon ou d’une autre, plus intense, plus obsédant, parce que vous lisez une histoire d’un seul trait. Une bonne nouvelle est comme une pilule multi vitaminée – pleine de bonnes choses différentes en un seul comprimé ».

Pour Péter Nádas, « sa conception varie d’un pays à un autre, voire d’un auteur à un autre. Celles qui dérivent de Boccace sont plutôt courtes, plus sensuelles qu’intellectuelles, avec des rebondissements et une chute”. Celles conçues dans la lignée de ETA. Hoffmann ou de Kleist sont plus longues, souvent fantastiques, et de caractère éthique, ce qui veut dire que les personnages maîtrisent leur destin au lieu de le subir. Celles qui s’inspirent de Maupassant traitent des rapports, souvent complexes, entre des personnages de caractères différents vivant dans un univers en réalité étriqué, mais rendu gigantesque par l’illusion et l’hypocrisie.

Mais là où l’ancêtre s’appelle Gogol et où tous les nouvellistes semblent sortir de son « manteau », c’est le hasard et l’aléatoire qui dominent: le protagoniste se réveille une nuit avec l’envie de manger des champignons à la vinaigrette – et sa vie continue comme elle était. Un autre éternue dans un théâtre et, du coup, tout change autour de lui. Dans cet univers, l’intrigue, donnée à l’avance, n’influe pas sur la destinée des personnages, ce sont ceux-ci qui atteignent des proportions fantastiques ». Pour Kirsty Gunn, « c’est un texte qui délivre, de façon parfaite, une ambiance, une sensibilité – pas un mot n’est à ôter! – à travers une petite narration, et forme un monde entier. Je pense notamment au tout début de The Garden Party de Katherine Mansfield : « In the morning, the chairs came… » ». Véronique Bizot se confie aussi : »je ne sais absolument pas ce qu’est une nouvelle réussie – je parle évidemment comme lectrice, qui en plus n’adore pas en lire. Je peux simplement dire que j’ai aimé la lire ou pas. Je pourrais éventuellement penser qu’une nouvelle réussie est une nouvelle dont on voudrait bien qu’elle soit un roman, c’est-à-dire qu’on est frustré quand ça s’arrête. C’est bien aussi quand elle ne vous échappe pas immédiatement après la lecture, ce qui suppose peut-être que cette nouvelle a mis en place un univers ». Pour Hélène Lenoir, « ce qui est important, c’est la manière de traiter le sujet, de l’aborder ».

Pour Eric Holder, « c’est un récit dégraissé comme chez Hemingway ». Pour Georges-Olivier Châteaureynaud, c’est une autre écriture. « J’ai cherché à simplifier, à être plus efficace au fil des années, sans effet de manches ni de biceps. Les auteurs sont des mécanos qui ont les mains dans le cambouis », dit-il.

« La nouvelle se construit entre auteur et lecteur, il faut retirer tout ce que le lecteur pourrait mettre à la place de l’auteur. Une nouvelle se rétrécit toujours. Il y a quelque temps, j’avais une idée. Je me suis dit, tiens, ça va faire un roman. Et puis, je me suis mise à écrire. Au bout de neuf pages, j’avais fini », fait remarquer Annie Saumot. Quant à Dominique Barbéris, elle parle de concentration de mots.

« Une bonne nouvelle, c’est un texte qui contient en quelques pages le concentré d’un univers. C’est moins de l’ordre de la rapidité, de la surprise, que de la concentration. Il doit y avoir quelque chose d’enveloppé, d’allusif, d’aigu qui se prolonge en vous comme la sonorité d’une note. Je rapprocherais la nouvelle du genre poétique. C’est souvent en lisant des nouvelles de grands romanciers comme Thomas Hardy, D. H. Lawrence, ou Faulkner, qu’on a l’impression de toucher à l’essence de leur vision », analyse-t-elle. « La nouvelle doit être une figure géométrique parfaite. Tout est dans l’ellipse, le mouvement puis la chute. La nouvelle est comme un portrait, une esquisse et le lecteur en a une vision fugitive », rappelle Pascal Gautier. De son côté, Adam Haslett met en exergue l’émotion.

« Comme n’importe quel texte, une bonne nouvelle vous touche émotionnellement et vous stimule intellectuellement.

Les meilleures histoires le font. Elles mettent en mots des états jusque-là inachevés ou indistincts pour les rendre accessibles à l’intellect du lecteur ». Fabrice Pataut rappelle le métier d’Edgar Poe que Baudelaire avait traduit en français.

« Une bonne nouvelle est une nouvelle dont on sait qu’on la redécouvrira entièrement à la prochaine lecture. La nouvelle parfaite est celle que nous lirions dans ce but un nombre infini de fois si la possibilité nous en était offerte. Exemple : Double assassinat dans la rue Morgue d’Edgar A. Poe », estime-t-il.

En Algérie, Tahar Djaout, Rachid Mimouni, Chalal, Mammeri, Benhadouga avaient écrit de bonnes nouvelles.

Farid Ait Mansour

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