“Le Tunnel”, ou les mirages de la vie

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Ernesto Sabato est l’un des plus immenses écrivains de tout les temps. Né en Argentine en 1911. Après avoir fait des études scientifiques et philosophiques, il obtient son doctorat de physique à l’université de La Palata, dans son pays natal. Il séjourne deux années dans le Paris d’ avant-guerre où il rencontre les surréalistes. La ville-lumière l’envoûte et l’incruste de plus en plus dans le jardin magique des mots et dans la peinture qui est une autre forme d’expression artistique pour lui. De retour en Argentine, il continuera de mener des travaux sur la relativité avant d’écrire en 1948 son premier roman, le Tunnel. Viendront ensuite Alejandra, puis l’Ange des ténèbres, qui constituent une grande trilogie romanesque. Sabato est aussi l’un des tous premiers écrivains sud-américains contemporains. C’est un auteur prolifique qui inspire beaucoup d’écrivains.

Le Tunnel a été salué comme un chef-d’œuvre par Thomas Mann, Albert Camus et tant de grands hommes de la littérature. Ecrite en espagnol, cette pièce-maîtresse, ne tarde pas à être traduite dans plusieurs langues et devenir l’objet d’étude de moult universitaires. Cette fiction, raconte l’histoire du peintre Juan Pablo Castel qui parle de son crime à partir de la prison. Dans sa sombe cellule, il se souvient de son crime. Il a tué sa bien-aimée Maria Iribarne, sa maîtresse. Castel était amoureux d’une femme mariée. Ce n’était pas un amour impossible puisqu’il a eu une liaison particulière avec elle. Maria est une très belle femme, personne ne peut être indifférant face à sa beauté édénique. Elle partage des moments de joie avec son amant le peintre. Mariée à un aveugle, la femme enchanteresse, prend un deuxième amant et envoie son ami artiste au diable. Cependant elle laisse, toujours, à son compagnon le songe de la chérir et de la rechercher comme un fou.

Le lecteur connaît la fin de l’histoire dès le début du roman, car l’auteur divulgue le bout du fil ; c’est un crime à l’encontre d’une personne très chère. Mais le substantiel du texte, très bien écrit, se situe dans le processus des événements et dans la philosophie du romancier. En effet Sabato ne se contente pas de raconter une histoire mais il exprime sa lucidité et sa façon de voir le monde et l’existence.

« Que le monde soit horrible, c’est une vérité qui se passe de démonstration. En tout cas, il suffirait d’un fait pour le prouver : dans un camp de concentration, un ex-pianiste se plaignait de faim ; alors on l’a forcé de manger un rat, mais vivant. », peut-on lire à la deuxième page.

Le célèbre peintre tente de comprendre sa vie et les incommensurables entraves qui l’éloignent, démesurément, du bonheur. Il fait appel à sa raison et propose des probabilités. Mais, souvent, l’absurde lui brouille les pistes et le laisse impuissant, comme l’illustre parfaitement ce passage :

« En tout cas il n’y avait qu’un tunnel, obscur et solitaire : le mien, le tunnel où j’avais passé mon enfance, ma jeunesse, toute ma vie. Et dans un de ces passages transparents du mur de pierre j’avais vu cette jeune femme et j’avais cru naïvement qu’elle avançait dans un autre tunnel parallèle au mien, alors qu’en réalité elle appartenait au vaste monde, au monde sans limites de ceux qui ne vivent pas dans des tunnels. Et peut-être s’était-elle approchée par curiosité d’une de mes étranges fenêtres et avait-elle entrevu le spectacle de mon irrémédiable solitude, ou peut-être avait-elle été intriguée par le langage muet, l’énigme de mon tableau. Et alors, tandis que je continuais à avancer dans mon étroit couloir, elle vivait au-dehors sa vie normale, la vie agitée que mènent ces gens qui vivent au-dehors, cette vie curieuse et absurde où il y a des bals, et des fêtes, et de l’allégresse, et de la frivolité. Et parfois il arrivait que, lorsque je passais devant une de mes fenêtres, elle fût là à m’attendre, muette et anxieuse (pourquoi m’attendait-elle? et pourquoi muette et anxieuse?); mais parfois il lui arrivait de ne pas arriver à temps ou d’oublier ce pauvre être emprisonné et alors, le visage écrasé contre le mur de verre, je la voyais au loin, insouciante, sourire ou danser, ou encore, ce qui était pire, je ne la voyais nulle part et l’imaginais en des endroits interdits ou infâmes. Et je sentais alors que mon destin était infiniment plus solitaire que je ne l’avais imaginé. »

Pablo se pose des questions du fond de sa solitude et de sa déchéance. Il se souvient de la femme qu’il aime, de l’unique admiratrice qui a adoré sa peinture. Peut-être que c’est la seule personne qui a vraiment pu décrypter les mystères de l’un de ses tableaux : une petite fenêtre, une plage solitaire et une femme regardant la mer, comme si elle attendait quelque chose ou quelque appel affaibli par la distance. Pour le narrateur, cette scène, « suggérait une solitude anxieuse et absolue. »

Dans son style accessible, Ernesto Sabato réussit une superbe œuvre, un court roman très bien élaboré. A l’instar des écrits universels, Le Tunnel s’intéresse aux choses de la vie ; les plus simples et les plus compliquées. c’est un voyage dans le fond de l’humain. C’est aussi un espace fertile où les problématiques de tous les temps, comme l’absurde sont mises en exergue. Ce beau roman ou ce récit, comme le préfèrent certains critiques, est un livre fort intéressant disponible dans les collections des éditions du Seuil en France est partout dans le monde. En Algérie c’est un livre introuvable chez les libraires d’Alger ou ailleurs.

Yasmine Chérifi

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