La culture, cette Déesse inconnue

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Imaginons un peu “Alger capitale de la culture arabe” ! Nous devrions alors nous imprégner de la dérision noire de Beckett ou des satires de Matoub pour arriver à avaler sans vergogne ce « grand événement »…

Certains pensent que la culture se résume aux sept arts majeurs. Ce qui serait plus ou moins rassurant au sujet de cette année 2007, durant laquelle Alger va refléter l’image de la culture arabe… Mais pour refléter, il faudrait quand même un miroir net et transparent ! Cependant, depuis une dizaine d’années (ou de siècles ; allez savoir !), l’Algérie a cessé de refléter quoi que ce soit au monde extérieur sinon, peut-être, le sombre miroitement du pétrole et du sang !

Cela dit, la culture est finalement tout cet ensemble gigantesque qui compose la mosaïque d’une ville. Alger, quant à elle, se débrouille très péniblement depuis 1962 pour être la capitale de l’Algérie. De là à devenir la capitale de la culture arabe, la plus riche et la plus ancienne… il ne faut quand même pas se voiler la face !

Imaginons par exemple un spectacle du groupe  » Karakalla  » (célèbre groupe libanais de danse sfolkloriques arabes)… Le public algérien qui aime bien la danse sera là pour faire le plein et puis, bonjour l’ambiance ! Les membres du groupe dansent comme l’écrivain manie sa plume, comme le peintre son pinceau et le musicien son instrument. Mais chez nous, la danse, c’est avant tout cette frénésie du corps trop étouffé par le quotidien, ce déchaînement incontrôlable des vieilles frustrations et du mal-être permanent qui retrouve dans la danse un moyen de s’extérioriser, de s’exorciser… Oui, certainement, la danse est une « videuse d’angoisses » mais c’est aussi un Art, une expression de divers états d’âme qui suscite, comme la musique et les romans, réflexion et méditation… Néanmoins, on pourrait facilement deviner la réaction du public algérien devant ces danseurs habiles et fiévreux en train de parler leur langage ; un langage dont le public ne verra certainement que les souples mouvements du corps et la musique orientale qui les enflamme…

Parlons aussi des conférences littéraires qui se tiennent à la Bibliothèque nationale… Qui est présent là-bas ? D’abord, le conférencier (oui, il faut le citer puisque c’est toujours probable qu’il ne vienne pas !), Amine Zaoui pour prononcer son allocution classique, et puis il y a le public ; une vingtaine de personnes en tout ! Qui sont-ils ? Journalistes, hommes de lettres et critiques (pour peu qu’il y en ait !). On trouvera rarement des étudiants, des femmes au foyer curieuses, des hommes d’affaires, etc !

Où est donc le public ? Pas trop pénible comme devinette ! Le public est là-bas, dans les rues, dans les bureaux, dans les maisons… Trop de soucis, trop de problèmes à résoudre, beaucoup d’autres à inventer… Peut-on leur en vouloir ? Un grand philosophe affirmait qu’un peuple ne trouvant pas de quoi remplir son ventre ne saura jamais remplir sa tête ! Notre cher peuple algérien trouve bien souvent de quoi assouvir sa faim mais ce qui pose problème, c’est que la bouffe n’est plus celle que le dictionnaire définit mais c’est devenu un concept… Les Algériens vivent pour bouffer et non le contraire ! Ce qui fait qu’au mot culture, l’Algérien moyen répond du tac au tac : « Temps perdu » !

On doit reconnaître qu’en dehors du « faible » qu’ont les Algériens pour la culture, il y a ce qu’on appelle l’organisation ! Il n’est pas nécessaire d’en parler beaucoup, en fait ! Depuis très longtemps, depuis toujours même, les Algériens sont connus pour leur allergie à ce mot ! Il n’y avait qu’à voir la conférence de Nassir A’Chamma (luthiste Irakien) à la Bibliothèque nationale… Comme à l’accoutumée, les baffles de la Salle bleue décidèrent de faire leur petit numéro de vieilles enrhumées, les journalistes et hommes de lettres de poser leurs questions les plus brillamment banales, sans oublier bien sûr la présence inévitable des portables qu’on a pris soin de ne pas mettre en mode silencieux, et enfin les petites discussions de marge entre les spectateurs… Ce qui rendait la douce voix féerique de M. Nassir presque inaudible…

Ce n’est qu’un exemple et il y en aura d’autres, beaucoup même…

Ce n’est pas pour dire que l’Algérie n’est pas faite pour accueillir ce genre d’événement mais il faut admettre simplement qu’un étranger vivant aux Etats-Unis, ne maîtrisant pas encore parfaitement l’anglais ne pourra assumer la responsabilité de donner une conférence dans la langue de Shakespeare ! C’est ça l’Algérie : la culture y demeure une langue étrangère. Il faudrait d’abord la maîtriser pour, ensuite, l’exercer devant les autres !

Bon spectacle à tous, quand même !

Sarah Haidar

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