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Au-delà du corporatisme

“Savoir où aller, c’est bien. Encore faut-il montrer qu’on y va», disait Zola. Les tergiversations et la confusion obérant le dossier de l’enseignement technique depuis le premier semestre de l’année scolaire ne sont pas faites pour rassurer les différents acteurs intervenant dans ce domaine. Les remous que connaît la filière technique depuis quelques semaines nous renvoient l’image d’une déliquescence du secteur de l’enseignement qui n’a certainement rien de surfait. En faisant ballotter cette filière entre l’enseignement général et la formation professionnelle, l’on ne doit certainement pas s’étonner de voir le corps des enseignants et même les élèves gagnés par le sentiment d’angoisse devant tant d’inconstance et de navigation à vue de la part de l’administration en charge du secteur. À la vue de ce qui se passe dans l’enseignement technique, l’on ne peut qu’être désappointé et remué par la nostalgie des anciens lycées techniques, tel le prestigieux lycée de Dellys qui a pris en charge la formation de toute l’élite issue des collèges du Centre du pays et particulièrement de la Kabylie. L’ancien militant de l’amazighité, Mohamed Haroun, y a accompli brillamment son cursus avec, en prime, une activité débordante en faveur de la culture berbère. Les bacheliers qui sortaient de ce genre d’établissement se destinaient à la prestigieuse École polytechnique, à l’École des Ponts et Chaussées de Paris, aux instituts pétrolochimiques de Boumerdès (pour remplacer le personnel français dans le Sud algérien après la crise entre Alger et Paris qui suivit la nationalisation des hydrocarbures) et aux différents établissements de génie mécanique, de l’industrie chimique,…etc. Hélas, la gestion rentière de l’économie et le ravalement de l’école algérienne en une ‘’usine’’ de production de chômeurs suite à la politique d’arabisation intempestive (feu Mostefa Lacheraf a été éjecté de son poste de ministre de l’Éducation en 1979 pour avoir voulu apporter des réformes à ce secteur), ont mis fin à tous les espoirs de voir s’établir une tradition de l’enseignement technique en Algérie qui aurait pu faire face aux besoins de la nouvelle économie dans laquelle s’est engagé notre pays.

Même si aucun secteur de l’administration ou de l’économie algériennes n’échappe au malaise inhérent aux grandes mutations sociales du pays et à la difficile période de transition politique et économique, le département de Boubekeur Benbouzid semble ravir la vedette de la contestation depuis au moins ces trois dernières années. Parmi les mouvements sociaux qui réclament une attention particulière- même si des secteurs comme les Douanes, les ports et la production pétrolière conditionnent la vie quotidienne des Algériens-, celui de l’Éducation est, en principe, à prendre avec tout le sérieux et l’esprit de responsabilité qu’exige la situation. Car, on l’a vécu à plusieurs reprises, la situation de blocage qui, souvent en découle, se transforme à chaque fois en une sorte de chantage et même de prise en otage des élèves.

Le bras de fer a sans doute assez duré et la décomposition du terrain des luttes est suffisamment avancée pour que le département de tutelle accorde toute l’attention voulue à un conflit cyclique qui nous jette à la figure toutes nos incapacités à imaginer sérieusement l’avenir des générations qui sont actuellement sur les bancs de l’école ou qui y accèdent chaque année.

L’on doit aussi reconnaître que, s’agissant spécifiquement de l’enseignement technique, le problème ne se pose pas en termes de tutelle qui doit être désignée pour gérer cette filière de l’enseignement. Quel que soit le département ministériel qui la prendra en charge, l’honnêteté et la bonne volonté des enseignants grévistes se mesureront à l’aune de leur engagement sur le terrain à assurer une bonne formation qui réponde aux nouveaux besoins immenses de l’économie nationale ; elles seront aussi appréciées sur la base de la nature des revendications qui devraient englober les moyens matériels, l’outil didactique et les programmes d’enseignement.

Quels que soient le suivi et l’ampleur de la grève initiée par le personnel de l’enseignement technique, ce mouvement offre une occasion, encore une, pour les autorités du pays de prendre le taureau par les cornes pour peu que la volonté affichée par le président de la République au début de son premier mandat- au cours duquel il avait installé une commission spéciale pour les réformes dans le secteur de l’éducation sous la conduite du Pr Benzagou- soit traduite sur le terrain. L’administration ne peut juger, soupeser ou apprécier la bonne volonté des syndicats qui se mobilisent pour des droits sociaux et l’amélioration des conditions d’exercice de leur métier que sur la base de relations contractuelles. L’obligation des résultats- d’après des objectifs collégialement arrêtés- pour tous les acteurs du monde de l’Éducation demeure la clef de voûte de toute forme de négociations entre les pouvoirs publics et les intervenants sur le terrain (enseignants ou représentants syndicaux), en dehors de toute surenchère farfelue ou de corporatisme de mauvais aloi.

Amar Naït Messaoud

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