La magie des mots

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l Certains artistes ont la gloire de leur vivant. Si Moh, le grand chanteur kabyle, est l’un de ces génies, de ces légendes vivantes. Son premier coup d’essai était un coup de maître. Des centaines de milliers de fans l’écoutent et s’enivrent de la magie de ses mots.

Auteur-compositeur et interprète de ses chansons Si Moh est incontestablement l’un des plus grands chanteurs kabyles. En 1985, une cassette marque sa présence chez les disquaires de Kabylie et d’ailleurs. Sur la pochette, un très beau dessin où la réalité et la fiction se conjuguent harmonieusement. Le large public ne pourra pas découvrir cette merveille que des années plus tard. Peut-être qu’une œuvre grandiose n’est guère appréciée, à sa juste valeur, qu’avec le temps. Mais pour les drogués de l’ art le long voyage avait bel et bien débuté. D’ un style musical différent et original, l’ album représente une révolution. Avec six titres qui sont : urgagh (j’ai rêvé), swigh ( j’ai bu), hemlegh (j’aime), ditargit (dans mes rêves), khas aloudh (l’identité) et madinidh (tes mots), c’est un Jacques Brel kabyle qui venait de naître.

Si Moh réussit de mettre au grand jour un chef-d’oeuvre. Et dire que se n ‘était qu ‘un premier pas. Au début, l’auteur de imettawen (les larmes ) chantait uniquement pour lui, mais le temps n’a pas tardé à avoir raison de son ermite. Pour ceux qui n’ont pas la chance de l’écouter ou plutôt de le comprendre la langue de Si Muhend Umhend, voici ces petits extraits :

« Si tu penses que je t’ai oubliée

Sache que tu as tort

Ma passion n ‘est guère déconcertée

Mon amour est encore vivace

La souffrance de mon coeur est toujours à son paroxysme

Et tu ne cesses de me pousser vers le non retour… » Ou encore :

« Le temps passe

Tout est obscur

Parfois je pense que tu n ‘es qu’ un néant

Loin de tout

Mon rêve s’éloigne, démesurément ».

Ces mots sont magiques, les abysses poétiques se mélangent avec les flots des mélodies, et l’ivresse se réinvente sans cesse. Cette première cassette continue de faire du bruit plus de vingt ans après sa parution.

« Un jeune homme avait acheté six exemplaires de l’œuvre en question. Un autre a enregistré la chanson “swigh” six fois sur le même CD », nous avoue Salim,un fan du barde, pour dire à quel point peut mener la magie des mots. Grosso modo, nous pensons que le travail artistique de Si Moh est passé par deux périodes distinctes. La première halte englobe, surtout, des textes d’amour où la douceur et la spontanéité se regroupent d’une manière exquise. Cela se confirme dans la première œuvre.

La deuxième halte débute à partir de ilik (Il faut être) ; c’est-à-dire à partir de la troisième cassette, qui est sortie en 1995, à l’époque où la barbarie semait la terreur dans notre pays. L’humaniste n’est pas resté indifférant devant les souffrances des ses concitoyens. Il témoigne et tente de comprendre toutes les dérives qui se succèdent atrocement. A partir de là, d’autres thèmes sont abordés, comme le terrorisme et d’autres problèmes de la société. Bien que les chansons soient d’une valeur indéniable, les mots n’arrivent plus à être comme ceux des premiers jalons. Faute d’inspiration, ou c’est l’âge qui oblige les nouvelles orientations. Léo Ferré disait : « Avec le temps va, tout s’en va », a-t-il tort? Peut-on échapper à une telle règle ?

Pour la musique et les mélodies, c’est comme au bon vieux temps, la guitare du fils de la Kabylie envoûte encore. En tout cas, chacun peut avoir ses propres visions des choses. Ce qui semble sûr, c’est que le nom de Si Moh est gravé à jamais dans une mémoire indélébile. Il a le grand mérite de créer, d’être original et de bercer les générations passées et celles à venir.

Yasmine Chérifi

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