Les mécanismes de la corruption

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Après une journée de repos bien méritée, Fête de l’Achoura oblige, le feuilleton du procès de l’affaire Khalifa a repris, hier, de plus bel, ses audiences au tribunal criminel près la cour de Blida, avec l’audition de Ahmed Sigmi, adjoint de Aziz Djamel, directeur l’agence bancaire de Khalifa Bank d’El Harrach. Cité en tant que témoin, Sigmi cite, d’emblée, les noms de entreprises qu’il avait contactées pour faire un placement de leurs fonds dans l’agence d’El Harrach. Il s’agit de BCR, ENAP, la bourse d’Alger, COSOB, CAGEX et CCR. La présidente du tribunal tente de savoir quels sont les avantages octroyés à ces entreprises. Sigmi se limite à dire les taux d’intérêt appliqués dans un cadre commercial. Mais la juge lui fait rappeler que des responsables des mêmes sociétés avaient bénéficié de cartes de gratuités thalasso et de voyages. A la question de savoir si des gens venaient chercher de l’argent en dehors de convoyeurs de fonds, le témoin répète que cela n’était pas de son domaine. «Quel était le taux d’intérêt appliqué ?», demande la magistrate. Selon lui, il était de l’ordre de 12 %. Mme Brahimi intervient pour donner le véritable taux qui était de 14 %. S’agissant de l’établissement de la liste de 39 personnes ayant bénéficié de cartes de gratuité thalasso, Sigmi avoue n’avoir affaire qu’avec les grands clients qui disposaient de grands montants.

Enrichissement illicite

La magistrate lui demande de s’expliquer sur le mode de placement de ces entreprises de leurs fonds. L’adjoint directeur de l’agence d’El Harrach révèle qu’ils procédaient à l’ouverture de deux comptes, l’un de placement et l’autre courant. D’après lui, les intérêts ont été versés sur le compte courant personnel du responsable de l’entreprise.

Il note que c’était le P-dg qui avait signé la convention de sponsoring entre l’agence d’El Harrach et le centre de thalassothérapie de Sidi Fredj. Le procureur général intervient pour lui de demande de savoir si le directeur de ladite agence pouvait signer la convention en question. «C’est possible si le P-dg le charge de négocier au nom du groupe», estime-t-il. Le représentant du ministère public vent savoir comment il avait pu savoir que des entreprises avaient de l’argent. Sigmi répond que cela rentrait le cadre du travail «normal» de la banque qui devait avoir un «porte-feuille clients». «Le taux d’intérêt sur la convention n’était pas celui appliqué sur le terrain», lui fait remarquer le procureur. «C’est impossible», lâche le témoin, comme ahuri. Il tente de comprendre pourquoi les entreprises venaient placer leur argent dans la banque Khalifa. Sigmi Ahmed répond que la banque Khalifa connaissait une expansion. Voulant tester les connaissances du témoin, le procureur lui demande d’expliquer ce qu’est une banqueroute dans une allusion au taux d’intérêt, inconcevable selon lui, que la banque Khalifa offrait aux clients et aux demandeurs de crédits. «Je ne sais pas ce qu’est une banqueroute», réplique Sigmi. Avait-il bénéficié d’une carte Mastercard ? Négatif, dit l’adjoint du directeur d’El Harrach. Interrogé sur l’identité de celui qui l’avait chargé de faire ce travail. Sigmi avance le nom de son directeur hiérarchique, Aziz Djamel. La présidente de l’audience reprend la parole pour savoir s’il était l’intermédiaire entre les entreprises et l’agence d’El Harrach, puisqu’il avoue avoir travaillé dans les banques à l’instar de la BEA, BNA, et la CNMA. Le témoin objecte et dit ne pas avoir été choisi comme intermédiaire. A une des question de maître Meziane, relative à sa relation avec l’exploitation dans l’agence d’El Harrach, le témoin insiste qu’il n’avait aucune relation avec ce service. «Et c’est pourtant lui le directeur-adjoint», constate Mme Brahimi. Il soutient n’avoir jamais démarché auprès des entreprises privées, si ce n’est avec des personnes physiques qui venaient pour le placement de leur argent. Maître Berghel lui demande si des responsables d’entreprises s’approchaient de lui pour demander des cartes de gratuité Thalasso. «Non. Je n’avais jamais entendu quelqu’un me le demander», reconnaît-il. Savait-t-il quelque chose au sujet de la facture envoyée par la direction du centre de thalassothérapie de Sidi Fredj à la banque Khalifa pour l’honorer ?. Sigmi dit ne pas se rappeler d’un tel fait. Un autre avocat lui demande si le P-dg de l’ENAO venait à l’agence d’El Harrach. Ce que le témoin a infirmé. A ce moment, le représentant du parquet reprend la parole pour lui demandersa position en cas de l’absence de son directeur. «Un responsable de Khalifa Bank ou Khalifa Construction vient, en fin de journée, vous demander de lui remettre de l’argent. Est-ce que vous l’auriez fait ?», questionne-t-il. «Je ne peux pas répondre à sa place. Je ne suis pas exploitant. Ce n’est pas mon argent», cafouille le témoin. Acculé par les interrogations, Sigmi lâche qu’il devait “me ramener un bout de papier”. Ce dernier dit ne pas connaître Djamel Zerrouk, directeur financier de Khalifa Airways.

Les méchouis de Khalifa

Le tribunal fait appel à Aziz Djamel. Mme Brahimi l’interroge au sujet de la réception à laquelle avaient pris part Moumen Khalifa, Namouche et Kebbache Ghazi. Il dit ne pas se souvenir du montant de cette réception tenue à l’occasion de l’extension de l’agence d’El Harrach, mais affirme toutefois, en dépit de son opiniâtreté stérile, que ce montant avait été payé «en haut». De son côté, Reda Abdelwahab, debout à la barre, raconte qu’il y avait «deux méchouis», autour desquels s’étaient réunis une vingtaine de personnes. Après, la cour fait appel à Salim Larbi, pour s’expliquer devant le tribunal en qualité d’accusé. Ancien stewart à Air Algérie avec un salaire de 28 000 DA, entre 1993 et 1999, il avait rejoint Khalifa Airways en mai 1999 pour une paie de 30 000 DA et 1500 francs français comme frais de mission. Il dit avoir bénéficié d’un prêt de 150 millions de centimes en accostant personnellement le P-dg, Moumen Khalifa, dans un avion en partance vers la France. Salim Larbi indique que celui-ci lui a remis un papier et l’avait orienté vers l’agence d’El Harrach. Une fois sur place, l’accusé révèle qu’il a eu cette somme en l’espace de trois quarts d’heures. Plus ahurissant, il affirme mordicus qu’il n’a eu à signer aucun engagement ou document en dépit du fait que la loi stipule que l’accès au crédit imposait au demandeur de présenter des garanties.

Des crédits sans garanties…

Salim Larbi dit également avoir bénéficié d’un prêt de l’ordre de 450 000 DA en septembre 2001. La juge intervient pour lui demander si le directeur de l’agence était au courant. «Non», répond-il. A la question de savoir s’il s’était inquiété pour le remboursement du crédit, l’inculpé rappelle sans répondre à la sollicitation de la juge, qu’il a été orienté vers Djamel Zerrouk, directeur financier à Khalifa Airways. La juge lui demande qu’elles étaient les conditions de remboursement du prêt. Il affirme qu’un prélèvement de 5 000 DA par mois était effectué sur son compte. Au cours de la séance de l’après-midi, la cour a fait appel à Nordine Dahmane, directeur général de la compagnie Khalifa Airways. Selon ses dires, il avait bénéficié d’un prêt de 250 millions de centimes. Mais, la magistrate lui fait savoir qu’il n’y a aucun document qui prouve que c’était un prêt comme il le soutient. «Vous avez dit au juge d’instruction que vous aviez reçu une somme d’argent comme un don que vous n’aviez ni justifié, ni remboursé», raconte la juge. «Je n’avais jamais nié ça, mais il y a des traces de l’argent», se défend l’inculpé. Voulant l’épingler, la juge lui lance cette réflexion : «Pour avoir un prêt à la CNEP, comment aviez-vous fait ?». «C’est tout un dossier. J’ai hypothéqué la maison familiale», répond Larbi. «Est-ce que vous êtes posé des questions sur la facilité déconcertante avec laquelle la banque Khalifa octroyait des prêts contrairement à la CNEP ?», interroge Mme Brahmi. L’accusé tente de se justifier en déclarant que les formalités devaient se faire entre la direction des ressources humaines de Khalifa Airways et l’agence d’El Harrach.

Opulence ostentatoire

Un autre accusé a été cité à la barre. Il s’agit de Yacine Ahmed, ancien directeur général de Digromed, société national qui intervenait dans la distribution en gros des médicaments. Il est poursuivi, selon l’arrêt de renvoi, pour les chefs d’inculpation d’association de malfaiteurs, d’abus de confiance et de vol. C’est durant son mandat que Digromed a fait le placement en date du 17 septembre 2001 de 327 millions DA dans la banque d’El Khalifa. Il motive sa décision par la conjoncture peu reluisante que vivait ladite entreprise, laquelle, à en croire ses propos, avait tout ses comptes bloqués au Crédit populaire d’Algérie. «Nous étions dans l’impasse», relate-t-il avant d‘indiquer qu’il avait chargé ses services de faire une prospection des banques algériennes qui offraient à cette époque des taux d’intérêts importants. Interrogé sur le montant retiré de la banque Khalifa, Yacine Ahmed soutient avoir fait la retrait de 204 millions au profit de la trésorerie de Digromed. Par ailleurs, la présidente de l’audience s’est attardée sur les biens dont l’inculpé disposait en Algérie et en France. Selon la déclaration de l’accusé, celui-ci avait un appartement et une villa à Alger qu’il louait à des particuliers. Le procureur lui rappelle qu’il a un appartement dans la banlieue parisienne. De son côté, Yacine Ahmed récuse ce fait et dit que ce bien est celui de sa seconde épouse établie à l’étranger. Il était actionnaire dans une compagnie nommée «Savilor Airways», dans laquelle il y avait 8 avions et 3 hélicoptères, loués au ministère de l’Agriculture dans la cadre de la campagne de lutte contre le criquet pèlerin. L’accusé reconnaît avoir effectué deux conventions de formation des cadres commerciaux de son entreprise à la banque Khalifa et Khalifa Airways. Chaque convention est dotée de 1,4 million DA. La juge lui fait savoir qu’il avait bénéficié d’une carte de voyage gratuite. Le DG de Digromed nie avoir eu cette carte en estimant qu’il a eu des réductions de 50 % sur les voyages dans le cadre des déplacements des formateurs vers Oran et Constantine.

Hocine Lamriben

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