Sidi Saïd dans de mauvais draps

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Le tribunal criminel près la cour de Blida est passé à la vitesse supérieure dans l’affaire du scandale Khalifa, en auditionnant les responsables des différentes Caisses nationales, lesquelles avaient pris la décision malheureuse de mettre leurs avoirs dans la banque en cause. Après ceux du la Caisse nationale des retraités (CNR), c’était jeudi au tour des aux gestionnaires de la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNAS) d’être cité à la barre. Le premier à défiler devant le tribunal est Abdelmadjid Bennaceur, Président directeur général de la CNAS, depuis 2000, accusé de corruption et d’abus d’influence. D’emblée, il affirme que sa mission se limitait au recouvrement des cotisations et au paiement des prestations des travailleurs salariés. L’argent de la caisse provient, selon lui, de la quote-part des travailleurs et de l’employeur à raison de 34.5 % chacun. Bennaceur dira que les avoirs de la CNAS étaient déposés au Trésor public à la BEA, BNA, CNEP et CCP. En tant que P-DG de la CNAS, il dit ne pas être habilité à prendre de décision en dehors du Conseil d’administration (CA). L’accusé explique que le CA est composé de 29 membres :18 représentants de l’UGTA, 2 de la Fonction publique, deux représentants syndicaux et 7 membres issus des organisations patronales. La juge lui demande quel est le statut juridique de la CNAS. Bennaceur : « Cest un établissement public à gestion spécifique ». La présidente fera remarquer que ce n’est donc pas une entreprise économique. Le P-DG de la CNAS avoue que les placements de la caisse, estimés à 10 milliards DA, ont été effectués selon la résolution du 12 février 2002 signé par Sidi Saïd, alors président du CA et actuel patron de la Centrale syndicale. La juge lui demande s’il a pris cette décision sur demande du Conseil d’administration. Bennaceur tente d’éviter la question.

« Il n’y pas eu de CA le 12 février 2001 »

Mme Brahimi revient à la charge : « La réunion a-t-elle eu lieu ? ». « Je n’y avais pas assisté », dira-t-il. La juge le piège : « Et pourtant, c’est à vous de vous occuper de la réunion ». Il finit par cracher le « gros » morceau : « Il n’y a pas eu de CA le 12 février 2002 ». La magistrate exhibe un registre sur lequel est consignée une « petite résolution » où les noms des membres du CA et la date de la réunion en question n’étaient pas mentionnées, selon les termes de la juge. L’accusé n’arrive pas à donner des explications. Il affirme plutôt que le conseil d’administration était entré dans une période de « vide » durant 15 mois, entre le 1er janvier 2001 et le 31 mars 2002, étant donné que son mandat était arrivé à terme. A la question de savoir quelle était la crédibilité des décisions prises dans un CA illégal, l’inculpé a avoué qu’elles étaient « nulles ». Il tente de justifier la situation par l’absence des membres représentant les organisations patronales. La juge tonne que le CA n’existe pas juridiquement. « Pourquoi le P-DG et le président du CA n’avaient pas insisté sur l’installation du nouveau CA au moment où la liste nominative du ministère de tutelle était présente ? », l’interroge-t-elle. Bennaceur répond que cela le dépassait en tant que directeur général. Durant cette période de « clandestinité », le CA s’est réuni à deux reprises. Selon lui, il y avait des problèmes entre l’UGTA et la tutelle à savoir le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, sous la houlette de Boudjerra Soltani. « L’environnement n’était pas approprié », note-t-il.

Boudjerra Soltani était informé

La magistrate lui demande d’expliquer le mode d’exécution de la résolution. « On a envoyé au ministère un courrier pour l’informer. Il n’y pas eu de réponse. L’absence de réponse équivaut à une approbation », estime Bennaceur, avant d’indiquer que le premier dépôt est intervenu le 28 janvier 2002. Propos qui suscitent la réaction de la juge. « Le 28 janvier, on fait le dépôt et le 12 février, on fait la résolution. C’est quoi ça ? », s’interroge-t-elle. Embarassé, l’accusé affirme que le président du CA lui avait donné l’ordre verbalement de faire le dépôt. « On a examiné, Sidi Saïd et moi-même, la convention », se rappelle-t-il. Le premier dépôt de 4 milliards DA s‘est effectué auprès de l’agence d’El Harrach pour un taux d’intérêt de 15 %. Le P-DG de la CNAS soutient avoir eu deux réunions de travail avec le directeur de l’agence, Aziz Djamel, en compagnie de Mustapha Menad. Plus loin, il affirme avoir discuté avec Sidi Saïd, lequel lui a demandé de faire une introspection des meilleurs taux d’intérêt. « Sidi Saïd m’avait dit, je vais m’en occuper », relate-t-il, concernant l’accord des autres membres du CA. Mme Brahimi : « Et si Sidi Saïd vous affirme qu’il n’a rien dit ? » L’accusé : « il y avait des relations de confiance ». Il note toutefois que « effectivement, il y a une entorse » à ce sujet. La juge lui demande comment il aurait eu la garantie d’avoir l’accord du CA. Abdelmadjid Bennaceur observe que les deux tiers de la CNAS sont des membres de l’UGTA et du coup, ils sont sous la botte de l’actuel patron de la Centrale syndicale. Mme Brahimi lui demande alors pourquoi avoir recouru au vote au conseil d’administration. La réponse ne vient pas. La magistrate revient sur les avantages. Abdelmadjid Bennaceur estime avoir bénéficié d’une carte de gratuité (1+3) qu’il a utilisé une seule fois. Il rappelle que la CNAS a passé une convention avec Khalifa Airways pour une réduction de 50% des tarifs sur les lignes intérieures et internationales. L’inculpé martèle qu’il n’a rien reçu de plus. La juge : « et la Mastercard ? » L’inculpé : « j’ai ouvert un compte en devises en remplissant les formulaires. J’ai déposé 100 USD, j’ai reçu la carte. Ça ne m’a pas étonné. » Mme Brahimi prend la parole pour lui faire savoir que pour avoir une telle carte, il faut avoir 3000 euros sur son compte. L’accusé soutient mordicus qu’il « est solvable » et d’ajouter qu’il ne l’a jamais utilisée. La juge revient sur le placement de la Caisse nationale des assurances sociales dans la banque d’El Khalifa. Elle lui demande qui était le garant. Bennaceur réplique que c’est l’Etat. « Alors, pourquoi courir dernière les intérêts », questionne-t-elle. L’incriminé : « On pensait faire quelque chose de bien ». Le procureur général intervient pour lui demander de savoir sur quelle base il a fait le premier dépôt. Le P-dg de la CNAS estime qu’il y avait un accord au préalable de Sidi Said. Le procureur lui fait remarquer qu’il n’y a pas eu d’accord puisque le conseil d’administration n’a pas été saisi. A la question de savoir pourquoi ils n’ont pas retiré l’argent de la CNAS après le gel des opérations du commerce extérieur de la banque El Khalifa, Abdelmadjid Bennaceur souligne qu’ils n’étaient pas concernés par le commerce extérieur. Ce dernier souligne ne pas pouvoir préciser le montant perdu dans les « abysses » de la banque Khalifa jusqu’à la fin de l’opération de la liquidation. Il rappelle toutefois qu’il ont pu récupérer un milliard DA comme intérêts sur le montant de 10 milliards DA déposés.

Agence CNR Oum El Bouaghi 205 milliards de centimes « volatilités »

Avant lui, le tribunal a cité à la barre, Djedidi Toufik, directeur de l’agence locale de la CNR d’Oum El Bouaghi, accusé lui aussi d’avoir pris la décision de faire le placement de 40 milliards de centimes des avoirs de l’agence El Khalifa Bank de Chéraga. « Alloui m’a conseillé de mettre les avoirs dans cette agence », raconte-t-il. Il dit assumer cette décision prise d’une façon unilatérale. « J’assume mes responsabilités », dira-t-il. Mme Brahimi l’interroge s’il a tenu informés le directeur général et le ministère de tutelle. Djedidi réplique qu’ils ont été mis au courant à travers les bilans annuels qu’il leur a envoyés entre 1998 et 2003. « Tout le monde le savait », clame-t-il. La magistrate : « Pourquoi vous n’aviez pas envoyé une correspondance pour les informer à ce sujet ? ». L’accusé : « C’est au commissaire au comptes de le faire ». Ne pouvant contenir sa colère, elle lui lance : « Il y a la loi. Ce n’est pas un magasin de pomme de terre, vous faisiez comme vous vouliez ! » Elle lui lit un extrait d’un article de loi dans lequel est clairement signifié que les agences sont placées sous l’autorité de la direction générale. Djedidi estime les intérêts à 85 milliards de centimes, ajoutés au dépôt de 40 milliards de centimes. « Je n’ai rien récupéré », souffle-t-il. L’inculpé s’est montré évasif lorsque la juge lui demande pourquoi il n’a pas retiré les fonds bien que ceux -ci soient arrivés à terme. Le directeur de l’agence locale de la CNR avoue avoir obtenu une carte de gratuité (1+5) en juin 2001, renouvelée en juin 2002, qu’il a utilisée avec les membres de sa famille sur la ligne Constantine-Alger. Acculé par les questions de la magistrate, il lâche avoir bénéficié de deux voitures de type Toyota qu’il dit avoir voulu acheter par facilités, en contrepartie d’une somme de 45 millions de centimes. En outre, il indique avoir une autre voiture noire de marque Toyota Echo pour Slimane Kerrar, directeur financier de la CNR. Sur ce, Mme Brahimi le défie de fournir la moindre preuve qu’il a acheté ses voitures. Elle lui lance : « Dis plutôt que c’est un cadeau de Khalifa ». Il déclare que la voiture Echo a été vendue pour un certain Rédhaoui Rezig, son voisin à Biskra. Par ailleurs, l’accusé estime avoir deux comptes, l’un en devises et l’autre en dinars. Il dit avoir dans son compte 10 000 euros et 3 millions de dollars. Il note être un actionnaire à hauteur de 46% dans la Société internationale du bâtiment en compagnie d’un Australien et d’un Egyptien. Ce dernier détient 34% des actions. La magistrate : « D’où vient cet argent ? ». L’accusé : « C’est eux qui l’ont ramené ». La juge : « Est-ce que votre profession vous permet d’être actionnaire dans une telle entreprise ? ». « La loi me le permet », réplique -t-il. Ce dernier affirme avoir détenu un compte domicilié à Société Générale sur les Champs-Elysées à Paris, alimenté de 5 000 ou 6 000 euros. Le représentant du ministère public lui demande d’expliquer comment il avait fait le placement le 16 juin 2001 et ce, avant le dépôt de la direction générale de la CNR, lequel est intervenu le 11 septembre 2001. « Je ne sais pas. Je suis responsable de mon agence ». Djedidi dit ignorer la teneur de la loi 92- 06 mais avoue, dans la foulée, être venu de Oum El Bouaghi pour remettre une enveloppe contenant une carte de voyage gratuite pour le responsable du conseil d’administration. Selon lui, 3 ou 4 membres de sa famille travaillaient à Khalifa Bank et Khalifa Airways sur intervention de Fawzi Baichi.

Les audiences reprennent aujourd’hui avec l’audition tant attendue de Abdelmadjid Sidi Said, Boudjerra Soltani et Mustapha Menad, respectivement actuel SG de l’UGTA, ministre d’Etat sans portefeuille et directeur financier à la CNAS.

Hocine Lamriben

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