Massinissa, le grand roi berbère qui a régné sur toute l’Afrique du Nord et la Numidie, cette terre antique qui a été le berceau d’une civilisation ancestrale sont revisités par l’écrivain Abdelaziz Ferrah qui vient de publier chez les éditions Apic une pièce théâtrale intitulée « Massinissa et Sophonisbe ».
Une tragédie amoureuse tissée sur un fond d’Histoire dont les événements se déroulaient à Cirta Veneria (le Kef en Tunisie actuelle) le 23ème jour du mois berbère, Yunyu, correspondant au 24 juin de l’an 203 av.J.C au cours duquel Sophonisbe trouve la mort.
Ce drame remet sur scène Massinissa, futur roi de Massylie (Numidie) qui constituait la partie Est de l’Algérie et de la Tunisie jusqu’au golfe de Syrte régentée par l’Aguellid Gaia, Syphax, roi de la Massaéssylie (pays des Maures) qui couvrait la partie centrale et Ouest de l’Algérie et le Nord du Maroc, Sophonisbe fille de Hasdrubal, général des armées carthaginoises et Scipion, chef des armées romaines.
Il relate le sacrifice de la belle Sophonisbe, promise à Massinissa, mais mariée au vieux Syphax dans une alliance arrangée pour sauver Carthage des assauts coalisés d’un côté de Scipion et de Rome qui n’a eu de cesse de provoquer Carthage jusqu’à la détruire, afin de dominer la Méditerranée dont elle fit sa « Mare Nostrum » (Notre Mer) et d’un autre côté de Massinissa dans sa quête de récupérer ses terrains engrangés afin de réunir cette terre d’Afrique qu’il reconstitua sous son fameux slogan « l’Afrique aux Africains ».
A l’issue de la 2ème guerre punique qui a vu au printemps 203 dans les « Grandes Plaines » à l’ouest de Carthage, la victoire éclatante de Scipion et de Massinissa sur les forces coalisées de Syphax et de Hasdrubal, Sophonisbe qui chérissait son pays plus que tout au monde, sacrifia son amour pour Massinissa et se lia à Syphax qu’elle convainquit de poursuivre la guerre contre les Romains et de tourner le dos aux propositions de paix de Scipion et de Massinissa.
La bataille tournera au profit de ce dernier dont la cavalerie est entrée en action et réussira même à embusquer dans la forêt, Syphax déchu de son cheval après son engagement direct dans la bataille.Le face-à-face entre la vainqueur Massinissa et Sophonisbe dont le mari est enchaîné par les Romains est sanctionné, après de longs échanges de reproches et de souvenirs, par le renouvellement du pacte d’amour qui libérera Sophonisbe de l’engagement que lui a imposé Carthage en se mariant symboliquement et immédiatement à Massinissa.
Suite à cette réconciliation qui a vite traversé le palais et s’est répandue dans toute la cité, Scipion se rend immédiatement auprès de Massinissa et lui communiqua le désir de l’armée romaine de voir Sophonisbe se présenter devant ses instances selon les règles de guerre pour qu’elle la juge et l’offre de sa seule autorité à Massinissa.
La violence de cette discussion durant laquelle Massinissa demeura inflexible et préféra la guerre et la mort à l’atteinte, encore une seconde fois, à son honneur n’échappa pas à Sophonisbe qui, pour épargner une nouvelle confrontation dans laquelle Massinissa y serait de nouveau entraîné à cause d’elle, décida de mettre un terme à ses jours. « C’est en même temps une sorte de sacrifice personnel à l’égard de Massinissa et un rachat de la faute commise en épousant Syphax contre son gré », conclut Abdelaziz Ferrah.
Au-delà de la pièce, réhabiliter l’Histoire
Au-delà de la pièce théâtrale proprement dite, rédigée dans un style fluide d’une très grande portée poétique, l’écrivain a tenté dans cet ouvrage dans lequel il a consacré une partie de 34 pages aux Berbères dans l’Histoire de Rome depuis la fondation de Carthage en 814-813 av.J.C en tenant compte des textes d’Appien, de Polybe et plus particulièrement encore de Tite-Live de réhabiliter des personnages berbères qui avaient joué un rôle important à cette époque et à propos desquels les historiens occidentaux avaient manqué d’honnêteté intellectuelle en les traînant dans la boue au nom d’une idéologie coloniale tant à l’époque romaine qu’à celle de l’Europe renaissante.
Il expliquera que le choix de Sophonisbe, plutôt que du couple Massinissa-Sophonisbe participe de cette volonté occidentale de reléguer aux oubliettes tout ce qui, de près ou de loin se rapporte au « Musulman » puis au « Turc », considérés comme l’ennemi avéré de l’Occident florissant.Abdelaziz Ferrah qui rejette les excès dans l’écriture de l’histoire précisera que c’est à partir d’une réflexion sur la personnalité et la place réelle de chacun des acteurs qui ont marqué le conflit opposant Rome à Carthage que sont apportés les correctifs nécessaires.
L’analyse de la pièce permet de justifier les choix pris dans une réécriture possible, et hautement souhaitable de l’Histoire, à la fois riche et mouvementée des Berbères. C’est pourquoi il s’avère utile de revisiter l’histoire de Rome et notamment la partie où il est question de peuples vaincus…L’histoire ne serait plus l’Histoire avec ses péripéties, mais de simples textes de propagande. Il formulera le souhait de voir cet ouvrage qui se réfère à l’analyse de faits historiques contribuer à l’ouverture d’un débat fructueux et l’apparition de cette contrée dans les manuels scolaires ainsi que dans les réalités de l’Histoire.
H.Hayet
