Bayrou en embuscade

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Par Slimane Laouari

C’est sur ce qu’il croit être l’une de ses grandes réussites que le Président français a entamé sa tournée d’adieux. Le sommet franco-africain clôturé il y a quelques jours à Cannes était tout en émotion. Factice où réelle, Jacques Chirac en avait besoin au point ou les chefs d’Etat africains lui en ont témoigné jusqu’à l’excès en signe de reconnaissance. Surtout qu’ils étaient là pour ça, sans la moindre illusion qu’il pouvait y avoir un quelconque prolongement à cette rencontre. C’est au palais de Versailles que Jacques Chirac a poursuivi sa tournée avec le congrès parlementaire convoqué pour la consécration de ce que beaucoup considèrent comme ses dernières volontés. La plus importante, même si elle revêt aujourd’hui un caractère tout à fait symbolique, est l’inscription dans la Constitution de l’interdiction de la peine de mort adoptée en 1981 sous Mitterrand et inspirée par le garde des Sceaux Badinter. En y tenant,il est fort probable que Jacques Chirac aille chercher sur un terrain de combat qui n’est pas le sien, à retrouver un peu de son âme de gauche gaulliste faute de l’avoir à portée de main dans son bilan social. Deuxième dernière volonté, l’adoption de la réforme du statut pénal du chef de l’Etat sonne comme un aveu de culpabilité. Pour avoir été souvent critiqué sur la question, y compris par l’allusion à quelques « affaires » le concernant directement, Jacques Chirac a fini par accepter que ça change, quitte à mettre un bémol dans son intransigeant attachement à la stabilité des institutions de la cinquième République. A propos de bémol, c’est Nicolas Sarkozy qui semble en avoir mis le plus significatif. En tempérant sa volonté de rupture depuis son discours de candidature où il a répété à n’en plus finir son fameux « j’ai changé », il attendait un adoubement du président de la République qui tarde à venir alors que les ralliements au candidat de l’UMP vont bien au-delà de sa famille naturelle. Mis en sourdine pour les raisons que l’on sait, le débat sur le changement dans les institutions sera pourtant difficile à élaguer de la campagne de Sarkozy dans les étapes à venir. D’abord parce que Sarkozy sait que cela lui en coûtera peu, depuis que le dernier carré des chiraquiens s’en est rendu à l’évidence. Ensuite, parce qu’il est difficilement envisageable que le candidat de la droite renonce à l’un de ses principaux atouts, à savoir l’image d’homme de rupture qu’il a mis des années à construire et que les Français semblent avoir largement et définitivement intégrée. Derrière Jacques Chirac, c’est François Bayrou qui a occupé les devants de l’actualité française cette semaine. Battant en brèche une vieille certitude française qui veut que la troisième voie est une voie sans issue, le candidat du centre commence à y croire. A son élection bien sûr, mais pas à tous les sondages. Il croit ainsi à la consultation qui l’a propulsé de 7 à 14 % en six mois mais ignore celle qui consacre largement Royal et Sarkozy pour le deuxième tour. Il trouve crédible que 55% des Français souhaitent le voir au second tour et non crédible le score de Le Peu. Crédible aussi le sondage qui dit que 71% des Français pensent que les jeux ne sont pas encore faits, mais invraisemblable que les mêmes sondés accordent leur intention de vote dans une large majorité aux candidats du PS et de l’UMP. François Bayrou qui joue sur la même corde tactique que le leader du Front national dit pourtant une vérité : s’il réussit à passer au second tour, la République n’ira pas puiser dans ses ultimes ressources pour lui barrer la route de l’Elysée comme elle a su le faire si généreusement contre Le Pen. Mais le second tour, le Béarnais agrégé de lettres classiques en est encore loin. L’alternance classique aux affaires est une histoire qui a encore toutes ses dents, même si M.Bayrou considère que « l’affrontement entre la gauche et la droite relève de la préhistoire ».

S. L.

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