«En tant que poète estimé de son public, je me devais de participer à son éducation et à sa formation morale et spirituelle : c’est ce que j’ai essayé de faire dans toutes mes chansons et je crois — sans fausse modestie — avoir rempli ma mission auprès de mes compatriotes. Leur estime s’est transformée en admiration et parfois même plus que cela. Je suis devenu pour eux une sorte de guide dont les paroles portent parfois en leur sein des sens cachés et des symboles qu’il faut interpréter. Beaucoup interprètent mes chansons dans un sens qui n’a jamais été celui que j’ai voulu leur donner. Mes chansons sont dans la tradition des poètes antiques et des fabulistes, les vérités que j’expose sont des vérités éternelles, communes à toutes les moralités au cours des siècles…».Cette déclaration est de Slimane Azem à un journal d’outre-mer. Le poète qui a occupé durant un quart de siècle une place prépondérante dans le milieu artistique a joué un rôle de tout premier ordre dans la vulgarisation et la promotion de la chanson kabyle à une époque où le simple fait de chanter dans cette langue passait pour un acte de subversion. Né le 19 septembre 1918 à Agouni Gueghrane (Tizi Ouzou), Slimane Azem avait commencé à chanter dès son jeune âge. C’est avec les poèmes de Si Mohand U Mhand qu’il fredonna ses premiers airs, à l’aide, dit-on, d’une flûte qu’il a fabriquée lui-même. Depuis, et de fil en aiguille, il en est arrivé à faire de la chanson son occupation première, malgré les difficultés inhérentes à ses différentes pérégrinations à la recherche d’un emploi.A onze ans, déjà, Slimane n’ayant presque aucun goût pour les études, dut être engagé dans une ferme à Staouéli, pour les menus travaux agricoles. La vie pénible du travail chez les colons l’obligea à chercher un autre débouché, et c’est ainsi qu’il atterrit en France. C’était en 1937. C’est là, également, qu’il rencontra Mohamed Kamel, qui, selon des témoignages était à l’origine des réels débuts artistiques de Slimane Azem. D’ailleurs, sa première chanson «Amoh, Amoh» fut un succès et nombreux sont les mélomanes qui se sont précipités du côté de chez Mme Sauvait pour acquérir son disque. Néanmoins, c’est avec Pathé Marconi que l’artiste effectuera ses premiers enregistrements qui lui ouvrirent la voie du succès. Slimane s’est tout à coup découvert un style et un talent hors du commun.A chaque fois que le besoin se faisait sentir, l’artiste effectuait un voyage au bled, histoire de se retremper dans une atmosphère qui lui est familière et de repartir avec quelques airs du pays.Slimane a beaucoup chanté l’exil, c’est peut être, vivant en milieu émigré, il essaie d’alléger pour ses concitoyens le lourd fardeau qui pèse sur leurs épaules : la nostalgie.Très influencé par les fables de La Fontaine, Slimane Azem a réservé une bonne partie de son répertoire à faire parler les animaux à travers des airs chargés de symboles et dégoulinant de métaphores. Ceux qui ont eu la chance de le connaître sont unanimes à souligner l’affabilité et la force de caractère de l’homme, le génie créateur de l’artiste. S’inspirant d’une source intarissable, l’école de la vie, Slimane Azem a pu interpréter merveilleusement les différentes préoccupations de tout un chacun, dans un langage d’une parfaite éloquence et facilement accessible. Grâce à des efforts soutenus en matière d’innovation et de recherche musicale, l’artiste a été auréolé en 1972 du disque d’Or de la chanson berbère. Depuis cette consécration, son aura n’a cessé d’étendre son empire et ses admirateurs ne lui vouèrent que plus de respect et d’admiration à chaque fois qu’une de ses œuvres est diffusée.
Nacer Maouche
