La dépêche de Kabylie : Rabah Ticilia, musicien professionnel, professeur de musique, accompagnateur des grands chanteurs en tant que chef d’orchestre, Animateur de l’émission “Inzizene” à la Radio nationale Chaine II, animateur et créateur de la chorale polyphonique a la Maison de la culture de Tizi Ouzou. Apparemment, vous êtes un artiste très occupé. Présentez-vous aux lecteurs.
Rabah Ticilia : Rabah Ticilia, est d’abord un musicien qui a commencé très jeune à gratter la guitare comme tous les passionnés de la musique. Par la suite, j’ai songé à la formation pour structurer un peu mes connaissances et les développer. Ensuite, après le concours en 1985, j’ai suivi des études à l’Ecole normale supérieure de musique à Bouzaréah. Dans la théorie musicale, l’esthétique, l’histoire de la musique, le solfège, la pratique instrumentale, l’harmonie et bien d’autres choses intéressantes dans le domaine musical.
En 1989, en obtenant la licence en musicologie, j’ai entamé ma carrière professionnelle en tant qu’enseignant à l’Ecole normale de Bouzeréah, où on a formé des enseignants pour le cycle moyen et secondaire jusqu’en 1996. En dépit des événements du terrorisme qu’a connu notre pays, ce n’était pas évident d’évoluer librement à Alger en tant que musicien, j’ai dû revenir à Tizi Ouzou, pour continuer à enseigner à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri. Sinon, chef d’orchestre, j’ai lancé une chorale polyphonique Anzar, et animateur des ateliers de piano et guitare depuis 10 ans. J’ai accompagné sur scène, Lounis Aït Menguellet, Kamel Hammadi, Ali Idheflawen, Chérif Kheddam et bien d’autres.
Comment Rabah Ticilia arrive-t-il à transmettre plusieurs messages à la fois, d’autant plus qu’il est, très demandé pour accompagner les chanteurs ?
Tout d’abord, je tiens à remercier la Chaîne II, pour l’ouverture et la disponibilité à promouvoir les jeunes talents, et ce en mettant les moyens nécessaires pour nous permettre de nous rapprocher des jeunes talents qui n’ont pas les moyens et le temps de venir à la radio. Nous nous sommes fait un devoir, pour se déplacer vers eux, pour les faire connaître et les encourager du mieux possible. Cela dit, pour le moment, on se déplace en Kabylie seulement, parce que c’est tout près d’Alger, mais nous sommes aussi disposés à nous déplacer sur le territoire national, de façon à regrouper ces jeunes talents. Souvent, l’on entend dire qu’il y a absence ou manque de qualités artistique et musicale. Partant de ce fait, je me suis dit que c’est anormal qu’il n’y ait pas d’autres productions de qualité sur le marché. Certainement, il y a des chanteurs interprètes inconnus, qui méritent l’attention et l’aide, donc tout le travail que nous faisons est, justement, pour faire valoir les valeurs nobles et artistiques.
Tout en sachant qu’il y a un potentiel artistique énorme, qu’il faut découvrir et promouvoir autant qu’on peut. Il y a ceux qui font du très bon travail, mais malheureusement, ils n’ont pas les moyens financiers ou le terrain favorable pour se révéler. Ceci dit, nous sélectionnons les talents et, par ricochet, c’est une découverte pour les éditeurs qui s’en chargent. La chanson kabyle est riche dans le sens et d’histoire musicale et thématique sur tous les plans. Tout cela mérite la valorisation. Pour revenir à l’émission “Inzizene” (les cordes), c’est une émission en direct diffusée tous les vendredis de 15H00 à 17H00. Disons, en quelque sorte, que c’est un miroir qui permet de découvrir de nouvelles voix et interprètes. Lorsque des sélections dans tout les genres musicaux sont faites, pourvue qu’elle soit propre et obéisse aux règles de l’art, le produit est enregistré et pris en charge par la radio qui le diffuse. Ce n’est pas à la portée des jeunes chômeurs qui n’ont pas les moyens suffisants pour aller dépenser des sommes importantes dans les studios, sans être sûrs du résultat. Le travail d’artiste est une oeuvre de longue haleine et de recherche sur tous les plans. Ce n’est pas pour décourager les jeunes, au contraire, il faut investir son temps et son énergie dans la qualité et travailler l’esthétique.
Peut-on connaître quelques noms émergés de votre émission ?
Il y a bon nombre de chanteurs, qui se sont imposés par la qualité de leurs interprétations, je cite, Daco, Segare, Zioui, Kahina, Tinhinane, Rabah Gacem dans le chaabi, le groupe Africa, Eclipse de Bgayeth qui font un travail extraordinaire, Imenayene de Tizi Ouzou. Disons qu’il y a au moins une dizaine, pour ne citer que ceux-là. Le champ musical est ouvert à tous les genres. Autrement dit, je ne peux pas me rappeler tous les noms. L’émission est ouverte, et c’est par l’ouverture d’esprit que l’on évolue.
Comment voyez-vous la musique véhiculée par la chanson kabyle actuellement ? Y a-t-il vraiment une recherche musicale ?
Je pense que nos jeunes ont perdu le souci de l’esthétique. Ils pensent plus au côté commercial. Le phénomène de la musique non-stop ne dure pas. Ce n’est pas parce que ça a marché pour quelques-uns, que cela doit être de même pour les autres. C’est vrai qu’à un moment donné, ça a marché, mais on constate que c’est un phénomène qui commence à reculer. C’est pour cela que j’invite nos jeunes à penser plus à l’esthétique. L’art n’est pas comme le sport. L’effort physique et l’effort de l’imagination artistique sont différents. Bien que le sport soit aussi un art. Il faut savoir laisser chaque chose à sa places, si l’on veux réussir. Autrement dit, on ne peut pas dire que ce n’est pas le désert. Mais, avec un peu plus d’effort et d’imagination, on pourrait faire mieux. Sinon, à part quelques-uns que j’ai cités, il n’y a pas vraiment d’efforts et de recherche musicale. Car, les jeunes ont tendance à développer les mêmes thèmes, qui tournent autour de la mélodie.
En tant que professeur de musique, comment peut-on faire la différence entre ce que l’on appelle musique traditionnelle, classique ou moderne ?
Chez nous, on a un peu ce problème de définition des concepts de musiques. En fait, la musique moderne, ce n’est pas avec quelques accords de guitare, que l’on peut dire que c’est une musique moderne. Un arpége est un instrument moderne. La musique moderne nous renvoie au contemporain, comme le jazz par exemple. La musique classique renvoie à l’époque de classicisme, etc.
Deux monuments de la chanson kabyle avec deux styles différents, Aït Menguellet et Idir. Le premier avec un style classique et le deuxième moderne. Les deux ont marqué l’histoire de la chanson kabyle en particulier et algérienne de façon générale. Peut-on faire une analyse entre ces génies, musicalement parlant ?
(Il marque un temps de réflexion, comme si, il avait une grande responsabilité à parler de ces deux ténors de la chanson algérienne, universellement connus). Disons que les deux ont marqué l’époque par leurs originalités. Idir, par son génie d’habiller ses mélodies par l’apport des textes de nos grands poètes, tel que Ben Mohamed et Belhanafi. Quand à Aït Menguellet, c’est un magicien de la mélodie et du verbe soutenus par sa voix exceptionnelle. Tel un grand peintre, avec une ou deux couleurs seulement et un coup de trait, il vous donne de l’émotion et du bonheur.
On assiste actuellement à une vague de jeunes chanteurs qui font dans l’imitation ou les reprises, au lieu de s’inspirer de références ou de faire des formations et autres recherches dans la chanson. Qu’en dites- vous ?
Je pense que c’est un phénomène qui va disparaître dans le temps et dans l’espace. Les jeunes ont deux choix. S’ils veulent réussir, c’est dans la création et la recherche de l’esthétique, du choix des textes originaux. Autrement, les imitations n’ont pas pour longtemps à vivre. Ce qui s’explique comme manque et pannes d’idées et d’imagination. C’est plus grave pour la création artistique, lorsque l’on manque d’imagination et d’originalité. Ceci dit, on ne peut pas devenir écrivain, sans lire un maximum de livres. A mon avis, c’est pareil pour la chanson. Il faut s’inspirer des références pour pouvoir développer son imagination. C’est en écoutant une musique de qualité qu’on peut produire de la qualité. Quant aux hommages qu’on rend à la mémoire des chanteurs décédés, il faut le faire tout en étant à la hauteur du personnage. Sinon, il vaut mieux se taire. Pour cela, on doit faire des efforts pour atteindre le succès. Sinon les musiques « non-stop » n’ont pas de sens musical ni artistique. L’imitation est un phénomène dangereux, qui brise la création.
Entretien réalisé par Amar Chekar
