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Ag’ellid ‘ amesvat’li Le roi inique

3e partie et fin

Encouragé par la femme inconnue, le paysan demande à voir l’ag’ellid’. Dès qu’il lui permet de prendre la parole, il lui dit : “- Majesté qui a droit de vie et de mort pour ses sujets, j’ai une histoire à vous raconter, si vous voulez bien m’écouter.

« L’ag’ellid’ intrigué, le laisse parler. Le paysan lui raconte l’histoire du champ de blé dévasté par des poissons. » – Mais, tu délires paysan, des poissons qui mangent du blé, c’est du jamais vu !- Comme on n’a jamais vu des mules mettre bas des ânons, majesté !- Ce que tu dis là n’est pas de toi, paysan ! Dis-moi qui t’a soufflé cette idée, sinon, je vais te faire décapiter !- C’est vrai, majesté, elle n’est pas de moi, c’est une belle femme d’ici qui m’a demandé de vous la raconter.- Je sais qui c’est.

C’est ma femme «Illi-s lahram !» (la fille du péché !) Elle va me le payer !Après avoir congédié le paysan, l’ag’ellid’ rentre furieux chez lui et dit à son épouse :“- On s’était mis d’accord dès le début que tu ne devais pas interférer dans les affaires du royaume même si elles te semblent saugrenues ! Puisque tu as failli en m’envoyant ce paysan tu es répudiée à compter d’aujourd’hui. La seule faveur que je t’accorde, c’est que tu puisses prendre du palais, la chose la plus précieuse que tu voudras. Tu as jusqu’à demain midi pour le faire.”L’épouse de l’ag’ellid’ demande aux menuisiers du palais de lui ramener un grand coffre (assendouq) pour, dit-elle, ranger ses affaires.

En guise de repas d’adieu, elle prépare de ses propres mains un délicieux gâteau qu’elle fait servir à l’ag’ellid’. Dès qu’il en goûte un morceau, il tombe en léthargie, car ledit gâteau a été préparé à l’aide de somnifère.Une fois dans les bras de Morphée, elle l’enferme dans le coffre et ferme à clef.

Elle appelle ensuite ses esclaves et leur demande de porter sur le champ le coffre à la maison de son père.Une fois seule, elle ouvre le coffre et installe l’ag’ellid’ sur d’épaisses toisons de moutons recouvertes d’un haïk multicolore (épaisse couverture de laine tissée à la main).Quand l’effet du somnifère s’est dissipé, l’ag’ellid’ se réveille et dit à haute voix :- Anda ligh akka ! (Où suis-je donc ?)- Tu es dans la maison de mon père !- Et qu’est-ce que je fais dans la maison de ton père ?- Je ne fais qu’obéir à tes ordres, majesté !- Quels ordres ?- En me répudiant tu m’as bien dit de prendre ce qui m’est de plus précieux. Eh bien c’est ce que j’ai fait ! De toutes tes richesses, rien n’est plus précieux à mes yeux plus que toi, ô majesté. C’est pour cela que j’ai jugé utile de t’amener chez moi ! Je t’ai enfermé dans le coffre que voici, après t’avoir endormi” L’ag’ellid’ est surpris par les propos de sa femme qui lui vont droit au cœur. Cette femme tient vraiment à lui, elle vient de le lui prouver alors que lui l’a répudiée.Il la regarde droit dans les yeux, lui sourit, la serre contre lui, et lui dit :- “Tu as gagné (threvh’adh !). Ton intelligence, ta perspicacité, ta générosité, ta sagesse sont des qualités qu’on ne trouve pas chez n’importe qui.

A partir d’aujourd’hui, tu seras ma conseillère attitrée en privé et cachée. Tu ne siégeras pas dans les assemblées, mais tu écouteras tout ce qui se dit. Ton devoir sera dorénavant de me faire éviter des faux-pas dans la façon de gouverner. Si tu vois que je suis dans l’erreur fais-le moi savoir avant que je ne rende des verdicts iniques au nom de la loi, comme je l’ai fait avec ce pauvre paysan propriétaire de l’ânon que j’ai dépossédé arbitrairement.

D’habitude, je ne me déjuge jamais d’un verdict prononcé, même si je me rends compte par la suite que j’ai été inique, mais comme il y a un début à tout grâce à toi, je vais rétablir le propriétaire de l’ânon dans ses droits.- C’est un geste qui sera apprécié par la population je n’en doute pas, majesté !- Puisque tu le dis ! Je te crois sur parole ma bien-aimée !”Depuis ce jour, ils se sont mis d’accord pour toujours. Judicieusement conseillé, l’ag’ellid’ régna avec équité sur son peuple pendant de très longues années.Our kefount eth h’oudjay inou our kefoun ir den ts emz’ine as n-elaid an en etch ak’ soum ts h’emz’ ine ama n g’a thiouenz’ iz’ ine.(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent l’orge et le blé. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Benrejdal Lounes

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