Au cours du Conseil interministériel du 23 mai dernier consacré à l’avant-projet de la loi de Finances complémentaire 2007, la nouvelle politique du développement du rail a eu droit à la part du lion. En effet, ce secteur vital de l’économie national vient de bénéficier d’une enveloppe budgétaire de 500 milliards de dinars (7 milliards de dollars), en sus de l’enveloppe de même montant débloquée dans le cadre du Plan de soutien à la croissance économique (PSCE) couvrant la période 2005-2009. Selon le ministre des Transports, 500 km de voie sont en cours de réalisation dans le cadre du PSCE. La nouvelle cagnotte permettra de prolonger le réseau sur un linéaire de 700 km.
Dans le cadre de l’application du Schéma directeur routier et autoroutier (SDRA), il a été relevé que la voie terrestre demeure le moyen privilégié des échanges dans notre pays, soit 90% de l’ensemble du volume de marchandises faisant l’objet de transit. Au vu des limites objectives du réseau routier touché par la vétusté des infrastructures, la surexploitation de certains axes techniquement inadaptés et l’inadéquation entre le volume de marchandises transportées et la densité du réseau, d’autres voies ont été explorées en même temps que le développement du réseau routier lequel, d’ici 2025, aura reçu un investissement de l’ordre de 40 milliards de dollars. Parmi les autres voies sollicitées, le chemin de fer demeure la direction privilégiée, eu égard aux retards de développement qui grèvent ce secteur et aux potentialités dont dispose le pays en la matière entendu qu’il a hérité de la colonisation d’une ligne traversant l’Atlas tellien d’Est en Ouest et reliant entre elles trois capitales maghrébines avec quelques bretelles en direction des Hauts Plateaux. Le développement économique du pays, la croissance démographique et la nouvelle carte géographique des échanges et de bassins de production ont inexorablement induit de nouveaux besoins en matière de transport de marchandises et de voyageurs.
Si le moyen de transport ferroviaire bénéficie d’une attention particulière des acteurs économiques et des pouvoirs publics au cours des deux dernières années, c’est principalement pour les grandes capacités dont il peut disposer et le côté pratique et fluide de la voie qu’il emprunte. Lors d’un séminaire organisé à la fin du mois de septembre 2006 par la Fédération française des industries ferroviaires en présence des cadres de la SNTF, la partie algérienne a eu à exposer la nouvelle stratégie du rail qui consiste à moderniser le réseau existant et en faire l’extension au profit de l’économie nationale. En effet, il n’échappe à personne que le transport a toujours constitué un segment majeur de l’économie dans les étapes de la fourniture des équipements, de la matière première, des produits finis ou semi-finis ainsi que de leur transbordement des/ou vers les ports. Le point de chute peut même être un aéroport dans le cas ou la suite de la prestation de transport doit être assurée par un avion cargo.
Dans la comptabilité des entreprises, la rubrique transport occupe parfois des postes importants, surtout lorsque les bassins de production (usines, fermes, ateliers) sont situés à des distances éloignées. Pour un pays aussi vaste que l’Algérie, l’enjeu du transport de marchandises et de voyageurs se trouve naturellement décuplé. Cependant, jusqu’à présent, les activités liées au transport sont concentrées sur le déplacement par voie de route. La majorité de la population algérienne étant positionnée au Nord, particulièrement sur la côte, les voies terrestres se trouvent étranglées par l’intensité du trafic et la nature du relief caractérisant la bande Nord. C’est pourquoi, l’alternative du rail a fini par s’imposer d’elle-même après des retards considérables enregistrés dans ce secteur.
Héritage colonial figé
Le réseau ferroviaire algérien a été réalisé par l’administration française à la fin du 19e siècle. Jusqu’au début des années 60, le réseau exploité était de 3900 kilomètres. L’intérêt prépondérant des pouvoirs publics pour le transport routier a non seulement fait stagner le développement du rail, mais, pire, il a conduit à la suppression pure et simple de certaines dessertes. Élément structurant au même titre que les autres infrastructures lourdes (ports, aéroports, routes, autoroutes, barrages hydrauliques,…), le chemin de fer a bénéficié à la fin des années 80 d’une profonde réflexion qui a voulu exploiter des idées anciennes dont certaines remontent à la période coloniale. Ainsi, il a été question d’étoffer la voie du Nord en la doublant sur 1300 km (de la frontière marocaine à la frontière tunisienne), ceci, indépendamment des bifurcations qui vont sur Skikda, Annaba, Oran et Arzew. Dans le sillage du développement de la voie du Nord, une voie parallèle sur les Hauts Plateaux était également envisagée. Mieux, des travaux ont commencé à partir de Batna pour faire aboutir la ligne sur la voie du Sud-ouest (Mechria-Aïn Sefra). Les jeunes soldats de l’ANP regroupés en GTVF (Groupements de travaux de la voie fer) ont pu relier Batna à M’sila. Après la dissolution de ces groupements à la fin des années 80, les travaux se sont arrêtés. Avec le nouvel intérêt porté à cette zone dans le cadre des investissements rentrant dans l’ ’’Option Hauts Plateaux’’, la réhabilitation de ce vieux projet s’avère impérative. Logiquement, doivent suivre les brettelles qui vont relier la voie du Nord à la ligne des Hauts Plateaux (Blida-Djelfa, Constantine-Batna) qu’il s’agit plutôt de réhabiliter puisqu’elles existent depuis longtemps.
La stratégie de développement du rail sur les Hauts Plateaux rejoint la conception des pouvoirs publics de remettre au goût du jour le plan appelé ‘’Option Hauts Plateaux’’ discuté en Conseil des ministres en février 2004. En 2006, un programme de développement intégré tendant à améliorer les conditions de vie des populations locales et à revitaliser les espaces steppiques a été adopté par le gouvernement. Cette vision remontant aux années 80 prévoyait des facilitations en matière d’investissement sur ces territoires vastes mais faiblement développées et où le site pour une nouvelle capitale du pays fut choisi (nouvelle ville de Boughezoul).
Une dynamique économique porteuse de nouveaux besoins
Cette option est basée sur le constat d’un déséquilibre démographique entre la côte et l’intérieur du pays, la mauvaise gestion des ressources naturelles, l’impasse de la politique de l’emploi et la menace de désertification qui pèse sur le Nord de l’Algérie, sachant que des villes et des territoires entiers ont pratiquement rejoint le domaine aride (Sougueur, Ksar El Boukhari, Aflou, Barika, El Aricha,…). Le vieux projet des Hauts Plateaux fut abandonné sans ‘’préavis’’ lorsque le baril commençait à connaître les abysses de la bourse. Un autre projet de plus grande envergure était aussi dans l’air à cette époque. C’était le plan connu sous le nom de ‘’Boucle du Sud’’. Il s’agissait de raccorder le Sud du pays au Tell par l’extension des voies ferrées qui arriveraient à Touggourt (Est) et à Béchar (Ouest). L’itinéraire tracé pour cette voie étant Touggourt-Hassi Messaoud-Ouargla-Ghardaïa-Adrar-Béchar. Certes, c’est un mégaprojet coûteux qui prend l’allure du Transsibérien, lequel fut réalisé par des prisonniers. Néanmoins, les activités existantes au niveau des zones pétrolières et gazières, l’ébauche d’une agriculture saharienne à Adrar et dans la vallée de Zousfana (Taghit, Igli, Beni Abbès) militeraient sans doute pour un tel projet, et cela indépendamment des futures et éventuelles zones d’exploitation qui pourront concerner les gisements de minerais dans le Sud (à l’exemple du fer de Ghar Djebilet, dans la région de Tindouf).
De nouvelles perspectives pourraient aussi s’ouvrir pour le réseau ferroviaire du Nord du pays. Ainsi, des pays du Sahel (Niger, Mali) ont montré un intérêt certain au cours des dernières années pour un éventuel acheminement de leurs marchandises importées d’Europe via les ports algériens. Au début des années 2000, une délégation de l’un des pays de cette zone a exploré avec les autorités algériennes cette possibilité au niveau du port de Djendjen, dans la wilaya de Jijel. Les marchandises pourraient être expédiées sur la ligne de Ramdhan Djamal jusqu’à…Adrar, si le chemin de fer venait à rallier cette ville. De là, elles seraient transportées par route sur Niamey ou Bamako.
Un autre projet structurant est en train de voir le jour en Kabylie. Outre la modernisation de la ligne Alger-Tizi Ouzou, le chemin de fer s’étendra jusqu’à Oued Aïssi, au niveau de la zone industrielle Aïssat Idir. Cette voie serait, à terme, extensible jusqu’à Fréha.
Pour le quinquennat 2005-2009, la SNTF prévoit la réalisation de trois lignes à grande vitesse (LGV) : Bordj Bou Arréridj-Khemis Méliana sur 320 km (avec un itinéraire indépendant de l’actuel mais qui passera par Bouira et Beni Mansour), Boumedfaâ-Djelfa sur 260 km Touggourt-Hassi Messaoud sur 240 km. Cette entreprise publique compte également procéder à l’électrification de la ligne du Nord (de la frontière est à la frontière ouest) et à l’acquisition de 64 rames automotrices en plus de 30 locomotives diesel (Général Motors). La vitesse développée par les LGV va de 160 à 200 km/h.
Avec une enveloppe globale de 1 000 milliards de dinars destinée au développement des chemins de fer par un maillage de la zone Nord et du nord Sahara, l’Algérie compte réhabiliter un segment important de l’économie du transport longtemps laissé-pour-compte.
Amar Naït Messaoud
