Site icon La Dépêche de Kabylie

L’œuvre et la vie du sociologue revisitées

Des sociologues, des universitaires de tous bords ont été conviés à cette manifestation intellectuelle pour apporter, chacun pour sa part, sa propre lecture de l’œuvre magistrale du « sociologue de l’immigration ».

Le colloque se propose de faciliter la rencontre et les débats, en séances plénières et en ateliers, d’acteurs venant de divers horizons géographiques et de disciplines universitaires aussi diverses que possibles. Entre autres sous-thèmes proposés par le colloque : La présentation de Abdelmalek Sayad ou l’auto-sociologie par Kamel Chachoua, chercheur au CNRPAH/ CNRS. Lors de la première séance consacrée à « la science de l’absence » et présidée par Garcia Afranio, chercheur à l’EHESS de Paris, Malika Gourir, maître de conférences à l’université Paris V Descartes, a, dans son intervention, parlé de A. Sayad et de son ami Pierre Bourdieu. Une amitié entre deux intellectuels de renommée internationale. « Sayad et Bourdieu se sont rencontrés pour la première fois à l’université d’Alger en 1958 », affirme-t-elle avant d’ajouter que « la relation entre le professeur de philosophie (Bourdieu) et l’instituteur-étudiant (Sayad) s’est rapidement transformée en une amitié qui a traversé les décennies grâce à des affinités intellectuelles et politiques », a-t-elle expliqué. L’amitié entre les deux sociologues s’est approfondie lors d’une enquête sur les centres de regroupement qui a vu leurs actions et positionnements se rapprocher davantage, a expliqué Mme Gourir. Omar Carlier, Professeur d’histoire à l’université Paris VII, a focalisé son intervention sur « les trois mémoire de la migration algérienne vers la France ». Pr Carlier considère que la mémoire « Halbwachs » est celle de la mémoire collective comme « construction sociale », cette mémoire est celle « de la transmission et des transmetteurs, des passages et des passeurs ». La mémoire « Nora », la seconde, est, selon lui, celle des lieux de mémoire. Ces lieux peuvent êtres réels ou mythiques, et d’autre part, le Pr Carlier a ajouté que ces mêmes lieux appartiennent ou non au registre politique. La troisième mémoire, « Valensi », est celle de « l’articulation- interaction des lectures et relectures incessantes du passé », a expliqué l’orateur. Par ailleurs, Pr Omar Carlier considère que les historiens sont pris comme producteurs et produits de mémoire, dans le même temps même où ils s’efforcent d’objectiver cette dernière comme telle, en tant que construction historique dans les relectures discontinues et décalées de cette migration, tenait-il à expliquer. Pour sa part, Mme Nassira Achi, maître de conférence à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, département de langue et littérature arabes, a concentré son exposé sur « les mots à maux de l’émigration ». En premier lieu, elle a procédée « à un relevé des termes relatifs en arabe ». Elle a sélectionné les termes, comme « el hijra ou el ghorba » ensuite ces même mots en kabyle comme « aghriv, amjah, amenfi ou averanni ». Après la fin de ce procédé, Mme Achi a eu à situer les différents usages de ces mots et termes dans chaque langue et leur utilisation dans les discours sociaux, exégétiques, poétiques, politiques et scientifiques, a-t-elle expliqué.

Lors de la séance de l’après-midi, consacrée au « pourquoi les gens partent de chez eux ?», sous la présidence de Mme Malika Gourir, M. Pierre Henry, DG de « France terre d’asile », a à travers un exposé sur les enjeux euro-méditerranéens et notamment, les déséquilibres démographiques et économiques entre les pays, qui avec « le recul de l’idée démocratique, sont les principaux vecteurs alimentant les migrations internationales », a-t-il expliqué. D’autre part, l’orateur a affirmé que les migrations se situent dans leur majorité à l’intérieur des sous-régions. Cela dit, les différentes vagues de migrations lorgnent beaucoup plus vers les pays de la même région. Exemple, la migration africaine vers l’Europe ou celle des pays du bassin méditerranéen vers les pays du même bassin. Outre ces réflexions, le DG de « France terre d’asile » pose la question du comment préserver l’équilibre démocratique et social des sociétés du Nord en maintenant intacte la nécessaire solidarité vis-à-vis des pays du Sud ? D’autre part, le DG s’interroge sur la nature et l’état des migrations entre le Maghreb et la France et quelles propositions de progrès ? Signalons que par rapport à l’idée de la nature et l’état des migrations vers la France, un groupe d’associations et d’organisations non gouvernementales ont émis le vœux de voir les chaînes de télévision du groupe public France Télévisions consacrer une émission spéciale pour les migrations en Europe, afin de comprendre et de connaître ce flux migratoire.

Toujours dans le même ordre d’idée, Mohamed Benhlal, chercheur au CNRS/ IREMAM d’Aix en Provence, a présenté un exposé sur « L’émigration comme renaissance ». Le chercheur a pris le cas des Harraga marocains. L’exposant a fait savoir que les conditions d’émigration au début du dernier siècle au Maroc ont changé. Les conditions d’émigration dans les années 80 et 90 ont apporté de nouvelles stratégies migratoires. Selon l’orateur, le profil sociologique de misère n’a pas lieu de cité. En effet, les nouvelles vagues d’émigration ne portent pas seulement les miséreux. Les crises économiques qui poussent les candidats à l’émigration « brûleurs de vies » ou les « Hrigs » ne sont pas, selon M. Benhlal, « le mode lent de l’émigration ancienne » telle que connue jadis, mais « l’attirance pour le risque qui pousse le candidat à l’émigration, à braver la mort, obéit à une stratégie de réussite rapide », car pour réussir rapidement, le candidat ne lésine sur aucun moyen. Le lourd investissement de départ est une « assurance-garantie sur un retour prospère », a-t-il analysé.

Pour sa part, Abdelkader Lakjaa, maître de conférences en sociologie à l’université d’Oran, a exposé sur la jeunesse et la marginalité en Algérie sous le thème « nous sommes tous dans le brouillard ». Cette communication se veut un regard sur les valeurs en cours au sein de l’univers des jeunes en Algérie. Lors des séances de l’après-midi, Ali Mekki, directeur du Centre régional et d’observation des politiques et pratiques sociales à Monasque (France), a étalé son intervention sur le mariage chez les enfants issus de l’immigration : vers un quatrième âge de l’émigration maghrébine en France. M. Mekki estime qu’avec le modèle des trois âges de l’émigration algérienne en France proposé par le défunt Sayad, le quatrième modèle analysera « les stratégies matrimoniales des enfants du troisième âge et la reproduction de l’émigration maghrébine en France ».

Tereza Hyankova, ethnologue à l’université de Charles de Prague, a proposé une lecture sur « la question de l’identité et de l’intégration des immigrés kabyles à Prague ». Tout en sachons que l’immigration kabyle en République Tchèque est récente, elle a fondé son exposé sur des enquêtes réalisées auprès des immigrés kabyle établîs à Prague. Ces jeunes, dans leur majorité célibataires, ont choisi la Tchèquie après la chute du communisme, a-t-elle déduit.

A propos de l’émigration des femmes algériennes en France, notamment le cas de femmes rurales, Mme Fatiha lovichi-Dahmani, chef de service éducatif à Lille, a présenté un exposé dans ce sens. L’apparition de ce nouveau phénomène migratoire en France vers la fin des années 60 « marque un tournant irréversible dans l’histoire sociale de l’émigration et de l’immigration algérienne », estime-t-elle.

Le colloque poursuivra ses travaux jusqu’au 4 de ce mois, avec cette pléiade d’hommes et de femmes de sciences, le colloque est une occasion de comprendre les faces cachées du phénomène de l’émigration et de l’immigration.

Mohamed Mouloudj

Quitter la version mobile