“Ihuh… !” c’est sans aucun doute ainsi que s’exclamerait un revenant berbérophone en apprenant que son tamazight est doté d’un Conseil supérieur, d’une Académie et d’un centre d’aménagement linguistique. Le fantôme, qu’on avait embarqué au commissariat pour avoir osé exhiber le tifinagh de son vivant, s’en réjouirait et retrouverait pour de vrai et pour l’éternité le sommeil du juste. Il en est de même pour les vivants ou les survivants (c’est selon). Eux aussi laisseraient exploser leur enthousiasme et applaudiraient des deux mains et deux pieds l’avènement des trois institutions. Il est évident qu’a priori la création de ces institutions ne peut être perçue que comme preuve d’une volonté de réparer une injustice, voire la volonté de s’occuper à bras-le-corps de la véritable réconciliation. Mais cela n’est pas le propos. Voyons plutôt qu’elle serait sur le terrain de la pratique de tamazight l’apport de ces institutions pour une langue toujours en chantier du point de vue aménagement, faut-il le rappeler.
D’emblée et en apparence, il convient d’admettre que le centre d’aménagement linguistique que dirige le professeur Dourari est l‘institution indiquée pour accompagner syntagme et autre paradigme amazighs à bon port. C’est d’ailleurs sa raison d’être puisqu’il s’agit pour le centre “de définir les linéaments d’une stratégie globale d’aménagement tenant compte du contexte pluriel dans lequel elle s’inscrit et des attentes de la société langagière qui la reçoit afin de lui assurer des chances de succès.” Ainsi et pour peu que l’on ne fasse pas semblant de ne pas voir un travail entrepris depuis près d’un siècle et que l’on ne revienne pas à la charge avec » quelle graphie pour tamazight ? » sur fond, zaâma, de considérations scientifiques, le CNPLET de Dourari serait d’un apport d’une très grande utilité.
En revanche, s’agissant de l’académie, cette “société savante dont les membres se consacrent à une spécialité des lettres, des arts, des sciences, etc” est une idée plus tape-à-l’œil que réellement utile à une langue qui cherche toujours ses marques. “Quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie”, disait l’écrivain français, Georges Bernanos, pour souligner la futilité de l’institution. Alors, pour quoi faire une Académie ? Qui y siégerait : Un Ormesson kabyle ? Un candidat à la députation recalé ? Un enseignant de tamazight ébloui par le titre et le sous-titre ? Un délégué des ârchs qui pour la circonstance suit des cours intensifs en tamazight ? En fait tout cela n’a pas d’importance. Ce qui est inquiétant par contre est d’imaginer que cette Académie ne serait en fait qu’un outil de contrôle pour tenir en laisse les ambitions et les élans de tamazight. Espérons que notre imagination nous joue des tours ! Sinon, nous trouverons aussi que le Conseil supérieur à la langue amazighe serait là à veiller à ce que l’on ‘’fabrique’’ une langue de bois. Au-delà de tout ce bruit qui allèche beaucoup de monde, une seule chose est cependant sûre : une langue, quelle qu’elle soit, n’a besoin que de liberté, la liberté d’être et de dire. Le reste dépend de son génie. En somme, il ne faut compter que sur les Ramdane Achab, Amer Mezdad, Ait Menguelet, Brahim Tazaghart et beaucoup d’autres auteurs encore de ce monde : ils produisent la langue, ils n’en parlent pas.
T. Ould Amar
