Lui n’est ni plus ni moins qu’un architecte de formation mais les moyens pour ouvrir un cabinet ne sont pas à sa portée, ses ressources financières disparaissant dans le gouffre des dépenses familiales. Aujourd’hui, il se retrouve propriétaire d’un local où la clientèle afflue au point qu’il ne peut se permettre la pause-déjeuner, les téléphones portables, les puces, les cartes de recharge et les différents accessoires se vendant comme des petits pains. Ainsi, s’il fait des projets, ce n’est plus sur » plan » mais sur » réel et palpable « . La réussite est au bout de ce long parcours, de travailleur non déclaré à associé puis propriétaire. Quant à Zakia, elle qui faisait la fierté de son père » Ma fille deviendra une dentiste de renommée mondiale ! « , elle a attendu longtemps, gardant l’espoir d’obtenir une aide pour l’acquisition du matériel indispensable pour activer. Le fauteuil coûte les yeux de la tête et les différents outils ne sont nullement à la portée de la petite retraite de son père, simple fonctionnaire qui avait fondé de grands espoirs dans l’avenir de sa fille. Mais, au bout d’un stage en informatique de gestion, une nouvelle situation s’est créée dès que le formateur s’est rendu compte de la compétence de la jeune fille pour une collaboration qui s’est resserrée … jusqu’au mariage. Et la boucle est bouclée !
Le destin et la destinée ont oublié leur complémentarité. Aujourd’hui, la » dentiste de formation » est vite oubliée, l’informaticienne s’étant spécialisée dans la gestion des entreprises au point que son bureau est rarement vide de clients. Les exemples ne manquent pas. Beaucoup ont tout à fait oublié le » métier » auquel ils se destinaient le jour où le » bachot » avait été acquis. Les petites boutiques qui fleurissent le temps d’un printemps sont leurs œuvres. Comment voulez-vous qu’un jeune homme ou qu’une jeune fille, formés l’un l’autre et destinés à devenir avocats, peuvent-ils faire, avec leur maigre moyen et sans le soutien d’une bonne rente paternelle et/ou maternelle, payer le stage auquel tout avocat est astreint avant de pouvoir se vêtir de la célèbre » robe noire » qu’ils avaient tous souhaité endosser avec fierté ? Ce prix à payer ferait-il partie d’un tribut dont ils seraient redevables ? Ou bien serait-il un frein pour leurs jeunes aspirations, leur imposant un » asservissement payant » avant de parvenir à leur objectif qui serait devenu aléatoire et peut-être même illusoire ? Combien de juristes se retrouveront à faire la queue pour obtenir un emploi temporaire, de seconde main, et reniant leurs compétences pour satisfaire à des nécessités conjoncturelles et si terre à terre, faisant fi de la dignité, de l’amour-propre et de la personnalité, exigences stomacales sans limites temporelles !
Entre propositions et … propositions.
Quoique les pages de journaux soient archicombles de propositions de recrutement sur concours, une mésaventure a été vécue par Karima et Samira (deux copines d’université) qui avaient cru en cette perche tendue. La première dépose son dossier dans les normes et informe son amie, laquelle parvient à déposer le sien dans les temps. Le dossier fourni par Karima lui revient par la poste avec la mention » Concours annulé » tandis que Samira, elle, reçoit une convocation en bonne et due forme, se présente aux épreuves et se retrouve » recalée « , elle qui était major de promo durant son cursus, de l’école primaire à l’université ! C’est à n’y rien comprendre !
Le » Contrat premier emploi » a ouvert des horizons multiples mais la réalité est tout autre. Pour obtenir cet » emploi » qui ressemblerait plutôt à une aumône faite à des » mendiants du travail « , il faut attendre. Ce n’est pas le temps qui manque. » On » attendra des siècles, s’il le faut ! Les années d’université ou de lycée sont passées trop rapidement ! Les années d’adolescence n’ont duré que le temps de se rendre compte que la jeunesse fait place trop rapidement à une vieillesse pour laquelle ces jeunes ne sont nullement préparés ! Alors, en désespoir de cause, l’on rejoint le lot de ceux qui se cherchent au moins une occupation pour un temps qui passerait trop rapidement encore, pour un » petit » contrat dans le cadre de l’ » Emploi salarié d’initiative locale » (ESIL), une façon comme une autre de faire tromper les chiffres du chômage, ces chômeurs étant employés ou plutôt exploités et bénéficiant de la couverture sociale. Mais cela ne peut concerner que ceux qui satisferaient à une condition stricte (moins de 30 ans) et pour une durée limitée non renouvelable. Tant pis, on verra après comment faire, si les relations n’arrangent rien. Sachant pertinemment que pour être intégré dans le cadre de l’Indemnité d’activité d’intérêt général (IAIG), il faut satisfaire encore à d’autres critères résumés dans une instruction ministérielle qui ne s’applique manifestement presque pas dans la réalité !
Les objectifs essentiels sont vite contournés par la gestion de proximité d’une situation ingérable où tout le monde s’empresse de se faire inscrire sur les listes, de fournir les documents nécessaires pour la constitution du dossier, les vérifications étant impossibles tant l’on découvre que des personnes du troisième âge trouvent encore le moyen de se faire délivrer une attestation de non-activité salariale – en dépit de leur âge avancé – et pour d’autres, des témoignages d’inactivité en dépit de la fiche de paie qui continue de tomber dans leur escarcelle mensuellement ! Quelqu’un peut-il expliquer que de tels documents soient établis avec témoignage à l’appui ? Et surtout, peut-on expliquer qu’un certificat de résidence puisse être délivré au nom d’un mineur sur simple demande, tandis qu’un adulte devrait présenter sa carte d’identité ? Ce ne sont là que des aberrations dont l’administration ne pourra jamais se défaire facilement !
Une autre ouverture qui n’arrive pas à s’ouvrir.
Bien sûr, une autre voie s’est ouverte devant le flot des demandeurs d’emploi, par le biais de l’ANSEJ, sous réserve de produire, comme toujours, un dossier en bonne et due forme, le dossier dépendant exclusivement de son acceptation et de l’agrément si difficile à obtenir. Il en est quand même qui ont pu parvenir à leurs » fins « , mais les méandres qu’ils ont dû suivre valent bien de faire l’objet d’un récit complet et circonstancié ! Les va-et-vient d’un bureau à un autre, d’une banque à une autre, d’un service à un autre rempliront bien des pages si l’idée venait à un jeune d’en faire le récit !
Pour les personnes seules, divorcées, handicapées ou sans ressources, l’Allocation forfaitaire de solidarité (l’AFS) demeure le seul et unique recours pour ceux qui n’ont rien. Et l’on déclare que le niveau de vie s’est relevé, que les gens vivent mieux, que la situation sociale s’est améliorée, que … que … et que… tandis que les concernés, eux, savent bien que cela n’en est rien. On n’osera jamais dire que les fins de mois ne sont pas pénibles quand l’indemnité reçue file entre les doigts au bout d’une semaine à peine, quand on a pu la faire durer sept jours !
Hakim, un jeune de plus de trente ans, technicien supérieur de formation, ne se plaint pas. C’est simple et logique. » Tant que mon paternel est là (que Dieu lui prête longue vie !) je dispose de tout ce que je veux « . Taous, une belle jeune fille indolente, ne semble, quant à elle, nullement affectée par cet état de fait. » Je végète et je m’en fous ! Ma mère m’a signé une procuration pour la gestion de la pension de reversion (mon père est décédé) et je vis comme une princesse ! Nul souci de fins de mois ! Tout m’est permis, sans restriction aucune » ! » Moi « , rétorque Saliha, tout en faisant une moue qui la rend encore plus jolie, » J’ai su tirer mon épingle du jeu, à ma manière. Mon ex (on vit séparés mais non divorcés pour l’instant) me verse une pension mensuelle, tandis que ma belle-mère, veuve de chahid, me pourvoie largement car elle me considère comme sa fille ! Avec ce que me donnent mes parents, je n’ai pas à me plaindre, n’est-ce pas ? »
Et les autres ?
Mais, peut-on se permettre d’oublier ceux et celles qui, contraints par les contingences et les aléas de la vie, se sont contentés de ce » cadeau empoisonné de l’emploi temporaire sous contrat à durée déterminée « , rejoignant leur poste d’affectation pour effectuer un travail colossal, faisant face même au mépris du responsable qui ne cesse de se plaindre de la qualité du travail fourni –travail de qualité, s’il en faut – mais toujours dénigré et subissant une exploitation sans vergogne de gens qui, réellement, n’auraient jamais su faire eux-mêmes, les compétences et les qualificatifs n’étant jamais logés à la même enseigne, ni dans les mêmes cerveaux ! Un certain » responsable » n’a-t-il pas apposé sa signature et sa griffe sur la » carte du menu » que lui présentait le garçon (chômeur diplômé y travaillant » en noir « ) dans la salle d’un grand restaurant ?
Une seule solution à l’horizon
Et l’on revient au sens de la » débrouille « , ce célèbre sixième sens dont pratiquement tout le monde semble pourvu, qui permet de » sentir les bonnes affaires » et de » sauter sur les occasions en or « , se refusant à » persévérer » dans une espérance si souvent déçue et une attente trop souvent vaine. Les fronts juvéniles se rembrunissent et les têtes grisonnent avant que les épaules ne ressentent le poids des années. La vieillesse semble briller par une précocité unique – ou peut-être exceptionnelle – à l’échelle planétaire !
La jeunesse qui forme la majorité de la population, se sent de plus en plus abandonnée dans cette jungle administrative sans fond peuplée de documents si difficiles à acquérir appelés à terminer leur » course » dans le fin fond des tiroirs de la bureaucratie d’où ils ne reparaîtront que pour disparaître directement au milieu des » bûchers » locaux. Elle en est même à s’interroger si » on a pensé à lui donner une place au soleil dans ce pays si merveilleux et si … désespérant « .
Sofiane Mecherri