Sur les lisières de la perfection

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Par : Mina A.

J’ai mis beaucoup de temps pour vous rejoindre. J’allais sortir, quand soudain, le volet de la fenêtre entrouverte pivoté par le vent, me retint. Il fallait la refermer, notre absence va être longue. La porte grinça moins que d’habitude, j’ai fait attention à la soulever. Je ne voulais réveiller le malheur de qui pouvait s’émouvoir par ce gué vers la liberté. J’entrais en regardant vers le haut des escaliers. J’espérais en vain apercevoir un sourire laid et triste. Je lui aurai, comme jamais je ne l’ai fait, dit de m’accompagner. Lui dire qu’en fin il est libre, qu’il fuit, qu’il aille effleurer tous les horizons. Pour un moment j’ai cru entendre ses pas lourds avancer. Je me suis arrêtée, je m’apprêtais à sauter de joie, à dire tous ces mots qui me brûlent la gorge. Le bruit a fini par s’estomper, enfin je n’entendis plus rien. Probablement, il retourna sombrer dans son silence éternel. Il ne désire plus ce qui vient se moquer de ses rêves assassinés. Il les a perdu, aucune panoplie pour manœuvrer la vie. Il n’est plus utile de l’entendre maintenant qu’il ne crie plus. Déçue, j’avançais. Je ne pouvais refermer cette fenêtre sans être curieuse de voir, de quel décor elle s’est longtemps consolée. Elle me regardait jouer dehors, dans le champ voisin. Je me demandais ce qu’elle pouvait bien chercher collée à cette fenêtre. Pourquoi, toute attachée à cet extérieur ne sortait- elle pas alors ? Elle m’a souvent dit de ne pas comprendre pour ne pas lui ressembler. Je ne sais quel démon l’habite pour ainsi s’associer aux signes du mal.

Elle voulait crier, s’évader vers l’inconnu. L’univers où elle aura une chance sur cent pour être heureuse. Après cette contemplation de détente ou de rancœur elle rejoint sa tâche, semble-t-il innée, elle assure le confort des locataires qui rentrent tous les soirs apaiser leurs fatigues. Elle les attend, mange avec eux pour garantir un plus bref service.

Je remontais à pas pressés vers sa chambre. J’allais comme emportée par une folle envie d’avoir son odeur entre mes mains. Ignorant où chercher, bousculée par une triste image qui me revient, je démêle tous les paquets de vêtements. Je ne le trouve, je ne sais où. Qui l’a pris? Je m’alarme, comme si de nouveau je venais de la perdre. Je me jetais sur son matelas. Je ne me soucie pas de ces tonnes de poussières qui en. Je voulais retrouver ces jours déjà loin. Quand je venais me blottir contre elle, comme à la recherche d’une histoire, de qui n’a jamais vue la vie des hommes en dehors de ce sacré fort. Ça m’amusait d’écouter les rêves que tu appropriais toujours à tes héros. Ce sont tes rêves, à présent j’en suis bien persuadée. Tu me dictais les rues qui mènent. Tu n’as jamais osé les prendre, de peur peut être, de prévention sûrement. Une nuit, encore des plus froide, il n’a pas cessé de venter. Nous étions seules, tous les hommes étaient encore dehors. On les attendait toute la nuit, aucun d’eux n’arriva. Nous veillâmes à l’attente du pire, du malheur. Nous attendîmes ainsi bien des jours mais plus très longtemps. Enfin il fallait bien faire autre chose que de commencer le combat par la soumission. Tu me pris par le bras, me demandais de ne plus pleurer. « Cesse de geindre le mal de l’inconnu, la mort du mortel. Viens, nous allons cherché la vertu du bonheur, nous la connaîtrons, c’est déjà bon. » Le vent cessa un instant, confiantes on bondit dehors. Mais ce n’est plus le même dehors que j’ai laissé au dernier contact. Tu ne t’en aperçois pas, je sais, tu ne l’as jamais vu auparavant. Il n’y avait plus tout autour de nous que cette jungle, ces arbres et buissons en accrochage.

Cette prison, la moisson de plusieurs générations, plusieurs inventions de la bêtise humaine. L’avancée était dure. Dire que c’était ton avancée ; accrochée sur ton dos, j’attendais la lumière pour gambader vers l’avenir. « Attache-toi bien, si la lumière existe, il faut juste avancer vers elle sans jamais te soucier des griffes, lesquelles te blessant ne peuvent que te rendre forte si tu n’acceptes pas la dépendance. Ne cherche plus les jours que tu lègues au passé, car si d’autres ne t’attendent pas plus loin, les larmes ne seront qu’un accessoire inutile. » Ce fut, je crois, les derniers mots que tu m’as dit.

Sûrement, comme moi, tu entendais ces bruits que provoquaient ces insensibles passants sur notre chemin. C’est de nous qu’ils parlaient. Ils se demandaient ce que nous pouvions bien venir faire par là. Ils se souciaient des locataires, eux, qui ne trouveront le service et le confort habituel.

Non, je ne m’en doute, j’ai bien saisi, par cette voix rauque, un désir atroce de nous renvoyer là-bas d’où nous venions. Ce n’était pas une illusion, tu tremblais aussi bien que moi, mais tu répétais seulement que la lumière ne vient pas, mais attend tout le temps qu’il faut. Arrivées au bout de ce que j’ai fini, pour ne jamais t’oublier, par appeler les lisières de la perfection, les soldats de l’erreur criminelles ont venus rappeler notre présumée conscience inconsciente de son devoir de retourner les pas. Sur l’autre rive inconnue, la vie est différente. C’est le monde qui bouge, c’est le mal qui se soigne, c’est la guerre vaincue. Hélas, rien n’est pareil. Passés pour humains, ils prétendaient que toi, tel un petit poisson tout fragile tu ne peux vivre ailleurs que chez toi. Un monde que tu as longtemps nourri. Tu t’en aperçois, toi qui as trop appris dans ta vie solitaire, de ce monde de mineurs, de terrorisés par ta force lassée par leur présence superflue. Tu dois te voir en moineau tout doux, tout fragile, ainsi tu seras un gibier très facile, une chasse de loisir. Tu l’avais bien appris. Tu te retires, tous ne peuvent survivre à la fois. Ta fin par le recul est certaine. La mienne à moi par l’essai demeure probable. Sans voir en moi, une vie qui meurt mais une mort qui peut survivre, tu balances ce petit corps devant, vers le début où la fin, le bien ou le mal. Tu te laisses voilée pour l’éternel. Sous un linceul noir, tu emballes tes rêves illicites. Je vais devant, sur le territoire des fous, des insoumis. Tu as souri en t’éloignant, tu l’avais bien dit, tu désirais juste connaître la vertu du bonheur. Tu as empli ton coeur de cet air que tu as tant cherchée. Tu es partie avec un dernier souffle de liberté, léguant à moi son exploit. Je ne l’ai pas trouvé, ton foulard, que je flairais l’autre jour que tu me portais sur ton dos. Je n’ai pas ton odeur entre mes mains, mais je ne le regrette plus car je sens tes rêves qui font palpiter mon coeur. J’ai ton avenir dans mon âme. Je suis le relais de tes espérances.

Ainsi alors, sur les lisières de la perfection, il y a toujours des victimes. Je ne reviendrai plus sur ce seuil, car le recul est une marche vers l’échec. Je ne te pleure plus, je te fais vivre en moi.

M. A.

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