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Si Larbi, le martyr anonyme

Le grand martyr, Didouche Mourad, l’avait bien exprimé à travers une phrase qui ressemble plus à une sentence : «Si nous venons à tomber au champ d’honneur, défendez nos mémoires !» Hélas, il semblerait que la promesse faite aux martyrs est tombée dans l’oubli. Car, quarante cinq longues années après l’indépendance, beaucoup de hauts faits d’armes, d’actions héroïques et de martyrs demeurent dans des zones obscures. Tant de points ne sont toujours pas éclaircis pour une guerre que l’histoire a qualifiée d’honorable, une guerre révolutionnaire qui demeure encore exemplaire à plus d’un titre. Si tant s’en revendiquent encore, il en existe qui ne peuvent exprimer leurs sentiments, ceux-là, tombés au champ d’honneur, qui attendent un devoir de mémoire de leurs frères survivants. Auprès des citoyens de la région de Taghzout commune de Illilten, daïra de Iferhounen, dans la wilaya de Tizi Ouzou, le martyr Si Larbi ne peut disparaître de la mémoire collective. Seul son prénom est demeuré et tout le monde sait que ce grand combattant à l’échelle maghrébine, militant des premières heures de la cause nationale, a sacrifié sa vie pour son idéal : l’indépendance nationale. C’est un petit point, sur un chemin de montagne qui traverse une forêt sise près du village de Taghzout. C’est une tombe très ancienne qui attire le regard des promeneurs et des voyageurs, là, cachée entre des rochers massifs et des chênes séculaires. La pierre tombale ne porte aucune indication, brillant par un anonymat singulier, puisque seuls les villageois d’âge mûr peuvent orienter les recherches. D’ailleurs, quelles recherches ? Celles d’un simple citoyen qui ne ferait que satisfaire une curiosité momentanée et tout à fait personnelle ? Ou celles d’un officiel qui s’inquièterait au passage et qui, certainement, oublierait tout le soir même ? Les seules recherches qui s’imposent sont celles de ceux qui ont le devoir d’écrire l’histoire et qui doivent se rappeler qu’ils ont pour obligation morale de ne pas se contenter de relater, uniquement et égoïstement la leur ! Cette tombe anonyme renferme les restes d’un martyr de la cause nationale. C’est un homme d’âge mûr, dont le nom a disparu derrière un surnom de guerre, que tout le monde appelait Si Larbi et qui est resté «Si Larbi» dans la mémoire collective et villageoise. «Si Larbi» comment ? et d’où ? nul ne le sait. Mais tout le monde reconnaît en lui un militant nationaliste à l’échelle maghrébine, qui respecte Dieu et qui n’aime que son pays «Ldjazayer». Ainsi, il a sacrifié sa vie pour la satisfaction d’un idéal enraciné dans ses gènes : l’indépendance nationale. Si, de son vivant, Si Larbi était respecté pour sa bravoure, son abnégation, ses compétences dans l’art de la guerre, s’il était admiré de ses frères combattants, parce que, rappelle un vieux du village, «Il s’y connaît très bien dans les techniques de guerre et dans le maniement des armes», on ne peut oublier qu’il a affronté tout un régiment de l’armée coloniale dans la région de Imsouhal et qu’il a récupéré toutes les armes dont il a doté ses camarades de combat. Il a réussi à abattre un avion militaire français qui avait osé frôler la cime des arbres dans la région de Illilten.

L’on ne peut fixer avec précision la date de sa mort qui remonterait selon certaines informations vers août 1959. Mais sa tombe sise à «Oued Taghzout» appelle à un hommage que la société doit lui rendre et sa place définitive ne peut être qu’auprès de ses frères d’armes dans un cimetière de martyrs. Et pourquoi pas rehausser sa gloire en érigeant une stèle à son honneur ? Ne l’a-t-il pas méritée, cette stèle par un sacrifice exemplaire ? Ne faudrait-il pas penser à tous ceux qui sont demeurés dans l’ombre de l’anonymat faute de n’avoir personne pour la défense de leur mémoire, afin que la sentence de Didouche Mourad soit satisfaite ? A l’heure où la conscience nationale appelle à une écriture de l’histoire de la révolution sans animosité ni revanche, il serait grand temps que les oubliés reprennent le droit et la place qu’ils méritent dans la mémoire collective. Si d’aucuns terminent toujours leurs discours par la sempiternelle expression «Gloire à nos martyrs», ne serait-il pas temps de «rendre à Dieu ce qui est à Dieu et de rendre à César ce qui est à César» ?.

Sofiane Mecherri

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