Rap n’Eddine

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La chronique de Slimane Laouari

Nous savions qu’El Karadaoui avait ses supporters chez nous et nous nous en accommodions. Depuis que les Algériens donnent l’impression d’avoir définitivement renoncé au meilleur et se résigner à la jubilation devant le moindre mal – en fait la formule consacrée est « le moins mauvais», ce qui est plus explicite et plus révélateur – les stars se bousculent au portillon. N’importe quel douktour de la foi, pour peu qu’il se tienne à une distance respectable (ou calculée ) du pire, force l’admiration, voire suscite des vocations dans nos espaces déblayés, mais parfois là où nous nous y attendions le moins. En m’arrêtant jeudi passé sur un entretien du rappeur à succès Lotfi Double Kanon, j’ai d’abord rigolé un bon coup devant sa prétention, au demeurant sympathique à « éduquer » ceux qui l’écoutent, avant de me rendre compte que finalement, il n’avait pas décidé tout seul d’avoir la grosse tête. « Mûrir », c’est donc pour notre tchatcher en musique, renoncer à tout ce qui a fait son charme et sa réussite : un peu d’irrévérence dans un monde d’alignés. Après avoir « purifié » ses textes, le jeune chanteur a ainsi abandonné ce qu’il sait faire de mieux, pour entamer une carrière new look et un autre destin, ce qui lui a valu une invitation de Madame El Karadaoui à un débat où il aura l’insigne honneur d’éclairer les présents sur le secret de l’influence du célèbre mufti égyptien sur « les intellectuels et les artistes ». Doit-on pour autant en déduire que le théologien et le rappeur sont d’égal niveau au point d’échanger dans une commune complaisance des flatteries de médiocres? Sûrement pas ! Si, le premier, qui déclarait il n’y a pas si longtemps qu’il était « ahuri par l’accoutrement des filles de Tizi-Ouzou et les enseignes en français dans la même ville » a tout à gagner dans ce déroutant acoquinement, il n’en est pas de même pour l’artiste qui n’est apparemment pas loin de vendre son âme au diable. Pourquoi ? Parce qu’El Karadaoui est dans son rôle. Il a des idées et il tient à les faire partager en cherchant des relais efficaces, quitte à ce qu’ils s’appellent Lotfi Double Kanon et avoir écumé les cabarets les plus mal famés. C’est même « es qualité » qu’il a mérité la sollicitude du cheikh qui ne prêche pas souvent des convaincus. Quant à lui, Lotfi Double Kanon, qu’aura-t-il à entirer en allant raconter tout le bien que « les artistes et les intellectuels » pensent d’El Karadaoui, si ce n’est abandonner ce qu’il sait faire de mieux pour enfiler un habit suicidaire un peu à la manière de l’âne dans la peau du lion ?

S.L

PS : Cette malédiction poursuit nombre d’Algériens qui ont du mal à faire de leur vocation une passion. De grands artistes ont fait de piètres dirigeants politiques, d’éminents médecins de mauvais ministres et des techniciens lumineux de médiocres gestionnaires. Ils ne sont pas toujours blâmables du fait que souvent leur reconversion est l’unique chemin de la promotion sociale.

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