S.O.S. population en danger !

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En effet, cette région distante de quelque trente kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, au sud-est exactement, n’arrive toujours pas à se libérer du joug du mal-vivre qui ronge plusieurs de ses quartiers. Du sud au nord et de l’est à l’ouest, le bruit de la misère n’a point de difficulté à se faire entendre, les citoyens conjuguent leur présent avec une obsession presque maladive, celle de devoir survivre aux aléas d’une vie, d’un quotidien étouffant, qui n’a rien à leur offrir, même la patience aura fini par sombrer.

“Le temps n’est pas à l’espérance”

La cité Abane-Ramdane est justement l’illustration parfaite de cet état de fait. Une simple virée sur les lieux, nous permet de constater toute la détresse, la misère subie par les habitants de cette cité située sur les frontières de la commune des Ouadhias (du côté nord) avec celle de Tizi N’tleta. Cette cité, qui porte, pourtant, le nom d’un grand homme de la Révolution algérienne, offre de loin l’image d’un ghetto, un véritable bidonville qui offre tristement un tableau peu reluisant des Ouadhias. Nous sommes le lundi et il fait un temps superbe. Accompagné de Mouloud et Amar, tous deux membres du comité de la cité Abane, nous commençames notre virée qui nous mènera droit vers les souffrances de quelque neuf cent habitants de la cité Abane-Ramdane de la commune de Ouadhias, à bord d’un petit véhicule, nous nous engouffrons à l’intérieur de “ce bidonville”, la misère est perceptible sur des visages qui affichent un étonnement. Notre visite a surpris les habitants habitués à ne voir que les… résidants de la cité, eux qui ont toujours souffert, à en croire les dires de nos accompagnateurs, d’un isolement total… Déjà à l’entrée de la cité Abane, le laisser-aller est palpable, la route est délabrée, dans un état piteux. “Nous n’avons pas cessé de demander aux autorités locales, à l’APC plus particulièrement, de revêtir ce tronçon car nous souffrons surtout en période hivernale. Apparemment, nous ne méritons pas cet égard aux yeux des responsables de l’APC”, dira tout de go Amar Didane du comité de quartier. Nous sommes accueillis (une fois n’est pas coutume) par une meute de rats entassée à l’extérieur d’une bâtisse. Pour une visite de travail, cela ne pouvait être que révélateur de l’état de déliquescence dont lequel patauge, malheureusement, ce lieu qui regroupe plusieurs centaines de citoyens contraints de subir un affreux quotidien, le temps n’est apparemment pas à l’espérance.

Pour la petite histoire, la cité Abane-Ramdane des Ouadhias a été construite par les Russes. Inaugurée aux alentours des années 65-66, en compensation à la politique de la terre brûlée menée par l’armée coloniale durant la guerre de Libération, à l’égard des paysans, le village Aït Argane, dont est issue presque la totalité des habitants de cette cité, donnera le sacrifice de 365 de ses enfants. “Nous nous somme déplacés en réfugiés 45 ans après l’indépendance de l’Algérie nous restons toujours des réfugiés, il faut que cela change”, déclare encore M. Didane. Plusieurs maux rongent le quotidien des Iwadhiyen de la cité Abane-Ramdane. Presque à chaque créneau évoqué, nous nous arrêtons longuement tant le fossé est grand et large ; ici l’eau arrive “normalement”… une fois tous les quinze jours, mais la cité aura vécu plus de trois semaines sans ce liquide précieux. Au cours de la discussion que nous partageons avec nos accompagnateurs, nous assisterons à une dispute brutale. “Il s’agit du fournisseur d’eau de citernes; ce dernier accuse un retard dans la prise en charge de la très forte demande, ce qui soulève le courroux des citoyens”, nous dira M. Doufène. Celui-ci nous fera savoir que pour les 1 000 litres d’eau, “nous sommes obligés de débourser 400 DA”. Dans ce sillage, l’on nous informera que même les conduites AEP sont vétustes. “Nous prenons de l’amiante en raison de l’ancienneté des conduites de distribution de l’AEP”. Un citoyen viendra avec la copie d’un avis de l’APC informant la population d’une probable infiltration des eaux usées dans les conduites AEP, Mouloud et Amar en sont convaincus. “Cela ne date pas d’aujourd’hui. Nous fumons l’amiante et nous buvons toutes sortes de liquides nocifs”. Le réseau d’assainissement n’est pas en reste, puisque les odeurs nauséabondes qui provoquaient, tout au long de notre visite, nos narines, sont révélatrices de l’état des lieux. Des réseaux sont éclatés partout; le risque de maladie qui n’est point exclu en raison, surtout de la proximité de ces fuites avec les habitations. “La sonnette d’alarme est tirée. La balle est dans leur camp”, notera Mouloud Doufène.

Au milieu de la cité Abane-Ramdane, une stèle est érigée à la mémoire des martyrs du Printemps noir, Feddi, Bouarab, Khorsi et Sennour, les quatre jeunes assassinés durant les événements de 2001. Ils sont là, présents dans la mémoire collective de cette cité, signe que ses habitants résistent à tout.“Les 85 maisons existant ne peuvent plus supporter ce malheur. Nous résistons certes, nous avons un moral d’acier, mais, cela n’empêche pas certains de nos chers enfants de sombrer dans la misère; la malvie nous a pris deux hommes qui se sont suicidés, on déplore dans ce sens, l’attitude des autorités locales, à leur tête le P/APC, qui affichent une différence provocatrice à notre égard. Les responsables, nous les avons perdus de vue depuis belle lurette. Cette dénonciation je l’assume pleinement car c’est la vérité, nous sommes des laissés-pour-compte”, ajoute M. Doufène avec un air de colère.

Cette indifférence est prouvée, selon M. Didane par la non-concrétisation des engagements pris par les responsables, il exhibe deux P-V de réunion datés respectivement du 31 juillet 2006 et du 13 novembre 2006 dont lesquels est écrit.“Il a été décidé unanimement de privilégier l’étude de la cité Abane-Ramdane : par le bureau de la révision du PDAU de la commune des Ouadhias, par la Direction de l’urbanisme et de la construction de Tizi Ouzou afin de délivrer la situation juridique et délimiter la cité”. Il ressort de ce P-V (dont une copie nous a été remise), que le délai de l’étude a été fixé à un mois. “Vous voyez bien que le comité de la cité n’a pas reçu à ce jour, après presque une année, les résultats de l’étude” constate Amar, notre accompagnateur. Ce dernier précisera, un peu plus loin, que la solution existe un relogement progressif. “Des terrains existent bel bien à l’intérieur de la cité, la construction passe par une étude du sol. Je dénonce l’inertie du maire et du chef de daïra face à nos problèmes urgents, une sérieuse prise en charge de mes doléances est nécessaire, sinon nous serons condamnés à mourir…” a déclaré encore M. Didane. Nous nous arrêtons pendant un laps de temps dans le café appartenant justement à Mouloud, notre accompagnateur. Nous sommes invités à prendre un café aux côtés de quatre jeunes attablés dans un coin isolé du café. La discussion est animée, notre arrivée bouscule un petit peu la triste routine. “Notre quotidien se résume à se mouvoir au milieu des bâtisses de notre cité, nous respirons la misère et nous prenons notre lot de problèmes comme une malédiction, en attendant mieux, nous errons d’un café à un autre, nous faisons semblant de vivre. Oh ! plutôt de survivre! vous voyez tous ces jeunes ils sont laminés, l’espoir pour eux est vif, cependant, la réalité les oblige à être pessimistes”, déplore Amirouche, un jeune la vingtaine passée. Il est vrai que l’infrastructure qui devait servir à accueillir ces jeunes, est inexistante, ni foyer de jeunes, ni aucune structures, l’unique salle des fête située au centre de la cité, a été cédée au CFPA puis à l’école primaire. “Et pourtant plusieurs de nos enfants font le bonheur des associations locales, culturelles ou sportives” souligne Amar.

“L’amiante qui nous tue…”

“Nous soussignés, l’ensemble des habitants de la cité Abane-Ramdane, commune de Ouadhias, avoir habité des maisons construites à base d’une matière dangereuse l’amiante” cet énoncé est une pétition adressée, par les habitants de cette citée aux autorités pour les prévenir du danger de l’amiante auxquels ils sont confrontés. Notre visite nous renseignera de la terrible peur qui ronge les esprits ici, toutes les personnes que nous avons rencontré ici sont hantées par les risques de l’amiante. Amar Didane nous présentera un dossier complet qui prouve, une fois de plus, que l’amiante a tué “il s’agit du cas de Mme M. S. qui a été traitée au centre anti-cancer Zabana de Blida pour une maladie en rapport avec une exposition prolongée à l’amiante. La majorité porte un risque, je ne dit pas ça pour créer un climat de panique chez mes voisins, mais cela doit être fait pour alerter les autorités sanitaires. Nous sommes en danger de mort,” dira Mouloud Doufène ajoutant que “les autorités locales ne semblent pas se soucier de nos malades. Sommes-nous ou non des être humains comme les autres?”. Des citoyens que nous avons approchés disent être au courant de ces risques. “Nous respirons l’amiante du fait de l’ancienneté de la toiture en ternites, les conduites d’AEP 12-17 sont là depuis 1968. Le pire est à craindre à présent” note l’un d’eux. Un sentiment de désarroi, de crainte et d’inquiétude se lit sur les visage quant aux conséquences fâcheuses d’un tel état de fait. Ainsi le marasme social dans lequel pataugent les résidants de cette cité rime indéniablement avec leurs peurs et angoisses, vivre à dix, parfois plus, dans un foyer sous les poussières de l’amiante. En l’espace des quelques heures que la visite nous a pris, nous avons eu à partager cette crainte, ces difficultés avec eux, car il est pénible de subir les affres de la misère et le mal-vivre qui se mêlent paradoxalement à la mort. Les résidants de cette cité qui porte malheureusement le nom de Abane Ramdane guettent un signe des responsables qui viendra alléger leur souffrance, eux qui vivent l’angoisse d’une mort, d’une maladie qui les guettent de près d’un moment à l’autre. Le constat est là… et la solution ? Les membres du comité de cité s’indignent par ailleurs, du “silence assourdissant” des autorités locales en dépit de maintes interventions publique (voir nos précédentes éditions). Ils lancent à cet effet un appel “strident” au wali de Tizi Ouzou “pour une visite sur les lieux afin de prendre connaissance, de notre marasme, les solution ? Oui, nous avons des solutions à lui proposer, l’essentiel est qu’il puisse nous écouter car je suis convaincu qu’il n’est pas au courant de notre situation. D’ailleurs, à en croire les rumeurs, certains ont tout fait pour lui éviter de visiter notre cité lors de son dernier déplacement,”ajoute encore M. Doufène. Comme nous l’avons constaté, la cité Abane qui offre aux Ouadhias une triste image d’elle-même, manque de tout: une route et un accès proprement dits, une salle de soins, une aire de jeux et un foyer pour jeunes. Enfin toutes les structures nécessaires pour une vie décente. A 14 h de l’après-midi de ce lundi, prend fin notre visite, nos accompagnateurs insistent pour nous inviter à déjeuner, cependant le moral n’y est pas, car nous avons eu à voir l’une des misères les plus deshumanisées. Au cœur des Ouadhias existe bel et bien un bidonville; l’urgence d’une intervention rapide des autorités se fait sentir au plus haut point… Nous quittons les lieux avec l’espoir de ne pas retrouver la cité Abane dans son état dramatique lors de notre prochaine visite… A bon entendeur !

A. Z.

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