Une activité en déclin

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Sous l’ombre de son imposant pied de vigne qui couvre sa petite cour de sa vieille Tazka, Nna Malha, une sexagénaire aux mains ridées non seulement par le poids des ans mais également par le travail paysan et artisanal, chantonne une sorte de berceuse en polissant méticuleusement une belle jarre. Sa voix à peine audible rime mélodieusement avec les craquements du polissage. Elle travaille avec insouciance. Ses gestes sont mécaniques et l’on devine tout de suite que son esprit est plutôt préoccupé par l’évocation dont seule elle a le secret. Soudain, se rendant compte que nous sommes assis en face d’elle, Nna Malha dira : “Tu sais mon fils, jadis les filles qui ne savaient pas travailler la poterie n’avaient point de prétendants” avant d’enchaîner : “Aujourd’hui, la nouvelle génération ne veut nullement apprendre, et rencontrer une potière ne relève plus d’une simplicité biblique y compris dans ces villages de Maâtkas…”, regrette-elle.En fait, la région de Maâtkas produisit jadis le plus grand nombre de pièces de poterie. Les plus belles aussi. Nna Malha reste donc de nos jours une “perle rare”.Ainsi, on a pu contempler des pièces aussi diverses que multiformes jonchant à même le sol de cette petite cour qu’on appelle communément, El Hara. Les Tissebalin, El Msabih, Ichmukhen, Tibukalin, Tibakyin, Ivtachen… se sèchent longuement en attendant cette fameuse cuisson (Tukda). “Ce jour-là, on le vit comme une vraie fête, on se lève tôt pour apporter les dernières retouches et on met le feu au grand bonheur surtout de nos enfants”, dira fort à propos notre interlocutrice. En effet, c’est en période printanière et estivale qu’on produit le plus pour ne pas dire la totalité. A une question relative aux raisons du choix de ces saisons notre potière expliqua : “Nous avons d’autres besognes en automne et en hiver, particulièrement agricoles. Qui va ramasser nos olives, labourer nos champs, planter… ?”Ainsi donc, l’agriculture, c’est à partir d’octobre, jusqu’à mai et l’artisanat l’inverse. Car il convient de préciser aussi, qu’en matière d’arts traditionnels la région de Maâtkas ne se limite pas uniquement à la poterie, mais également à la fabrication du tapis, du bernous, de la vannerie…En terminant de polir la jarre, Nna Malha nous a invité à l’accompagner au gisement à partir, duquel elle s’approvisionne en cet argile ocré qu’elle affine particulièrement bien. Il est déjà 11 heures. Et c’est ainsi que nous nous dirigeâmes à travers un sentier abrupt vers un champ situé non loin de son domicile en face de cet imposant Djurdjura, qui surplombe toute la contrée. Les rayons de soleil qui nous effleuraient deviennent brûlants. La chaleur est déjà suffocante. “Autrefois, ce sentier était quotidiennement embelli par les femmes qui y faisaient la navette pour chercher l’argile” se rappelle cette artiste, Nna Malha, qui dira : “Aujourd’hui, plus de potières, personne parmi la gent féminine ne s’y intéresse et la poterie disparaîtra sans doute avec nous. La vie moderne a eu raison de tous ces arts traditionnels…”.L’argile qui, naguère, faisait partie de l’environnement immédiat de tous les jours, est aujourd’hui remplacé par le béton et autres matériaux modernes. Jadis, les murs intérieurs de la maison sont crépis à la terre, modelés et décorés, les étagères, le kanoun, les réserves de graines (ikufan) sont bâtis en terre séchée. “Moi, je ne peux manger avec une assiette en plastique et boire qu’avec mon vase…” arbore Nna Malha vanitement. De retour du gisement du village, nous croisâmes un jeune étudiant qui milite dans le mouvement associatif. Après une brève discussion à bâtons rompus autour de la poterie, notre ami nous rappelle amèrement : “En fait, la fête de la poterie dont Maâtkas s’enorgueillait, n’existe plus. Sera-t-elle organisée cette saison ?”.

Fête de la poterie : Le retour ?La fête de la poterie, cet événement annuel qui a fait grandement sortir Maâtkas de son anonymat, est-elle en passe de devenir qu’une nostalgie ? Après neuf éditions, est-ce la désillusion ? Ce sera un énorme gâchis si ce serait le cas ! Pourtant la consécration a eu lieu en 1999, lorsque ce rendez-vous culturel a été institutionnalisé en Fête nationale par le ministre du tourisme et de l’artisanat d’alors. En fait, toutes les véritables chenilles ouvrières de cette manifestation ont changé d’horizon ou d’activités. Organiser aujourd’hui cette fête sans le mouvement associatif est inconcevable, voire irréfléchi. Les pouvoirs publics doivent impérativement lui faire appel. Car encore une fois le rôle des Tigjedit (Aït Zaïm), Tafrara (Cherkia), Ighil Aomène, Azbn Tafsut (Bouhamdoun)… ainsi que les comités de villages n’est plus à démontrer dans les précédentes éditions. Car il appartient à tout le monde aujourd’hui de participer à la sauvegarde de cet art millénaire en voie d’extinction.

Sauvegarde de la poterie : un devoir collectifParmi les avantages de cette fête de la poterie, dont les quelques artisans restants appréhendent sérieusement sa disparition. C’est cette facililé avec laquelle on écoule des centaines de pièces durant cet événement.Actuellement, les rares femmes qui continuent cahin-caha à produire le font beaucoup plus par amour pour cet art que pour des buts lucratifs. De ce fait, la production a vertigineusement chuté.Les femmes comme N’na Malha se comptent sur les doigts d’une seule main. Beaucoup d’entre elles ont pris leur “retraite” surtout qu’elles sont toutes avancées dans l’âge. La nouvelle génération ne veut pas se “salir” les mains. Les quelques vases et ustensiles produits de nos jours sont préalablement destinés aux émigrés et autres.“L’odeur du bled !”, comme aiment-ils à le répétér. En somme, Maâtkas n’est plus la capitale de la poterie berbère. Elle a malheureusement perdu cette consécration et pour l’heure rien ne la prédispose à reconquérir cette notoriété si ce n’est le relancement de cette fête.

Un art millénaire au fémininDe l’avis même des spécialistes, les femmes kabyles sont certainement les plus imaginatives dans la création des décors qui ornent les poteries. Parler aujourd’hui de l’âge de ces pièces est très difficile, car elles ont toujours pu résister à de multiples assauts qui ne cessent encore de leur asséner le temps. Les techniques, les décors et l’esthétique sont toujours fidèles à une tradition ancestrale et ils sont transmis de mère en fille avec peu d’amendements, depuis des millénaires.De nos jours, dans certains villages à Maâtkas, nous pouvons retrouver des pièces qui remontent au 18e siècle. Cette région a toujours revendiqué la réalisation d’un musée d’art traditionnel. Un projet, qui se fera sans aucun doute dans un proche avenir surtout si cette 10e édition de la fête de la poterie, qui s’annonce puisse réussir. Mais suffira-t-il, pour autant à pérenniser la pratique et à sauvegarder ces “trésors” ? Un chercheur dans le domaine disait fort à propos dans une édition de la fête : “Nous sommes tristes aujourd’hui d’être les témoins de l’oubli, mais soyons fiers au moins d’être les artisans de la mémoire !”.

Reportage réalisé par Idir Lounès

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