«C’est notre devoir de produire»

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La Dépêche de Kabylie : Vous qui êtes musicien, auteur-compositeur et producteur du groupe Abranis, vous vous êtes reconvertis à la littérature, notamment la littérature kabyle, parlez-nous un peu de votre expérience artistique au sein du groupe ?

Shamy : En ce qui concerne les Abranis, on a crée le groupe en 1967. C’est une aventure exceptionnelle, extraordinaire et unique dans l’histoire. On est ensemble depuis 39 ans. On a participé le 4 octobre 1973 au 1er Festival national de la chanson algérienne moderne, d’une part et d’autre part, nous avons pu réaliser par la suite différentes tournées, télés, un film intitulé, Les Etrangers, avec Salim Belkadi en 1973, à Alger pour la Télévision algérienne. Par la suite on a tourné en Allemagne, Angleterre, France, Maroc, Tunisie, Hollande et Italie, disons, une partie de l’Europe et une partie de l’Afrique. Nous avons pu réaliser, ensemble, six albums, dont le dernier date de 1993, (Walli Kan). Deux cassettes vidéo, qui ont retracé l’itinéraire du groupe Abranis à travers le son et les images, ont été aussi réalisées et qui ne vont pas tarder à être sur le marché, aux éditions Izem. Dans la même année, en 1993, j’ai enchaîné avec le premier volume d’une saga de 5 volumes, Orgueilleuse Kabylie. J’ai édité le premier volume ici en Algérie, tandis que le reste n’a pas pu se faire pour la bonne et simple raison, tout le monde connaît les événements. Le pays était à feu et à sang, donc ça n’a pas été possible de travailler ici. Ceci dit, la saga de 5 tomes, le dernier volume, qui s’appelle Désert des âmes, est édité en 2001 chez l’Harmattan. J’ai édité, ensuite, La Fiancée du soleil, chez l’Odyssée et l’Harmattan, cela fait deux ans. Au mois d’avril 2007 j’ai sorti le Dictionnaire des noms et prénoms berbères. J’ai réalisé aussi en 2001, le message kabyle, le Printemps noir. J’ai tourné en toute clandestinité, avec Nadia Dallal, une Franco-Marocaine. Avec ce film, nous avons pu faire, presque 500 projections à travers l’Europe. Il a été un mois à l’affiche à l’Entrepôt de Montparnasse et c’était complet. Par la suite, j’ai pu aller faire les projections en Allemagne, en Belgique, en Suisse, au Canada… Même ici en Algérie, j’ai pu en faire la projection à l’Université de Tizi Ouzou, dans les différentes facultés et résidences universitaires.

2- Qu’est-ce qui vous a poussé à aller de l’art, dix musicien, d’auteur-compositeur et de producteur vers la littérature ?

Dans le monde où l’évolution se fait à une vitesse qu’on n’arrive pas à contrôler, c’est un cheminement naturel. Alors, on appelle le septième art, parce que le premier n’est pas encore défini. Certains disent que c’est l’écriture, d’autres, c’est le dessin, la musique, etc. Le fait que j’arrive au cinéma, la littérature, me paraît aussi logique et naturel, car je ne conçois pas de rester toute ma vie dans la musique, c’est le cheminement qui s’effectue à travers toute la planète. Je fais aussi de la sculpture. Disons que depuis 35 ans, je suis que dans la culture et l’artistique. Et cela pour la simple raison, c’est que nous revendiquons notre identité et notre culture, mais elle ne peut se faire qu’avec la création, la production et l’évolution, tout le reste me semble dérisoire. Le politique gère ce qui existe, s’il n’y a rien, il peut rien gérer. Mon souci premier en 2005, j’ai écris et réalisé 5 CD bilingues, en kabyle et en français. A l’intérieur de chaque CD, il y a un livre avec des images, en plus de fonds musicaux, des musique en play-back. Tout ce travail, dans l’espoir de susciter et d’inciter et d’avoir des vocations nouvelles pour que les gens puissent s’initier à l’écriture et aux contes. Les instruments sont utilisés pour que l’oreille de l’enfant, puisse s’habituer à une musique, en grandissant, cela lui permettra d’avoir une base réelle pour faire mieux. Ces CD marchent bien. Il y a trois CD, kabyle et français, il y’a un autre uniquement en kabyle et l’autre uniquement en français.

3- Justement, pourquoi travaillez-vous en bilingue ?

Je travaille en bilingue pour des raisons pratiques. En écrivons uniquement en tamazight, nous n’avons pas suffisamment de lecteurs, d’un autre côté, et qu’on le veuille ou non, une bonne partie des Algériens est francophone, du moins la Kabylie est francophone. Le fait que j’écris en kabyle et en français, c’est pour rentabiliser mes produits. Je suis quelqu’un de privé, personne ne me finance, je finance moi-même tout ce que je produit. Si un jour je fais un livre, un film ou autre chose qui pas rentable, je dépose le bilan. A ce jour et depuis deux ans, je suis à un investissement avec facture de 85 000 euros, uniquement en Algérie. C’est colossal mais ce n’est pas en Algérie que je vais rentabiliser mes produits. Pour conclure, je produis en Algérie, précisément à Tizi Ouzou, j’exporte en France, Allemagne et autre pays francophones. Ce qui se passe en Europe au niveau du cinéma, littérature et confection, la conception et la création se fait en Europe mais la production et la main d’œuvre se fait en Tunisie, au Maroc et dans d’autres pays comme les pays de l’Est. Ça me parait tout à fait naturel, premièrement d’investir chez moi, le mot “chez moi” veut dire beaucoup de choses, ça fait travailler les gens, deuxièmement, qu’est ce qui me permet de gagner ? En les vendant en Europe, je les vends dix fois plus cher et je me retrouve équilibré.

4- Pourquoi avez-vous choisi le thème de Timucuha, (contes) pour écrire ? Vos contes sont-ils des histoires racontées ou sont-ils des histoires inventées ?

Sur les douze contes que je viens d’écurie, une bonne partie sont des contes traditionnels. Les autres sont ma création. Par exemple, le conte Yuva est ma propre création. Le fil conducteur du conte est un enfant qui a un quiproquo avec le responsable du village. Il a quitté le village pour décider de vivre seul. Il est parti vivre dans la montagne avec les animaux. C’est une histoire d’amitié entre ces animaux et l’enfant.

5- Ces animaux sont-ils connus dans la vision et la mythologie kabyles ?

Moi je ne sors pas du monde et de la vision de la Kabylie. Par ce que l’universalité, il faut partir de soi pour aller à l’infini. Il faudrait que chacun donne sa part pour que nous puissions nous élever tous ensemble. Sinon ça sera de la colonisation.

En outre, dans « La Fiancée du soleil », je traite l’histoire d’une fille née en France et suite à une loi, elle s’est retrouvée enfermer en Kabylie. Je traite le sort qu’on réserve à la femme en Kabylie. Orgueilleuse Kabylie, c’est cinq tomes où je traite un sujet de demi-siècle de culture, d’histoire de guerre entre les deux rives. Timucuha, c’est récent, c’est un ensemble de six livres, cartonnés bilingues, kabyle et français. J’ai pris Timucuha, parce que je perpétue notre mémoire, notre histoire et si elles nous sont parvenues à ce jour, c’est grâce à cette oralité. Cette oralité est incontournable. Nous sommes à un carrefour de la mondialisation, cette oralité, nous devons la rendre écrite et c’est notre devoir de le faire.

6- Concédez-vous que c’est un acte militant ?

Non ! Celui qui élève ses enfants n’est pas un militant. Pour moi, les militants sont ceux qui militent et ne font rien. Moi si j’élève mes enfants, ça me parait naturel, c’est pas du militantisme. Si j’essaye de contribuer avec ce que je peux pour le développement de mes racines et de ma culture, ça va de soi. Ceux qui parlent de militantisme doivent revoir leur copie. Parce que c’est une coquille vide et un fonds de commerce et le résultat on ne le connaît pas. Je peux me permettre de dire ici et là-bas, autant qu’ils sont, j’ai produit double d’eux. Je ne me considère pas comme militant, je me considère comme un créateur, un écrivain, un artiste… tout cela oui, mais pas un militant. Là, je ne fais que mon devoir.

7- Pourquoi avez-vous choisi les CD comme support ?

Le CD comme support, parce que j’ai visé deux circuits. Les cinq premiers CD, se vendent dans les librairies, parce qu’il y a un livre à l’intérieur. Donc j’ai deux circuits, je vends plus à Oran, Tlemcen, Ghardaïa… qu’en Kabylie. C’est un fait. Je remercie infiniment les éditions « Odyssée », Ali, pour ne pas le citer, il m’a beaucoup aidé. Parce que j’ai ramené un nouveau produit, j’ai voulu viser les deux circuits et je dois dire que le circuit littéraire et librairie à un niveau beaucoup plus haut. Mes travaux sont davantage appréciés dans ce circuit que dans d’autres. D’ailleurs, l’autre je ne l’ai pas exploité du tout. Je viens de conclure un contrat avec Izem, donc c’est lui qui s’occupera à partir de 2008, de mettre ces CD dans le milieu disquaire.

8- Comment voyez-vous la production littéraire en langue kabyle ?

Personnellement, je me suis promis de ne pas porter de jugement ni sur la musique, ni sur quoi que se soit. Je ne suis pas un donneur de leçons. J’essaye de m’occuper de moi et de faire mon travail. Et pour ajouter autre chose, j’ai découvert des talents exceptionnels, concernant la musique, par exemple on cite Djamel Kaloun, Ali Amrane et il y a une quarantaine de bonne facture, ils sont pas encore reconnus mais ça va venir avec le temps. De mon point de vue, il faut donner du temps au temps. Laissez les gens travailles en paix pendant quelques années et on verra s’il y a production. Je ne me permettrai pas de juger sur ce qui se fait en ce moment en Tamazight, au cinéma ou autre chose. La seule chose que je dis, c’est que je suis de tout cœur avec eux. C’est de notre devoir de travailler tous ensemble. L’erreur est humaine, moi j’ai 63 ans et je n’ai plus droit à l’erreur. C’est celui qui ne fait rien qui ne se trompe pas. On attend une dizaine d’années et on verra la véritable production en tamazight.

9- Pourquoi avez-vous choisi les caractères latins pour transcrire vos contes ?

Je me suis trouvé à un carrefour des linguistes. Pour le dictionnaire des prénoms, j’ai choisi le tifinagh. Pour commencer, je connais le Kabyle. J’ai commencé à écrire Orgueilleuse kabylie en français et je me suis interpellé moi-même, je me suis dis que si tu revendiques ton identité, il va falloir que tu te mettes à écrire en kabyle. Donc j’ai acheté des bouquins, j’ai pris des cours par correspondance. Je me suis retrouvé après face à l’immobilisme face à notre langue. Elle est en otage entre les mains des linguistes. Chacun se prend pour dieu, par référence. C’est le travail qui paye et qui parle pour les gens. Je me suis retrouvé devant un dilemme réel. Quand j’ai finis d’écrire mes livres en kabyle, je me suis adressé à une première personne, qui m’a conseillé de faire la version de Salem Chaker, donc j’ai corrigé à la Salem Chaker.

Ensuite je me suis adressé à un autre qui m’a corrigé à la version de Mammeri, et un troisième qui m’a corrigé à la version « Tizi Wuccen ». Les trois m’ont fait des corrections, et j’ai fais les corrections moi-même avec les trois versions. Et ce que je trouve de scandaleux, c’est que nous sommes dans l’urgence de mettre un terme sur comment doit-on écrire tamazight. Je suis prêt à écrire dans toutes les versions mais je préfère le tifinagh. Je ne veux pas être aux ordres de ceux fabriqués par la France. Notre langue est le tifinagh.

10- Vous êtes aussi cinéaste, parlez-nous un peu de vos travaux ?

J’ai réalisé un documentaire, Le Message kabyle,Ur Nettruz Ur Nkenu, bilingue, accompagné d’un album de voyage séparé. J’ai risqué ma vie économique, car j’ai dépensé une somme colossale en argent, avec Nadia Dallal. J’ai participé à tous les conclaves dans la clandestinité, d’ailleurs je me suis fais braquer à maintes reprises et Nadia avec, durant tout le tournage et ce, malgré qu’on aavait 26 gardes du corps grâce aux délégués, que je remercie. Tant bien que mal, nous avons pu réaliser ce travail en toute clandestinité et danger. L’idée à la base de ce film, c’est que je suis venu en Kabylie et il y a une société européenne qui s’appelle Paneuropéenne cinématographique, qui voulait faire mon portrait personnel. Quand la camérawoman est arrivée, je lui ai dis que beaucoup de choses se passent en Kabylie, marches, conclaves… Et c’est à partir de là qu’on a décidé de réaliser ce film. On a filmé à at Wartilen, Bgayet, Azzefoun, El Kseur, Azazga, Michelet et jusqu’à Aguemoun. Donc on a tracé la vraie Kabylie. Je dénonce certaines choses qui disent que la Kabylie ne sort pas de Bgayet et Tizi Ouzou. Honte à vous, la Kabylie est beaucoup plus grande que ça.

Un dernier mot ?

Oui, ces produits seront sur le marché dans quinze jours. Je vous remercie de votre accueil.

Je veux bien vous voir toujours à l’écoute de la jeunesse et les jeunes talents de tous les horizons. L’avenir, c’est les enfants, c’est de notre devoir de produire pour eux.

Propos recueillis par :Mohamed Mouloudj

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