Le wali appelle (enfin !) les étudiants au dialogue

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Décor de guerre du Liban à Targa-Ouzemmour. Hier matin, un statu quo mortifère régnait devant le campus historique de l’université de Béjaïa. Les étudiants continuent toujours de bloquer l’entrée des facultés. La grille du portail que l’administration universitaire avait cisaillée dans l’espoir de rompre le piquet de grève en vigueur depuis une semaine est bunkerisée par un amas de bric et de broc. Des sommiers, des casiers métalliques, des madriers et même des… lits.

Les lits pourtant sont ce qui manque le plus aux étudiants. Des milliers d’entre eux ne trouvent même pas où passer la nuit. Les plus  » chanceux  » sont tassés à dix dans des cagibis dignes des camps de concentration d’Auschwitz. Ceux de la nouvelle cité du quartier Sghir doivent en sus de cette honteuse promiscuité se contenter de froides rations militaires parce qu’on n’a pas encore installé les équipements de cuisine.

Comment en est-on arrivé là ? C’est-à-dire à une situation où l’université est transformée en une dangereuse poudrière sociale. Il y a, tout d’abord, une inouïe faillite prospective de la direction des œuvres universitaires. On attendait 2 500 lits à la nouvelle résidence d’El-Kseur, ce ne sont que 750 qui sont livrés. On a tablé sur la sortie de 3 500 diplômés, la moitié d’entre eux ont accédé à des études de master. Pendant que la DOU faisait mine de maîtriser une situation qui lui échappe complètement, les services de la scolarité  » enrôlaient  » à tour de bras. Près de 10 000 nouveaux étudiants sont inscrits, soit un accroissement de plus de 50 % par rapport à l’exercice précédent. C’est quelque part une conséquence attendue de l’inflation marquée par les taux de réussite au baccalauréat de juin dernier. Mais pourquoi recevoir tant d’étudiants quand il était évident que les capacités d’hébergement ne pouvaient suivre? Ne fallait-il pas, sans préjudice des contraintes de la carte universitaire, penser à orienter certains bacheliers vers des universités mieux dotées ?

Y a-t-il là un avatar de la lutte sourde que se livrent le rectorat et la DOU ? Se voulant le champion de la modernisation et d’un certain gigantisme, le recteur peste rageusement contre l’hypothèque que fait peser la lourde administration des œuvres universitaires sur ses projets. S’il arrive à inscrire des  » places pédagogiques  » (notion vaseuse que personne ne comprend vraiment), il est en peine d’imprimer son rythme à la DOU, véritable tonneau des Danaïdes qui engloutit à fonds perdus d’immenses subsides publics. Sitôt arrivé du Canada où il a séjourné dans le cadre d’une mission de  » démarchage  » d’universitaires expatriés, il va souffler sur un brasier déjà incandescent. Les étudiants l’accusent d’avoir foncé, au volant d’une voiture, sur leur piquet de grève puis, et cela est constatable sur place, d’avoir ordonné le cisaillement des grilles du campus. Suffisant pour faire se déverser les étudiants en grosse marrée vers le siège de la wilaya. Avant-hier, ils y ont observé un long sit-in sans que personne ne daigne les recevoir.

Pourquoi ? Peut-être parce que par delà les revendications de type générique, ils exigeaient aussi plus précisément l’hébergement pour des milliers d’entre eux. Or s’il est facile de tartiner sur la vague notion de  » place pédagogique « , c’est un tout autre exercice que de trouver illico 3 000 lits pour les étudiants SDF. Le lendemain, c’est-à-dire hier, renversement total de la situation. Le wali monte brusquement au créneau en appelant solennellement, sur les ondes de Radio Soummam, les étudiants au dialogue. Il souligne le  » civisme  » des étudiants qui après deux manifs n’ont pas cédé à la tentation de la casse, il parle de cette  » région qui est à l’avant-garde de la démocratie et de la modernité « , de la légitimité de la protestation, etc.  » Je suis, dit-il, prés à recevoir les étudiants quand ils veulent et où ils veulent « . Le recteur lui emboîte le pas. Celui-ci parle d’une  » situation qui est néfaste pour tous » et souligne qu’il n’y a pas de problèmes insoluble.

Pourquoi ce brusque redoux mielleux? Dans l’intervalle, l’affaire est en fait dangereusement devenue politique. Les étudiants ont d’abord enregistré le soutien de leurs enseignants affiliés au CNES. Un syndicat que ni le recteur ni les pouvoirs publics ne portent vraiment dans leur cœur en raison de ses radicaux penchants gauchisants. Le très FFS président de l’APW a lui aussi mis les pieds dans le plat en dénonçant, à travers un vigoureux communiqué, la “famine intellectuelle et biologique’’ faite aux étudiants. Voilà ce qui a changé : une intrusion des politiques dans la crise de l’université. Mais de tout cela, les étudiants s’en f… royalement. Eux ont surtout besoin de 3 000 lits pour crécher. Une literie que le wali sera en peine de sortir de son chapeau.

M. Bessa

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