Onze minutes de Paulo Coelho est-il un roman d’amour ? Difficile de l’affirmer même s’il est question de ce thème presque de bout en bout. Mais tel qu’abordé par l’auteur de l’Alchimiste, l’amour revêt ici une tout autre signification. Plutôt s’agit-il d’explorer le sens de ce mot que Coelho n’hésite pas à qualifier de terrible. En page 19, l’écrivain écrit que l’amour est dangereux. En page 28, “La passion abîme tout”. Enfin, en page 30, Paulo Coelho souligne qu’il s’agit d’une chose merveilleuse, mais n’omet pas de la qualifier d’assassine. Il est question de l’histoire de la vie d’une jeune Brésilienne prénommée Maria qui, par un concours de circonstances se trouve en Suisse, contrainte à exercer le plus vieux métier du monde. Elle était jeune quand elle fut scolarisée. Elle n’entretenait qu’un seul rêve : rencontrer le prince charmant.Son rêve restera un rêve car celui qu’elle croyait l’être, c’est lui qui la conduira dans cet enfer qu’est le cabaret Copa Cabana. Au début, le Suisse lui dit qu’elle allait travailler comme danseuse de cabaret. Pour elle, c’était le début d’un conte de fée. La réalité sera amère. Tout en vendant son corps, elle s’interdit de tomber amoureuse et considère que ce qu’elle fait est un métier comme tous les autres. Mais l’amour ne prévient pas quand il vient. Elle s’éprendra d’un artiste-peintre célèbre au moment où elle s’y attendait le moins. Tout en étant heureuse d’aimer enfin, elle a peur car ignorant ce qu’elle peut faire de cet amour. Elle a des appréhensions car elle sait que l’amour est terrible. Avant de rencontrer l’homme qui effacera tout, elle rêvait de ramasser beaucoup d’argent pour rentrer au Brésil et acheter une exploitation agricole. Maintenant, elle remet en cause son projet initial et se demande pourquoi les gars rêvent d’avoir une exploitation agricole au lieu de penser à l’amour. Elle constate que l’amour est toujours le même, quelqu’un fait une rencontre, tombe amoureux, perd et rencontre de nouveau.Cet amour lui permettra-t-elle de devenir heureuse si elle s’unissait à l’homme aimé ? Elle s’en doute fort. Si elle restait avec lui, pensa-t-elle, le rêve deviendrait réalité, volonté de posséder, désir que la vie de l’autre lui appartienne… “enfin, toutes les choses qui finissent par transformer l’amour en esclavage. C’est mieux, ainsi, le rêve”. Maria a compris beaucoup de choses inhérentes à la vie, qui l’empêchent de vivre son amour de manière ordinaire. Elle a beaucoup lu. Elle passe beaucoup de temps à méditer sur les questions de la vie. “L’amour n’est pas en l’autre, il est en nous ; c’est nous qui l’éveillons. Mais, pour cet éveil, nous avons besoin de l’autre. L’univers n’a de sens que lorsque nous avons quelqu’un avec qui partager nos émotions”, écrit Maria depuis son journal intime.A l’instar de ses autres romans, celui-ci est plein de phrases où l’on décèle beaucoup de sagesse. En langage terre à terre, des expressions qui remontent le morale comme celle-ci : “Qu’est-ce qui est le plus important dans cette vie? Vivre ou faire semblant d’avoir vécu?”. Dans Onze minutes, Coelho fait le parallèle entre les gens qui voient les choses superficiellement et ceux qui vont au fond. Dans l’une des conversations entre Maria et son amoureux Ralf, ce dernier lui dit : “Tu vois cette liqueur d’anis devant toi ? Eh bien, tu ne vois que de la liqueur d’anis. Moi, comme je dois aller au-delà, je vois la plante dont elle provient, les orages que cette plante a affrontés, la main qui a cueilli les grains, le voyage en bateau d’un continent à l’autre, le parfum et la couleur qu’avait cette plante avant d’être au contact de l’alcool”.L’importance des livres dans la formation de la personnalité est mise en exergue pour Coelho dont le personnage principal, Maria est une vraie bibliophile. Celle-ci, en dépit de son métier, fréquente régulièrement une bibliothèque et passe son temps à lire. Parlant d’un de ses clients, elle dira : “Il devait savoir qu’il avait affaire à une femme cultivée, qui fréquentait les bibliothèques plutôt que les magasins”.Dans ce roman, la quête du bonheur s’avère vaine. On rêve de posséder quelque chose capable de rendre heureux mais une fois à notre portée, on constate qu’on ne l’est pas. Peut-être que le rêve est plus beau que la réalité. C’est du moins ce que tente de nous dire Coelho. Les films se terminent par un baiser euphorique sans que le téléspectateur ne sache ce qui adviendra après. De la vie aussi, on ne sait pas ce qui se passera une fois un rêve réalisé. L’essentiel étant de continuer à vivre malgré tout et la vie est, selon Paulo Coelho, un jeu violent et hallucinant ; la vie, c’est se jeter en parachute et prendre des risques, tomber et se relever, c’est de l’alpinisme, c’est vouloir monter au sommet de soi-même et être insatisfait et angoissé quand on n’y parvient pas.Chez Paulo Coelho, les romans se déroulent à l’intérieur des personnages. Et pour conclure, cette phrase du début du roman : “La vie va très vite : elle nous transporte du ciel à l’enfer, et c’est l’affaire de quelques secondes”.
Aomar Mohellebi
