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Le Maghreb des chimères

C’était assurément prévisible. Le congrès du Front Polisario qui se tient depuis le dernier week-end à Tifariti a relancé une guerre verbale entre le Maroc et l’Algérie, plutôt du Maroc contre l’Algérie tel qu’on l’a constaté sur les médias du royaume chérifien. Ce dernier parle de violation de cessez-le-feu en vigueur depuis le début des années 90 et en appelle à la responsabilité de la Minurso dans ce qui est vu comme étant une ‘’audace’’ sahraouie.

Ce conflit qui s’éternise depuis le départ de l’occupant espagnol en 1974 a fini par pousser les relations entre l’Algérie et le Maroc dans un état de pourrissement presque irrémédiable.

C’est, quelque part, l’idée d’un Maghreb-en tant qu’entité politique et économique solidaire à l’image des regroupement régionaux qui se font à travers le monde- qui en prend un coup.

Hormis cette photo-souvenir des souverains maghrébins réunis à Tipasa en 1987- sorte de fétiche qui donne bonne conscience à certains et replonge les autres dans une nostalgie sans consistance réelle, la notion d’union Maghrébine est pour l’imaginaire des peuples de cette sphère géographique ce qu’est l’Arlésienne pour des générations de Français ; c’est-à-dire une personne ou une chose dont tout le monde parle mais que personne ne voit. S’il faut une preuve de plus pour établir le béant fossé entre les peuples et les dirigeants de la région, c’est bien cette histoire de l’union entre les pays de l’Afrique du Nord évoquée épisodiquement à l’occasion de séminaires ou journées d’études ou bien encore lors de l’échange de salamalecs et autres flagorneries pendant les fêtes religieuses. Dans un climat d’hypocrisie générale, tout le monde sait pourtant que cela ne porte pas à conséquence et reste sans lendemain.

Cet ensemble géographique et politique fut réveillé à ses devoirs lorsque, pour établir des traités d’association avec l’entité naissante qu’est l’Union européenne, on fit valoir la thèse que les négociations devaient avoir un partenaire unique face à l’Europe. Les divergences historiques, les tensions politiques et les susceptibilités des princes s’étaient dressées au travers de cet ambitieux projet.

Pourtant, chez les peuples du Maghreb, la conscience d’appartenir à une même aire culturelle, géographique et historique est bien réelle. Sans pousser les investigations jusqu’à l’antique Numidie- qui consacre le substratum de la culture berbère dans toute l’Afrique du Nord-, il importe au moins de relever que, après la dynastie unificatrice des Al Mohades au XIIe siècle, qui déclara son indépendance par rapport aux Abbassides d’Orient, l’idée de maghrébinité ressurgira au XXe siècle sur la terre d’Algérie avec l’Étoile nord africaine (ENA, fondée en 1926) pilotée à partir de Paris par Messali Hadj et Imache Amar. La littérature de ce mouvement est fort explicite quant à l’exigence de l’indépendance des trois pays colonisés par la France : l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Après la défaite de la ‘’République du Rif’’, le nationaliste berbère marocain Abdelkrim El Khattabi se réfugia au Caire et y fonda le Bureau du Maghreb qu’allaient rejoindre Aït Ahmed et Ben Bella en tant que représentants de la délégation extérieure du FLN. C’est en pleine guerre de Libération nationale qu’eut lieu la Conférence de Tanger regroupant les trois mouvements de libération du Maghreb : le FLN, le Destour tunisien et l’Istiqlal marocain. Ce faisceau de liens historiques et cette conscience de la communauté de destin ont subi les coups de boutoir des Indépendances. Les intérêts étroits de la monarchie et des dictatures voisines n’ont pas permis la fertilisation de ce terreau par des liens humains et économiques comme ceux ayant préludé à la naissance de l’Union européenne. Pourtant, des ébauches de coopération existent (les deux gazoducs algériens qui passent, l’un par la Tunisie et l’autre par le Maroc pour desservir l’Europe, en sont un premier exemple). Mais le climat politique continue à être pollué par des questions subsidiaires si bien que le projet d’union est maintenant pris en otage. Les pays du Maghreb sont-ils condamnés à ne vivre de complémentarité que celle imposée par les réseaux de trafic de drogue, de contrebande, de la gestion de l’immigration clandestine et, plus grave, des réseaux terroristes ? Le souhait et les efforts des pères des indépendances des États du Maghreb étaient tout autres. Dans quelle mesure les souverains actuels pourront-ils dépasser les messages de vœux à l’occasion des fêtes religieuses débités d’une façon monocorde par les télévisions des trois États ?

Amar Naït Messaoud

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