Saïd Smaïl raconte le terrorisme en Kabylie

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Saïd Smail parle de Tizi Ouzou, une région que tous les observateurs s’accordent à qualifier de spécifique, mais d’une spécificité qui ne profite pas forcément à ses enfants. Juste à une poignée d’opportunistes. Ces derniers sous couvert de la politique et du multipartisme, s’autorisent toutes les prévarications possibles sans que personne ne puisse les dénoncer car ils détiennent les vannes, toutes la vannes.

En faisant mine de combattre un pouvoir qui a tout d’un OVNI tant tout le monde en parle et personne ne l’identifie avec exactitude, ces opposants de service finissent par se remplir les poches et jeter la désillusion sur les militants sincères et empreints de rectitude. Dans Délit de survie, Saïd Smaïl, journaliste à Tizi Ouzou depuis l’Indépendance ne mâche pas ses mots. Dans une analyse d’une pertinence avérée, il revient sur les années 90. Il se raconte d’abord dans la première partie. Il narre ses déboires et sa solitude face à la menace terroriste. Puis il revient sur l’injustice et la cruauté de la vie qui jette ses malheurs parfois tous en même temps comme pour ne laisser aucune chance de sortir indemne.

Pourtant, malgré toutes les difficultés, Said Smail s’en sort même si le prix est élevé. Il s’en sort car il a la capacité d’affronter les aléas de la vie. En lisant le livre de Saïd Smaïl, on ne peut s’empêcher de revenir sur les années où la vie ne tenait qu’à un fil dans la wilaya de Tizi Ouzou, comme dans le reste de l’Algérie.

Journaliste à Tizi Ouzou, Saïd Smaïl reçoit vite des lettres de menace. Il résiste avant de partir en France pour se réfugier comme l’ont fait des centaines de journalistes que la peur légitime de la mort a poussé à l’exil. A la différence des autres, Saïd Smaïl est nostalgique. Attaché à sa terre et aux siens, il éprouve du mal à porter la pesanteur de cet exil. Il suffoque. Il veut revenir mais on le dissuade en lui rapportant les mauvaises nouvelles du bled. Pour supporter le fardeau de l’exil, il écrit un roman fantastique « L’île du diable », un livre de rêve et d’amour pour oublier la mort amère et la douleur des jours qui passent sans pouvoir sentir le soleil de son pays réchauffer ses épaules.

L’écrivain journaliste ne peut pas assister à l’enterrement de son frère qui meurt suite à une maladie foudroyante à l’âge de 51 ans. Ce coup dur de la vie n’est pas le seul. Sa sœur qui vit en France attrape un cancer du sein. Il reste à ses côtés et la voit s’éteindre sans pouvoir l’assister car cette maladie est inéluctable. L’espoir est tout de même fort. Said Smail rêve d’un miracle qui ne viendra pas. La sœur trépasse aussi, presque simultanément que le frère. L’auteur voit une partie de lui s’en aller. Tout un fragment de sa vie s’évaporer. Même si la situation est toujours périlleuse en Kabylie, Saïd Smaïl finit par rentrer après vingt mois d’absence. Il pense qu’il n’a plus rien à perdre. Et puisque c’est le cas, autant respirer l’air de la terre natale, irremplaçable même si cette dernière s’est véritablement transformée en un lit de mort. En revenant, l’écrivain s’aperçoit qu’en deux ans la région s’est métamorphosée.

Il ne reconnaît presque plus Tizi Ouzou d’il y a deux années. Non pas que le terrorisme a fini par tout détruire mais il découvre plutôt une région où les constructions et les commerces en tout genre poussent comme des champignons. Il est déçu car les mœurs se sont dégradées dans une localité connue jadis pour son austérité.

C’est à partir de là qu’il projette une analyse où un regard profond et objectif est portée sur les dernières évolutions qu’a connues le pays en général et la Kabylie en particulier. Saïd Smaïl explique la déconfiture des partis dits démocratiques : le FFS et le RCD. Il est déçu car il avait misé un grand espoir sur le parti de Hocine Aït Ahmed, le seul qui selon lui aurait pu constituer une véritable alternative démocratique pour le pays. Il a vite déchanté en constatant que les dirigeant du FFS, à l’instar de ceux des autres partis, sont gangrenés par l’opportunisme et l’égoïsme. Saïd Smail ne se fait plus d’illusions. Il crache les vérités pas bonnes à dire car risquant d’isoler leur auteur.

C’est d’une traite qu’on lit le nouveau livre de Saïd Smaïl même si l’on aurait souhaité qu’il pousse un peu plus loin son examen car en avançant dans la lecture, on a le sentiment qu’il a encore des tas de choses à révéler du fait qu’il soit dans une posture stratégique, celle d’un journaliste qui a la latitude d’avoir un regard sur un éventail de réalités qui échappent au commun des citoyens.

Des vérités qui font mal certes mais qui permettraient aux citoyens de la Kabylie d’éviter de commettre les erreurs du passé récent si elles pouvaient être méditées.

Aomar Mohellebi

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