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Malvie, désespoir et oisiveté

Il s’agit de la petite bourgade de Tachouaft relevant de la commune de Bouhamza et située sur la route reliant le chef-lieu de cette commune à celui de Ben Maouche. Un coin perdu pour ainsi dire qu’il n’y a pas lieu de rechercher dans les manuels scolaires ou la carte géographique, sans doute vous ne le trouverez pas.

Certes, dans cette région même si la nature a façonné un environnement sauvage de toute beauté, un paradis de l’escapade, on ne peut s’empêcher d’imaginer à quel point cette nature accentue aussi la dureté de la vie dans ce village reculé et très enclavé. D’ailleurs, pour celui qui s’y rend pour la première fois il dira que c’est une zone touristique par excellence, un coin idéal pour la détente au milieu d’un massif montagneux décoré par les paysages enchanteurs qui caressent le regard, dépaysent la vue et impressionnent l’esprit, mais pradoxalement celui qui vit éternellement là-bas vous dira inéluctablement que la population vit une misère noire où les manques de moyens se conjuguent au présent.

D’emblée, la route empruntée nous renseigne sur l’isolement de cette bourgade du reste du monde et de son abandon par les pouvoirs publics.

La chaussée totalement dégradée rend difficile le passage en voiture, les chauffeurs fuient les nids-de-poules parfois profonds, roulent sur l’accotement ou les fossés, engendrant des sillons de roues. A certains endroits, à défaut d’entretiens par les services des travaux publics, ce sont les automobilistes qui se sont mobilisés pour remplir de terre les excavations gênantes. “A un kilomètre de l’entrée de la ville, une cité nouvellement créée rappelle la désolation située au bord de la route et composée d’environ une centaine d’habitations nouvellement construites dont les travaux ont été abandonnés aux gros œuvres”, explique un citoyen. “En novembre 2000, l’épicentre du séisme qui a frappé la région s’est situé à quelques encablures seulement de ce qui a endommagé presque totalement l’ancien bâti. Les pouvoirs publics, en guise de réparation et d’aides, ont construit ces logements collectifs aux sinistrés recensés, dont le projet est scindé en deux tranches. Si la première tranche limitée au gros œuvres, dont les travaux démarrés en trombe on été achevée aussitôt, cela fait sept ans que nous attendons la seconde tranche. Malgré nos doléances écrites adressées à tous les niveaux de la hiérarchie, lesquelles ont certes attiré toute l’attention du wali de Béjaïa et une délégation de l’APW qui nous ont rendu visite et constatant les gâchis ont promis les aides pour la continuité des travaux de finition, force est de constater que rien ne se profile à l’horizon pour nous rassurer sur la reprise de ces travaux. En attendant et pendant que les sinistrés habitent encore dans des gourbis aux murs calfeutrés, ces logement sont habités par des pigeons et des éperviers”, se désole-t-il.

A l’entrée du village, la placette grouille inhabituellement de monde mais seulement en ce jour de l’Aïd avec le retour de la diaspora dispersée un peu partout fuyant la misère du village et revenue seulement pour deux jours fêter l’Aïd en famille.

En effet, la population de ce village a connu à 80% l’exode rural vers la grande ville, notamment à Seddouk, le chef-lieu de daïra. Les 20% restants, leur subsistance ils ne la doivent qu’à leur force de travail et les ressources qu’ils tirent de la terre. Parmi les autres écueils soulevés, figure la fermeture du centre de soins il y a environ trois mois. “ Nous aussi on nous force à déguerpir des lieux, autrement dit à défaut d’amélioration des structures déjà existantes les pouvoirs publics nous retirent ce que nous avons.

Le centre de soins fonctionnait auparavant avec un infirmier absentéiste. Quand nous avons demandé sa présence permanente, la tutelle n’a pas trouvé mieux que de le retirer carrément et fermer le centre. “Et voilà, pour une injection ou des soins infirmiers on doit se déplacer jusqu’à Beni Maouche”, renchérit notre interlocuteur qui n’a pas manqué aussi d’informer que l’eau courante se fait parfois désirer pendant des semaines.

“Quand une panne survient sur les conduites d’eau potables, provoquant une pénurie, les services de la voirie communale ne s’empressent pas de la réparer. Il mettent parfois jusqu’à un mois pour la rafistoler et nous soulager du calvaire de chercher cette eau n’importe où et par n’importe quel moyen (à dos de mulet, en brouette, etc.)” abonde-t-il, continuant à extraire du “chapelet d’insuffisances” un à un les écueils qui rendent la vie difficile dans cette contrée en citant le manque de transport. “Le manque de transport public a fait que la population est à la merci des clandestins utilisant tous les moyens, même les véhicules légers de transport de marchandises (les fameuses 404 bâchées remplacées par des pick up), mais dans un autre sens ils rendent de grands services à la population quand il s’agit d’une urgence (cas d’accouchement)” ajoute-t-il plaidant la cause de la jeune population dont il n’a pas manqué de dire qu’elle est la première à supporter le sous-développement.

“Leur rituel, c’est travailler à la journée ou flâner dans les champs et revenir l’après-midi se constituer en groupe à la placette du village (Tajmaath) avant l’arrivée du soir pour aller se coucher. L’année passée, la commune leur a attribué un terrain de jeu de proximité dans le cadre des PCD 2007. Aujourd’hui c’est des illusions perdues au vu du lancement des travaux qui tardent à voir le jour, ce qui a provoqué d’ailleurs un désespoir chez les jeunes qui ont cru abandonner le jeu sur les chaussées en attendant d’entrer un jour proche, balle au pied dans la pelouse d’un stade. L’Internet, une salle de jeux ou foyer de jeunes, ils ne peuvent les espérer car ils savent que pour les autorités locales ils sont le dernier de leurs soucis”, termina ainsi notre interlocuteur en cédant la parole à un jeune désœuvré livré à lui-même, comme beaucoup de ses pairs, telle est l’impression qui se dégage au vu de ses dires, et visiblement rongé par l’oisiveté, le stress et la monotonie.

“A part ceux qui ont la chance d’être pris en charge par leurs parents aisés (pensionnaires notamment), les autres, par faute de débouchés et de potentialités de création d’emploi n’ont d’autres choix que d’aller monnayer leur force de travail et leur génie ailleurs, c’est-à-dire dans une grande ville ou à l’étranger”, se lamente ce jeune qui attend son tour pour fuir l’ennui et la solitude. Ainsi, désemparés par une malvie affreuse, la population attend impatiemment dans un mythique rêve une lueur d’espoir pour l’avenir.

Elle croit dur comme fer aux compétences et à la volonté de cette nouvelle APC fraîchement élue et que coiffe un président — enfant du bled — connu pour son dynamisme et son amour pour sa région.

L. Beddar

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