La Dépêche de Kabylie : Comment est née l’idée d’un livre sur Guerrouabi?
Youcef Dris : Ecrire un livre sur un monument de la chanson algérienne tel que Guerrouabi est le rêve de tout auteur. Moi aussi j’en ai longtemps rêvé, et j’ai concrétisé mon rêve. Ce n’est pas mon premier écrit sur Guerrouabi. Déjà, et alors que je faisais mes premiers pas dans le journalisme, en 1972, j’ai écrit un papier sur lui sous forme de nouvelle. Je parlais d’un jeune chanteur qui venait frapper à la porte des grands de l’époque, et grignoter un peu de leur notoriété, ce qui ne plaisait pas à ces scolastiques qui se sont autoproclamés dépositaires de cet art populaire, la chanson châabie. En 1998, et alors que je dirigeais un hebdomadaire culturel national Côte-Ouest, je lui ai consacré un numéro spécial dans lequel je retraçais sa vie, son parcours professionnel, ses débuts dans la chanson, ses exploits sportifs — Guerouabi était un excellent ailier droit à la Redoute athlétique club, avec ses chansons. Guerrouabi avait apporté un sang nouveau à la chansonnette et avec la complicité du génie Mahboub Bati avec lequel il composa pas moins de 50 chansons, toutes des tubes. De longs extraits de ce portrait ont été repris par beaucoup de ceux qui ont écrits des papiers sur Guerrouabi, et sur Internet, et je tire une fierté d’y avoir quelque part contribué.
Le choix de Guerrouabi n’est-il pas motivé par le fait qu’il s’agit de votre oncle maternel ?
Il y a de cela aussi mais pas seulement. Il est vrai que Guerrouabi est mon oncle maternel mais il est aussi un des meilleurs interprètes de la chanson algérienne. Et n’importe quel auteur aurait éprouvé de la joie à écrire sur lui, sur cet immense artiste de dimension internationale. Il est notoire que Guerouabi a toujours refusé que l’on fasse sa biographie de son vivant, mais lorsque je lui ai dédicacé mon premier roman, Les Amants de Padovani, il a pris le temps de le lire et il a apprécié. C’est alors que je lui ai soufflé l’idée d’un livre sur lui. Lorsqu’il a répondu “Pourquoi pas !”, j’ai ressenti comme un remous transcendantal, et j’ai laissé courir mes émotions, mes souvenirs et mes sentiments pour lui, et l’écriture fut facile.
Guerrouabi a-t-il eu le temps de lire le livre ?
Lorsqu’en 2005, il m’invita au mariage de sa belle-fille, j’en ai profité pour lui présenter le manuscrit presque terminé. Il l’a lu, a porté quelques corrections de sa propre main au texte, et m’a donné son assentiment, avec pour seule condition, c’est que les droits d’auteur aillent à une association caritative. Je lui en ai fait la promesse solennelle, et je l’ai annoncée à la Télévision lors d’une émission récente sur Canal Algérie.
Vous êtes un fan de Guerrouabi et un proche. Peut-on être objectif dans de telles circonstances ?
Oui, lorsque l’homme qu’on évoque a une renommée internationale, et des millions de personnes lui reconnaissent cette stature de vedette internationale. Oui, on peut être objectif lorsque l’on aime la chanson algérienne, et Guerrouabi est son plus digne représentant. Il a été l’ambassadeur de la culture algérienne à travers le monde comme l’a été notre équipe nationale en 1982, dont nous tous avons été fiers, à la seule différence : c’est que lui, il a duré plus longtemps au sommet de la consécration.
Si vous aviez à résumer cet immense artiste, qu’en diriez-vous en quelques mots ?
J’emprunterai à l’autre monstre sacré de la chanson et de la comédie algérienne Mahieddine Bachtarzi qui l’avait invoqué dans ses mémoires comme étant “le plus doué de sa génération”.
Quelle est la chanson de Guerrouabi que vous préférez écouter…et pourquoi ?
On ne peut préférer une chanson de Guerrouabi plutôt qu’une autre. Je les aime toutes, et en particulier les mélopées tirées de la poésie ancienne. Toutefois, et pour des considérations personnelles, j’aime bien écouter “Twehecht El Bahdja” composée lors de son amer exil en France, et où il a mis tout son cœur et ses sentiments rongés par la nostalgie de son Alger la blanche, et particulièrement le passage où il parle de Belcourt, lieu où sa mère repose pour toujours.
Que signifie pour vous la disparition physique d’un artiste ayant marqué comme guerrouabi tout un pays et tant de générations ?
Cette disparition a bouleversé toute l’Algérie et au-delà même de nos frontières, laissant derrière lui un vide sidéral. Tous les Algériens ont été choqués par cette disparition brutale, cela ne peut pas en être autrement pour moi, qui l’ai connu depuis toujours, qui l’ai côtoyé et qui l’ai aimé comme on aime son oncle et son idole.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi
