Pendant le mois de Ramadan dernier, un anthropologue et prêtre catholique libanais a rendu visite à Alger dans le cadre du Colloque sur le dialogue des religions qui a eu lieu à la Bibliothèque nationale.
En marge de sa participation au colloque, M. Joseph Mouannas, homme de culture raffiné et prêtre laïc, a voulu réaliser un petit reportage, qu’il publiera plus tard dans le quotidien Annahar, sur la vie quotidienne à Alger et particulièrement sur la jeunesse algérienne et leur culture.
Pr Joseph a voulu, dans cet article, rétablir une image honorable de l’Algérie d’aujourd’hui et essayer d’estomper les traits sombres et macabres de celle qu’a dessinée la violence de la décennie noire et celle, plus noire encore, que donne en ce moment le chaos politique actuel. Joseph a tenté, à travers de diverses rencontres avec plusieurs tranches de la société algérienne, de peindre une carte postale avec un nouveau regard, délivré des préjugés et des idées « thriller » que se fait le monde de nous. Il soutient avant tout que l’Algérien, en tant que citoyen et musulman, veut à tout prix établir une paix durable et imperturbable que nul conflit, qu’il soit politique, ethnique ou idéologique, ne pourra détruire. Il soutient encore que les Algériens conscients de leurs différences culturelles et cultuelles sont tout aussi conscients de l’unité nationale et de l’importance cruciale de maintenir l’harmonie et la cohabitation pour une Algérie meilleure.
Le mois de carême pendant lequel il a séjourné à Alger ne l’a pas empêché de parcourir la ville et ses habitants avec la force et la volonté d’un visiteur curieux, d’un anthropologue assoiffé de savoir et, surtout, d’un homme d’église humaniste. Ses rencontres avec l’élite culturelle algérienne et les hommes d’église installés à Alger ont renforcé l’image qu’il veut se faire de l’Algérie d’aujourd’hui: un pays qui se cherche, qui chemine vers l’avenir avec le respect de son passé révolutionnaire et traditionnel et qui considère les différences linguistiques, culturelles et ethniques comme une richesse inépuisable.
Abordant le thème de la culture des jeunes Algériens, Mouannas cite sa rencontre avec deux jeunes femmes: une journaliste et une écrivaine. La discussion est assez intéressante à certains moments quand le sujet épineux des restrictions religieuses et sociales est mis sur le tapis. La condition de la femme algérienne y est, cependant, traitée avec beaucoup d’euphémismes! L’article décrit le regard à la fois indépendantiste et conservateur des deux jeunes lettrées qui soutiennent que la religion, en tant qu’héritage social et traditionnel, fait partie de l’identité algérienne mais c’est l’interprétation qu’en font certains qui empêche la femme algérienne de s’émanciper et d’user de ses capacités.
L’insistance voyante de l’auteur sur l’aspect conservateur de la femme algérienne pourrait, probablement, émaner de sa détermination à dépeindre une jeunesse réconciliée avec ses valeurs traditionnelles mais aussi avec les perspectives d’une ouverture sur l’Autre. L’anthropologue conclut son reportage avec cette phrase élogieuse et, un tant soit peu, exagérée: « L’Algérie est une promesse d’une civilisation humaine que, j’espère, immunisée contre les excès des islamistes et salafistes fanatiques et la mafia du culte et de la corruption. Puisse-t-elle rester le temple de la beauté, de la création et du progressisme… »
Bien beau le regard que porte cet intellectuel libanais sur l’Algérie post-traumatisme. Il faut souligner tout de même que le cadre dans lequel fut invité notre anthropologue n’était ni plus ni moins qu’un colloque sur le dialogue des religions et l’espace temps (une semaine… pendant le ramadan!) dont avait disposé Joseph Mouannas ne pouvait lui offrir qu’une idée aérienne et inexacte de la société algérienne. A cela, il faut ajouter que M. Joseph voulait avant tout dépeindre une belle image d’une Algérie conviviale et ambitieuse. Cette envie est due certainement au fait que l’auteur avait joui d’un accueil chaleureux et a pu voir que Notre Dame d’Afrique n’a pas été raflée par l’extrémisme religieux ! Quant à son regard porté sur la culture de la jeunesse algérienne, on constate qu’il a été limité à une discussion intellectuelle avec deux jeunes femmes lettrées. C’est à se demander s’il aurait gardé le même avis élogieux s’il avait rencontré les milliers de jeunes désœuvrés algériens aussi allergiques aux livres qu’aux minijupes!
Sarah Haidar