»J’userai de tous les moyens légaux »

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La Dépêche de Kabylie : On croit savoir que vous avez été reçue au tribunal de Tizi-Ouzou dernièrement. Y a-t-il eu du nouveau sur le dossier de Matoub ?

Nadia Matoub : Pas vraiment en fait. Je m’y suis rendue pour confirmer l’introduction d’une plainte pour tentative d’assassinat contre ma personne, et celle de mes deux sœurs qui ont été également ciblées lors de l’attentat qui a coûté la vie à Lounès. Dans un premier temps, on m’a dit qu’on allait être convoquées dans un mois ou deux. Puis le 19 février dernier, il y a eu une ordonnance du doyen des juges qui a été transmise à notre avocat, maître Hanoune, et à travers laquelle il nous est répondu qu’on ne pouvai se constituer partie civile au motif qu’on figure déjà dans le dossier de l’assassinat de Lounès. Chose que nous contestons puisque légalement, il s’agit de deux choses différentes. Dans le dossier de Lounès, je suis partie civile avec le statut d’ayant droit. Et dans ce dossier, il s’agit uniquement d’assassinat contre la personne de Lounès. Nous concernant, on est alors dans notre droit de nous constituer partie civile pour tentative d’assassinat à notre encontre, c’est-à-dire mes sœurs et moi également victimes. D’ailleurs, notre avocat a fait appel auprès de la chambre d’accusation qui sera appelée à rendre sa décision.

Beaucoup de temps qui est passé depuis les faits. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?

Cela fait effectivement beaucoup de temps, malheureusement, le dossier traîne toujours, et on est face à des lenteurs inexpliquées de la justice. En fait, cela fait un moment que je cherchais un moyen pour relancer le dossier. Et c’est à partir de là, sur conseil de maître Hanoune, que j’ai songé à porter plainte pour pousser à la réouverture du dossier. On a été victimes aussi et je veux que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Je suis consciente qu’entre l’assassinat de Lounès et la tentative d’assassinat contre mes sœurs et moi, l’instruction ne serait pas la même, mais on a tout à fait le droit de réclamer cela. D’autant plus qu’on introduit la plainte dans les délais requis par la loi. Si on avait dépassé le 25 juin, ça aurait fait plus de dix ans, et légalement, on n’aurait pas pu le faire à ce moment-là, mais ce n’est pas encore le cas.

Que vous a-t-on dit au tribunal ?

D’abord que le dossier de Lounès est bouclé. Il est dans un casier, et on ne peut absolument rien faire. Ils sont vraiment dans la logique de l’impunité. C’est pour moi un signe d’insouciance à faire éclater la vérité sur cette affaire. Je n’ai pas voulu dire tout, tout de suite, je me suis abstenue pour voir plus clair et vérifier les choses de moi-même sur place. Mais maintenant, je n’ai aucune raison de garder le silence face à une telle décision injuste. Bien au contraire, je dénonce cette volonté à ne pas faire justice dans cette affaire.

A quand remonte exactement l’audience qui vous a été accordée ?

J’ai été reçue au tribunal de Tizi-Ouzou dans la matinée du 3 février dernier. Je m’y suis rendue en compagnie de maître Hanoune. J’avais demandé audience au procureur, et j’ai été reçue par deux représentants du parquet. Je leur ai dit ceci : “Je vous voir pour savoir où en est le dossier.”

J’ai compris comme s’ils voulaient me dire que tout est bouclé mais ils attendent quoi ? Je ne sais pas. On me parlait en arabe avec soi-disant des assurances que la mort de Lounès ne sera pas mise aux oubliettes juste comme ça. Je leur ai tout de même demandé de me confirmer si la procédure d’instruction du dossier était bel et bien bouclée. J’ai eu une réponse affirmative, mais pour la tenue du procès on m’a dit qu’aucune date n’est fixée. Chose que j’ai trouvé anormale. En poussant plus loin pour connaître les raisons d’un tel immobilisme, on m’a dit à peu près ceci :  » Vous savez Madame, il y a des raisons autour, c’est un dossier sensible et délicat « . Quelque part, j’ai compris qu’ils sont en attente d’une décision politique. Ce qui n’est pas normal car juridiquement, à ma connaissance, c’est de la compétence du procureur de fixer les dates des procès. J’ai déduit qu’ils considèrent particulier ce dossier donc ils lui réservent un traitement particulier.

En tous les cas, bien des rumeurs ont circulé autour du dossier. A un certain moment, la probabilité d’une tenue imminente du procès a été même évoquée par la presse nationale avant qu’elle ne s’avère infondée…

Je n’accorde pas d’importance à ces rumeurs, et je ne pouvais pas les évoquer dans un cadre officiel. Mais la confirmation que je peux avancer concerne lesdits présumés coupables cités dans le dossier. Ce sont les deux noms qui ont été déjà cités et connus de tous, et qui sont d’ailleurs toujours en prison.

Qu’espérez-vous maintenant ? Du moins qu’allez-vous faire ?

Quand on a déposé notre plainte, notre objectif est, je le répète, de rouvrir le dossier de Lounès. Car ce sont les mêmes qui ont tenté de nous assassiner qui ont tué Lounès. Donc, cela aurait conduit à refaire l’instruction. Et j’userai de tous les moyens légaux pour arriver à la vérité sur l’assassinat de Lounès, et la tentative d’assassinat qui nous a visées mes sœurs et moi. On a été également ciblées et grièvement blessées. C’est de notre droit de nous porter partie civile. On attendra la décision de la chambre d’accusation chargée d’examiner notre recours.

Si, officiellement, le dossier est bouclé au niveau des instances chargées de l’instruction, est-ce à dire que vous n’avez pas été convaincue par ce qui a été fait ?

Premièrement, quand on a été convoquées pour témoigner, mes sœurs avaient alors dit qu’elles pouvaient reconnaître les assassins alors qu’à ce jour, elles n’ont jamais été rappelées pour une quelconque identification. Donc pour dire est-ce que l’instruction qui a été faite m’a convaincue, non ce n’est pas le cas, ça c’est clair. Maintenant, les présumés coupables sont toujours en prison, on me dit qui aucune date n’est fixée pour le procès alors que l’instruction est bouclée, il y a une incohérence. C’est clair que le dossier dérange. Mais ça ne me décourage pas pour autant même si je sens une volonté d’introduire le politique dans le traitement de cette affaire. Nous, on réclame la vérité qui devrait passer par une reprise de l’instruction dès le départ. Et cette plainte que nous avons introduite mes sœurs et moi pour tentative d’assassinat contre nous est un moyen légal pour relancer le dossier. Ils ont rejeté la plainte en faisant fi de notre droit mais je ne vais pas me taire.

Vous plaidez bien pour une reprise de l’instruction dès le départ qui passerait vraisemblablement par une reconstitution des faits ?

Pourquoi pas ? Je n’ai jamais été contre une reconstitution des faits.

Entretien réalisé par Kacel V

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