Pour les enfants qui se battent au clair de lune, c’est un récit fantastique. Pour les jeunes fileuses de coton durant les longues nuits de saison froide, c’est un passe-temps délectable. Pour les adultes, c’est une véritable révélation. Conte, conte, je suis à la fois utile, futile et instructeur ! “Machaho, tellem chaho!” C’est la formule incomprise mais toujours évocatrice, par laquelle s’ouvrent tous les contes que, depuis des temps très anciens, les vieilles grands-mères de Kabylie redisent à leurs petits-enfants (et aussi ceux qui le sont moins).
C’est la marque de l’ancienneté. C’est aussi le magique sésame, la formule qui donne accès au monde à la fois étrange et familier, “où toutes les merveilles sont à portée de désir et tous les vœux sont miraculeusement exaucés – comme dans les rêves -, ou cruellement déçus- comme dans la réalité”, écrit Mouloud Mammeri dans l’introduction de Contes berbères de Kabylie qui semble prêt à remplacer les grands-mères — oublieuses d’aujourd’hui — et sauver de l’oubli un peu de notre tradition orale.
Un ouvrage d’autant plus précieux qu’il transmet le conte, l’art le plus contemporain. D’abord parce qu’il est multimédia, il construit tout un mode de relations à l’imaginaire qui est d’une force et d’une qualité qu’aucun autre art ne peut concurrencer.
Du temps où les animaux parlaient, le chacal était le neveu du lion. Les ogres semaient la terreur dans toutes les contrées et il y avaient des femmes qui excellaient dans l’art de la guerre.
De mystérieuses flammes baladeuses montraient la route à suivre, et seul le sang pouvait les éteindre. A travers des énigmes complexes et des situations enchevêtrées, le héros ou l’héroïne doivent faire preuve d’intelligence, mais également de rectitude, de probité et d’audace. Après des épreuves inhumaines, les bergers triomphent et deviennent maîtres de leur destinée. Dans Une petite fille et son frère au milieu des fauves, une belle aux cheveux d’or aimée d’un prince ; Un fils de roi à la poursuite de la fiancée du soleil et tant d’autres encore, Mouloud Mammeri a su, dans une langue simple et imagée, restituer l’esprit à la foi ludique, osé et moralisateur des contes du terroir.
Et même si le monde des fables est un univers horrible où les pères jaloux boivent le sang de leurs fils et essayent d’épouser leurs brus, il semble constituer une bonne préparation au monde réel. Ainsi, avec une imagination débridée et des formes narratives poétiques, les contes ouvraient l’esprit des tout-petits et des moins jeunes au beau et à l’horrible.
Mon conte a pris son envol et moi vers vous je dégringole. Machaho !
N. Maouche
