Dans l’entreprise de réhabilitation de la langue berbère en général et du kabyle en particulier, quel meilleur outil, que l’œuvre de Mouloud Feraoun, se prête à l’exercice de traduction ? Certains parlent même de travail de restitution tant le texte de Fouroulou ‘’respire’’ partout la Kabylie mais aussi la langue kabyle. Les lecteurs kabyles du ‘’Fils du pauvre’’ ou des ‘’Chemins qui montent’’ se retrouvent aisément non seulement en raison des scènes et tableaux familiers auxquels ils ont affaire, mais également en raison d’une langue française au travers de laquelle défile en filigrane la langue kabyle : formules consacrées, locutions idiomatiques tirées du terroir et d’autres repères linguistiques jettent des ponts entre deux cultures à la manière de l’écrivain lui-même situé- dans un évident déchirement- à la jonction de deux mondes, deux civilisations dont il a voulu être le lien solidaire. Cette fidèle dualité lui a valu non seulement des inimitiés, mais aussi, fatalement, l’irréparable verdict de l’extrémisme ayant conduit à l’assassinat de l’écrivain humaniste.
Presque tous les jeunes kabyles amateurs de traductions ont commencé par les textes de Feraoun. Dans leur penchant naturel à rendre Feraoun dans sa langue maternelle, ils ne se sont pas encombrés de cours de traductologie ni de la thèse académique qui dit ‘’traduire, c’est trahir’’.
Le travail accompli par Moussa Ould Taleb en traduisant en kabyle un des piliers de la littérature algérienne de langue française a le grand mérite d’ouvrir la voie vers cette ‘’restitution’’ légitime de l’univers de Feraoun, Mammeri, Ouary et, pourquoi pas, de Dib et Kateb.
Édité en 2004 par le Haut Commissariat à l’Amazighité, l’ouvrage de Ould Taleb portant le titre ‘’Mmis n igellil’’ (Le Fils du pauvre) est présenté dans une ‘’Tazwert’’ par Youcef Merahi du HCA. L’on peut largement admettre comme percutante la traduction dès le moment où la simplicité et la rigueur ont visiblement présidé à cette entreprise. Il s’agit de taqbaylit timserreht (kabyle courant) avec une ‘’dose’’ gérable et acceptable de néologismes. Beaucoup de ‘’traducteurs’’ sont tombés dans le travers de l’emploi excessif de mots nouveaux tirés d’un lexique en cours de création.
Au moment où la langue berbère voit ses importance s’accroître dans l’institution scolaire et au moment où les supports technologiques de la culture modernes (télévision, multimédia,…) commencent à prendre en charge la culture et la langue berbères, la production de textes comme celui de Moussa Ould Taleb revêt un caractère stratégique. Il s’agira de fournir à l’école un support narratif de qualité en langue berbère, un domaine très déficitaire jusque-là, et de ‘’meubler’’ les instances de créations audiovisuelles en produits littéraires de fiction.
