Dans le panorama des hommes et des femmes qui ont contribué au combat pour la culture berbère, Mouloud Mammeri occupe une place exceptionnelle. Dépassant sa condition d’écrivain-romancier de langue française, il sera l’intellectuel par excellence dont l’objet de recherche demeure la voix et la voie des ancêtres de la Tamazgha (Berbérie).. Plus loin que ces efforts de recherche, Mammeri développe un projet de réhabilitation de notre culture, sorte de projet civilisationnel à l’échelle de tout un peuple. Après les articles qui relèvent de l’anthropologie culturelle publiés dans diverses revues pendant la période 1940-1960, Mammeri, dans le sillage du cours de berbère qu’il assurait jusqu’en 1974 à l’Université d’Alger, publiera une grammaire berbère (Tajarrumt) et aménagera l’alphabet latin pour s’en servir dans l’écriture du berbère. Cette écriture, Tamaâmrit, aura tout de suite les faveurs de la jeunesse kabyle qui l’adopter a définitivement…dans la clandestinité.
Trois ouvrages de l’auteur feront remonter du fond de l’histoire le patrimoine kabyle oral, et ce sera une véritable révolution dans les milieux culturels et universitaires. Par l’intermédiaire d’autres porteurs de messages de revendication, le contenu de ces livres connaîtra un destin particulier par une diffusion exceptionnelle. En effet, la matière de ‘’Les Poèmes de Si Mohand’’ (1969), ‘’Poèmes kabyles anciens’’ (1979) et ‘’Cheikh Mohand a dit’’ (1989), ouvrages qui ont coûté plusieurs dizaines d’années de travail, a atterri pratiquement dans tous les foyers et chaumière de la Kabylie.
Dans toutes les tribunes qu’il lui sont offertes ou qu’il a arrachées, Mammeri se fera le défenseur impénitent de la culture berbère. Il le fait dans la sérénité, avec des arguments scientifiques de poids et une honnêteté sans faille. En voulant réhabiliter la culture berbère, Mammeri est convaincu qu’il s’inscrit dans l’universalité.
En réponse à une question de l’intellectuel Abdallah Mazouni, Mammeri affirme » Ce que vous appelez ma berbérité fait justement la profondeur de mon algérianité. Je crois profondément aux valeurs universelles et je crois aussi que le meilleur citoyen du monde est d’abord celui qui est profondément ancré dans un coin de cette terre où les hommes ont une couleur de cheveux, un timbre de voix, une teinte de rêve, un poids de sentiments et quelquefois hélas, de préjugés. Être fidèle au meilleur de soi-même est la bonne façon d’être fidèle aussi aux autres (…). Croire que nos passions et nos idéaux sont irrémédiablement liés à l’usage d’une langue, c’est justement tomber dans le piège de ceux qui, naguère, voulaient nous nier, c’est faire de ce que nous pensons et éprouvons des réalités d’ordre ethnographiques, des objets morts de musées, c’est nous classifier et nous couper, par là, même de la grande famille des hommes. Je m’inscris en faux contre cette vision aussi rétrograde, aussi peu digne d’une culture véritable, qu’elle soit occidentale, islamique, chinoise ou indoue. Ce qui arrive de profond aux hommes, en quelque endroit de la terre qu’ils se trouvent, intéresse tous les hommes ».
Rappelons que Mammeri est l’homme par qui l’étincelle d’avril 1980 s’alluma. Le 10 mars 1980, étant invité à donner une conférence sur le dernier livre qu’il venait de publier chez Maspero, “Poèmes kabyles anciens’’, il sera intercepté par un barrage de police à 3 km avant Tizi Ouzou. La wali justifiera ce geste en disant que cette conférence risquait de porter atteinte à l’ordre public. On sait, par la suite, par qui et par quoi l’ordre public sera troublé.
