Tifilkout, un village moderne, une cité ancestrale

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Batti au bas de la colline accrochée fièrement aux flancs de la montagne, à 800 mètres d’altitude, Tifilkout recouvre une plaine de presque 10 km 2. Entouré telle une couronne par les villages d’Illilten et ceux d’Iferhounène, Tifilkout occupe le cœur de ces terres arrosées par les intarissables eaux fraîches du Djurdjura. Aujourd’hui, le village compte une population avoisinant les quatre mille âmes. Selon d’autres récits, le premier ancêtre venu s’installer sur ces terres, remarqua que la plaine est un amas de fougères. Depuis l’appellation “Tifilkut” du village, vient du mot Ifilkou qu’est cette plante verdâtre qui signifie les fougères dans la langue de Molière. Igawawen, la tribu-mère de Tifilkout et de la presque totalité des villages de Aïn El Hammam (Ex-Michelet), At Tfilkut, verront défiler chez eux les armées du Royaume de Koukou qui s’installa dans la région en édifiant son QG au centre du village. Le tombeau du roi, devenu lieu de culte et de pèlerinage, est célébré par les descendants de Sidi Hand Oulkadi des Tizi Rached, Achellam, Mekla et le village de Tifilkout chaque année. Non loin du célèbre village d’Aheddad El Qallus, Tifilkout et la région d’Illilten a vu aussi la venue des Espagnols. Aujourd’hui, on les appelle, comme un vague souvenir, At Wandlus. Référence faite à l’Andalousie ? Ces conquérants qui occupaient l’entrée sud du village seront chassés par les villageois quelques années après leur installation. La «résistance» contre ces malvenus consacrera selon les récits racontés par les vieux la parité entre les villageois en bannissant tout ordre de mérite social légué par les clercs religieux installés en Kabylie depuis les dynasties nord-africaines.

La participation de la région d’Illilten à la résistance populaire contre l’envahisseur français fut totale. Avec les deux résistances de 1857 et celle de 1871, des dizaines de guerriers de la région tombaient au champ d’honneur dans le versant nord de la Kabylie, vers Vgayet ou à Ichariden. L’armée coloniale franchira le seuil du village le 11 juin 1857. Après la défaite militaire de la Kabylie face aux armées du général Randon, la soumission de la région fut cruelle. Dès lors, et pour des raisons objectives, la vague d’immigration connaît ses débuts. Aujourd’hui, le village Tifilkout compte pas moins de 800 immigrés. On enregistre dans la région la 5e génération d’immigrés. Pris en étau entre une nature hostile et une misère atroce, les At Yellilten choisirent l’exil sous d’autres cieux plus cléments. Durant les années 50, Tifilkout est rattaché à la commune mixte de Djurdjura par les autorités coloniales ; il devint en 1957 un centre municipal regroupant les villages limitrophes. L’adhésion des villageois à la lutte armée contre le colonialisme était massive. Au delà de la sauvagerie coloniale émaillant les opérations militaires, le village a enregistré plus de 200 martyrs, dont des disparus. Ironie de l’histoire, 46 ans après l’Indépendance, les citoyens du village ont pris l’initiative d’ériger avec l’aide de l’APC une stèle commémorative en hommage à leurs martyrs.

L’absence de l’Etat ou le calice jusqu’à la lie

Comprimés par une nature atroce, vidés de ses potentialités humaines par les colonialismes, oubliés par l’Etat algérien, les At Yellilten se sentent exclus de ce pays pour lequel les anciens se sont sacrifiés. Devant un tel sort, les regards lorgnaient des décennies durant vers l’immigration. Aujourd’hui, l’ordre impose d’autres initiatives. Lesquelles ? C’est la question que se posent les citoyens de cette région, lesquels ne savent décidément plus la voie de salut à entreprendre.

A Tifilkout, seule l’école primaire et la salle de soin témoignent de la présence d’un Etat. Sinon, tous les autres aspects de la vie villageoise sont supportés par les citoyens. Pour combler le vide criant laissé par l’Etat, les citoyens font appel à l’organisation traditionnelle. Pour ce faire, chaque famille est encline à participer à la gestion de la cité en désignant un membre de la famille pour prendre part au comité du village. Ce dernier, seule autorité morale et physique, issue de la djemaâ pour gérer les affaires du village, s’attelait à résorber moult défaillances de l’Etat dit moderne. Doté d’un rôle moderne, le comité du village, composé dans sa majorité de jeunes, sollicite les projets, s’occupe du suivi et éradiquer notamment, les obstacles que dressent quotidiennement la vie en société. Grosso modo, les comités de villages de Kabylie doivent courir plusieurs lièvres à la fois.

Devant les chiffres effarants du chômage dans cette région, «même avec un plan Marchal pour les jeunes, les autorités auront du mal à récupérer le retard enregistré depuis l’Indépendance».

La dureté de la vie dans les montagnes de Kabylie est consubstantielle de l’auto-organisation des villageois. Comme un bouclier contre l’enclavement économique, ils adoptent ce rempart de survie pour assurer la pérennité de la civilité qui unie les citoyens du village. Loin du tintamarre officiel, le village s’émancipe grâce à l’abnégation de ses filles et fils. Sans balbutiements, le village érige des édifices monumentaux. Aidés par la communauté immigrée issue du village, les citoyens ont racheté un vaste terrain limitrophe du village pour en faire une aire de jeux pour une somme de 1 500 000 DA.

Pour réunir cette somme, tous les villageois ont cotisé. «Les travaux ont commencé cette année», assure Amara Mazi, président du comité. «Un budget de 1 000 000 DA est octroyé au projet. Une entreprise a démarré les travaux pour une somme de 800 000 DA», a-t-il ajouté, en précisant que «c’est l’APC qui finance les travaux de réalisation».

L’auto-organisation, un acte vital !

Les responsables du village que nous avons rencontrés nous ont appris qu’une liste de projets a été proposée aux autorités de wilaya dans le cadre de la viabilisation des villages. L’évacuation des eaux pluviales, la redistribution de l’eau potable, des murs de soutènement, l’électrification de la piste du village, les captations et l’acheminement de nouvelles sources d’eau potable, le bétonnage des ruelles …, sont entre autres projets proposés pour redonner vie à ce village.

Toujours selon la même source, ces projets tant attendus ne verront jour qu’avec la validation par des bureaux d’études pour fixer les montants et la faisabilité. D’ici là les citoyennes et citoyens du village se croiseront leurs doigts quant à la décision que prendront les responsables administratifs. Par ailleurs, la localité aura sa stèle commémorative pour les martyrs. “Le projet entre dans le cadre du projet de viabilisation du chef-lieu de la commune”, nous explique encore Amara. Pour ce faire, le don d’une parcelle de terrain collective pour édifier la stèle est venu simplifier le devoir de mémoire pour ces descendants d’Hommes libres.

La 4ème édition du Festival Boubekeur Makhoukh en août prochain

Les préparations de la quatrième édition du Festival de théâtre Boubekeur-Makhoukh sont d’ores et déjà lancées. Un groupe de jeunes a pris l’initiative de commémorer le 10e anniversaire de la mort du défunt artiste Boubekeur Makhoukh, lequel est originaire du village. Pour marquer cette date, les adhérents de l’association Tafat ont décidé d’organiser la quatrième édition du Festival de théâtre en hommage au dramaturge. Cette édition sera dédiée à l’un des élèves de Boubekeur, en l’occurrence feu Kheireddine Amroune terrassé par une crise cardiaque, à Vgayet en 2005.

«Des commissions de préparation des journées théâtrales sont mise sur pied», nous informe, Madjid Naït Lhadj, président de l’Association Tafat. Et d’ajouter qu’“un riche programme est tracé pour la célébration» qui verra la participation de beaucoup d’artistes et de théâtres régionaux, comme celui de Vgayet. Pour cette édition, les responsables de l’association ont décidé d’innover. Pour se démarquer des traditionnelles commémorations, et afin de donner d’autres allures à cette édition, des représentations théâtrales suivies des soirées musicales sont prévues pour les journées. Au delà de l’animation durant la semaine théâtrale, le festival sera une occasion de rencontre d’abord des villageois ensuite des comédiennes et des comédiens qui prendront part aux festivités. A titre de rappel, la première édition tenue en 1999 a vu la participation de tous les villageois. La seconde, a été tenue en 2002 après le Printemps noir où les responsables de l’association ont reporté l’événement en guise d’hommage aux victimes du Printemps noir. La troisième édition s’est déroulée en 2004. «Après 4 ans d’absence, le Festival de théâtre “Boubekeur Makhoukh” revient pour égayer toute la région avec des spectacles théâtraux, des galas de chants et des retrouvailles entre férus du septième art», nous expliquera Karim Sid Abdelkader, membre organisateur.

Afin de répondre aux exigences de l’organisation du festival, les membres de l’association lancent un appel «à tous les hommes de théâtre, les amoureux du septième art et les autorités culturelles pour prendre part à la commémoration de la mort d’un géant du théâtre national qu’est Boubekeur Makhoukh». Ce festival se veut une occasion de rencontres conviviales entre les filles et fils du village, notamment avec la venue des immigrés.

Par ailleurs, les membres de l’association que nous avons rencontrés ont dressé un tableau peu reluisant de l’activité culturelle. Ainsi, l’association qui participait durant les années 90 aux différentes manifestations théâtrales et culturelles s’est vue réduite à sa simple expression par «une bureaucratie destructrice». Les retards enregistrés dans les virements de subventions et les blocages de tous genres rendent la vie difficile aux associations culturelles qui ne vivent que grâce au bénévolat des adhérents. «Le foyer de jeunes construit il y a deux ans n’est toujours pas opérationnel», s’est plaint un autre adhérent. Pour les membres de l’association éclairer toutes les zones d’ombre concernant le foyer de jeunes est inéluctable. “Comment se fait-il qu’une subvention de 160 000 DA est décrochée pour le foyer tandis que le personnel gérant n’est pas désigné ?” s’interrogent les responsables de l’association.

Mohamed Mouloudj

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