»Jours de Kabylie »… suite

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Par, Hamid Gasmi

Les quelques lignes qui vont suivre ne se veulent pas rivaliser avec la magnifique fresque de Mouloud Feraoun, « Jours de Kabylie « , où il y illustre la société kabyle des années 50. Ces textes voudraient, mais n’y parviendront sans doute pas, être une suite à cette œuvre et présenter le village kabyle du troisième millénaire…

L’actuelle Kabylie est très différente de celle de Mouloud Feraoun. Bien des années ont passé, elle a fait son bout de chemin… Ses enfants ne sont plus illettrés comme ils furent pendant des générations. Ils ont désormais un brin de formation.

Nous sommes au mois de juin. Nous sommes dans un petit village kabyle. Lequel vacille sur un sommet d’une montagne comme tous ses semblables. Souama est son nom. Le mois de juin, comme presque partout dans le monde, coïncide avec la fin de l’année scolaire. Et bien évidemment, ça va de soi, des résultats scolaires. Les résultats scolaires, du primaire au lycée, c’est une affaire qui concerne tous les villageois. Pendant ce mois de juin, le village ressemble à un champ de courses. Où chaque villageois parie sur un cheval, son fils ou sa fille ou son voisin, ou, à défaut, un enfant qu’on croise chaque matin en sortant accomplir sa besogne de la journée. Malgré le sommeil qui continue encore à avoir raison de lui, d’une voix presque angélique il dit  » Bonjour Ddada ou Nnana « . Rappelons que les mots ‘Ddada’ (masculin) et ‘Nnana’ (féminin) sont une sorte de respect dû à l’aînesse, ils substituent aux prénoms. Les courses se déroulent pendant les examens. Il y en a plusieurs. Chaque course représente une matière. De l’éducation civique à l’éducation Islamique en passant par tous les matières classiques pour tout élève du monde entier : mathématiques, dictée, lecture, ecriture. L’enjeu est – rien avoir avec une cagnotte quelconque- la fierté : marcher la tête haute, la tête sur les épaules dans tous les recoins du village. En particulier, les fontaines, pour les femmes et la place du village, Tajmaïth, pour les hommes. Au fur et à mesure que les épreuves défilent, des résultats intermédiaires tombent. Deux ou trois élèves dans chaque classe, à chaque niveau scolaire, se dissocient du reste et forme alors le peloton de tête. La première place se jouera entre eux. La bataille est désormais commencée, les paris sont ouverts. Cette guerre, qui piège au milieu des innocents enfants, est rude surtout chez les femmes. Et encore plus sournoise et plus rude chez les grands-mères, qui se sont lassées d’épier les moindres gestes de leurs brus, de trouver le moindre défaut, les plaindre et regretter finalement jadis, le bon vieux temps, où les femmes étaient d’une méticulosité devenue rare aujourd’hui. Ces vieilles femmes cherchent d’autres duels. Elles sont servies. Pauvres enfants ! Une pression énorme pèse sur eux. Il y a même ceux qui sortent de chez eux sous la menace. Le petit, à sa sortie de la maison, il voit sa mémé venir lui dire au revoir et lui souhaiter le bon courage pour la journée d’examen qui l’attend  » Ad-edu rebbi yid-ek a-mmi, (que Dieu t’accompagne mon fils) « . Elle s’agenouille, s’approche sa bouche à l’oreille de son petit et, pinçant bien fort son maigre ventre,  » Gare à toi si le fils de Flene, le fil de tel, s’avère meilleur que toi  » lui dit-elle. L’enfant s’en va, traumatisé. Mauvaise stratégie, la grand-mère vient de signer son propre échec. Le petit n’arrivera pas à s’en remettre, ses études étant mêlées avec la haine, la bêtise et la hargne des adultes. Heureusement que les grand-mères ne sont pas toutes comme celle que je viens de décrire. Non, il y en a de douces, des grand-mères comme on les aime. Contrairement aux premières, celle-ci, avant que leur petit enfant ne sorte, lui donnent un morceau de sucre :  » Pour que tes réponses soient sucrées, mon fils  » disent-elles. Ces enfants  » rivaux  » finissent toujours par devenir d’inséparables amis. Ils reconnaissent avec un esprit sportif remarquable la  » victoire  » (qui n’est que partie remise) méritée de l’un ou de l’autre. Mais même la 2ème place suffit rarement à éviter la correction sévère de la grand-mère… N’en parlant pas des derniers ! Un châtiment leur est réservé. Une anecdote me vient à l’esprit. Elle avait six ans à l’époque. Ma sœur. C’était son premier résultat scolaire. Elle appréhendait le moment de ramener le carnet scolaire à la maison pour le faire signer par le tuteur, en l’occurrence mon père. Elle avait beaucoup entendu parlé de ces pères, mères ou grand-mères sévères qui punissaient leurs enfants. Et pour elle, il ne s’agissait pas de la 2ème ou 3ème ou même la 17ème place… Non, elle était classée 34ème. LA DERNIERE. Et comme dirait mon petit frère – il s’y connaît aussi dans les classements – ELLE ETAIT PREMIERE en commençant le comptage dans L’AUTRE SENS. C’était l’échec total, le bide. Quand elle arriva à maison, tout le monde était là. Mon père lui demanda son classement. La question qui TUE. Elle ne savait pas quoi répondre. Elle savait que 34ème ne serait pas une réponse appréciée. Après un moment de réflexion, comme elle avait vu le carnet scolaire de son ami marqué 1 ER. Elle avait rétorqué  » Je suis classée PREMIERE… ER « . En roulant le R. En effet, chez nous il est autorisé d’utiliser un mot français à une seule condition, ROULER TOUS LES R. Dans l’autre cas on te prendra pour un snob…Revenons à ma sœur. Je ne peux pas m’empêcher de rire en écrivant ces lignes. Ma sacrée sœur ! Elle avait fait rire tout le monde et évité sa punition. Elle a 36 ans aujourd’hui et ‘PREMIERE… ER’ la suit toujours comme un deuxième prénom. Ceci n’est pas le fruit de l’imagination d’un écrivain (Ou disant d’un futur, éventuel « écrivain »). Mais la pure réalité. La réalité dont je suis témoin. Non je ne suis pas un enfant battu par sa grand-mère. Mais mes amis, mes pseudos rivaux, me racontaient ce qu’ils enduraient à chaque fin de trimestre.

H. G.

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