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 »L’Algérie a entamé l’avant-justice de transition d’une façon mûre »

Le Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous résumer en deux mots la définition de la justice de transition et son application sur le terrain ?

M. Ahmed chawki Benyoub : Je considère la justice de transition comme un vrai fruit politique, culturel et humain, qui a permis à beaucoup de sociétés sortant d’un conflit armé ou d’un régime autoritaire vers un régime démocatique. Elle a, également, permis l’ouverture de plusieurs débats nationaux et internationaux. Elle a servi aussi comme espace de dialogue pour, entre autres, enrichir la mémoire d’un pays et de faire une lecture approfondie en ce qui concerne le passé et les violations des droits de l’Homme.

Cette justice, considérée de nos jours, comme un nouveau concept, a encouragé, en quelque sorte, les victimes à participer à la transition politique de leur nation.

Sachant que chaque expérience nationale garde toujours sa spécificité- sauf que tous les troncs communs des expériences nationales à travers le monde se centralisent sur un seul point- qui est la vérité. Les grands objectifs de ce concept juridique sont la vérité, la réparation et la garantie du non retour.

D’un point de vue juridique, comment évaluez-vous l’expérience algérienne, en l’occurence la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ?

En ce qui concerne le cas algérien, je pense actuellement qu’il ne faut pas le juger sur la base des critères de la doctrine de la justice de transition…

C’est-à-dire….

L’Algérie est le seul pays arabe qui a connu une amorce sérieuse et historique d’un processus démocratique. Un tel parti dans le système politique a décidé autrement. Le pays a vécu, durant les années 80-90, une tragédie nationale où ses victimes et ses violations étaient très larges. Je dirai que l’Algérie a fait l’avant-justice de transition d’une façon mûre.

Elle a tracé un autre chemin. Il s’agit de la préparation d’un terrain politique, culturel, moral et psychologique pour un vrai débat sur ce nouveau concept. L’Algérie a ainsi réussi en appliquant ce concept à rétablir la paix.

Ce que le pays a vécu pendant les 20 ans passées impose-t-il nécessairement, aujourd’hui, l’idée de cette justice ?

Bien évidemment. La situation a clairement changé en Algérie, et ce grâce à l’application de ce concept judiciaire. Je pense que toutes les lois proposées par le président Bouteflika restent un grand acte intellectuel et politique. Cette initiative interpelle en premier lieu les associations des droits de l’Homme et les victimes. Au Maroc, par exemple, s’il n’y avait pas eu un vrai dialogue national, mûr entre les composantes de la société civile et les victimes, on n’aurait pas pu construire des liens sains avec l’acteur politique principal dans le pays. A mon avis l’expérience algérienne a suscité une grande prise de conscience dans le monde arabe en ce qui concerne cette justice de transition, car la prise conscience de la société civile algérienne et de la classe politique permettra d’encourager un dialogue franc et responsable concernant ce concept.

Quelle est votre lecture (juridique), concernant le projet de la réconciliation nationale appliqué par le président Bouteflika ?

L’Algérie a retrouvé la paix, ce qui était l’objectif principal de cette initiative. Un tel processus et de telles démarches entreprises par l’Etat algérien ont actuellement besoin d’une réflexion et d’une évaluation profonde.

C’est très important pour les défenseurs des droits de l’Homme car un tel projet, nous le considérons comme une grande avancée et un acquis pour le monde en général et pour la brûlante question des droits de l’Homme en particulier.

Ces jours-ci, des journalistes algériens ont bénéficié d’une session de formation portant sur l’information et la justice de transition, selon vous quel rôle peut jouer l’homme des médias sur cette question ?

Le rôle du journaliste est déterminant dans le processus de la justice. Il est le carrefour de toutes les passerelles des acteurs participant au dialogue sur la justice de transition. Le journaliste doit prendre toutes les responsabilités dans le respect de l’éthique, bien évidemment, de la conscience et de la reconnaissance.

Il est le médiateur d’un dialogue et non pas un magistrat de jugement de valeur, et c’est à l’histoire de juger les expériences des pays ayant fait objet d’une justice de transition.

Entretien réalisé par N. B

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