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Les avisés et les simplets (Ouh’d’iqen d’-ibahloulen)

Les tireurs au flanc ont de tout temps existé. Leur devise : tout doucement le matin, pas trop vite le soir. C’est l’histoire de l’un d’eux, que nous allons vous raconter à travers ce conte du terroir.Un homme paresseux à outrance a fait sien ce proverbe : “Thamet’t’outh ih’arzenKhir n-etyoug’a ik’arzen !”Ce proverbe kabyle veut dire qu’une femme économe est de loin supérieure à une paire de bœufs de labour.Pour se tirer d’affaires, il épouse deux femmes pour se la couler douce. La première s’avère être travailleuse mais un peu simple d’esprit “tsabahloulte” (sotte). Quelques mois plus tard il lui adjoint une femme intelligente et avisée “thouh’d’iqth” qui prend les rênes du foyer, au grand bonheur du mari fainéant, qui passe ses journées à se prélasser et à manger.La seconde épouse prend en mains la destinée de la maisonnée. Grâce à sa gestion efficace, la petite famille ne manque de rien. Sous la direction de l’avisée (thouh’d’iqth) les champs sont plantés et les récoltes ramassées.Un jour pendant la saison des semailles, les deux femmes sont étonnées par la demande de leur mari. D’habitude ce sont elles qui se chargent de tous les travaux des champs, mais aujourd’hui, contre toute attente, le paresseux mari leur demande une mesure de fèves (amoud ivaouen) à semer. Elles sont heureuses d’entendre de telles propos. Thouh’d’iqth se dépêche de lui remettre les fèves demandées. Heureux présage se dit-elle, notre mari va enfin nous aider !Les fèves dans un sac, le mari se rend aux champs. Il allume un grand feu, met les fèves dans un récipient et attend qu’elles cuisent pour les manger, c’est son péché mignon. Il adore les fèves ainsi préparées. Comme l’appétit vient en mangeant, il en redemande tous les jours. Bientôt, il vide le silo (ak’oufi) qui était plein à ras bord. Pendant tout le temps qu’il allait aux champs, le mari toujours repu ne mangeait pas à la maison. Il prétendait qu’il était malade et qu’il ne pouvait rien avaler.Thabahlouthe (la sotte) le croit, mais ce n’était pas le cas de thouh’d’iqth (l’avisée).Un jour en lui remettant l’une des dernières mesures de fèves, thouh’d’iqth décide de le suivre accompagné de thabahlouthe. Sans se faire remarquer, elles le suivent de loin et le prennent en flagrant délit. Après avoir mangé les fèves, il s’allonge au soleil pour digérer.Elles sont consternées. Thouh’d’iqth frappe dans ses mains de dépit. Elle a été abusée. L’ak’oufi (silo) est vide. malgré qu’elles avaient découvert le pot aux roses, aucune des deux femmes ne pouvait attaquer le mari de front. Il était capable de les répudier et de se remarier sur le champ.Quand le mari rentre le soir, thouh’d’iqth brûle de lui en parler, l’occasion lui est donnée, quand le fainéant de mari enlève son burnous pour dormir. De la capuche renversée s’échappent quelques fèves qui tombent au sol. Se saisissant de l’une des fèves ramollies et gonflées, d’un air malicieux elle lui dit :- Bane ivaouen agiAnsi id kan akkagiOuaqila seg âboudh ikAy argaz lâli !(Ces fèves sont cuites, d’où viennent-elles ? De ton ventre peut-être, ô homme de bonne famille !)En lui disant cela, elle fait allusion à sa prédation des fèves. Pour toute réponse, l’homme lui dit d’un air méchant :- Les fèves ne sont pas cuites, je les ai seulement mises dans l’eau afin qu’elles germent plus vite. Je les ai oubliées. Demain, je vais les semer !

Benrejdal Lounes (A suivre)

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