Les deux piliers titubants de la République

Partager

Aucune autre ambition à même de conjuguer les énergies des communes caractérisées par un certain degré d’homogénéité humaine et naturelle n’est encore visible dans la politique générale des institutions algériennes. Cependant, ce genre de handicap n’est pas le seul à freiner les élans des initiatives citoyennes qu’elles viennent des élus ou des associations. C’est en vérité toute la pyramide institutionnelle du pays qu’il importe de revoir à la faveur des efforts et des espoirs de la démocratisation de la société en faisant appel à tous les instruments politiques, législatifs et techniques liés à l’aménagement du territoire pour une véritable décentralisation du pays. Pour rappeler une évidence administrative et territoriale, la République est une somme de communes. Par quels moyens humains, réglementaires et managériaux le personnel élu, issu des élections communales et de wilaya de novembre 2007, pourra-il concrétiser cette donnée naturelle de la gestion d’un territoire ?

Des codes-muselières

Les rôles et missions des assemblées locales (APC et APW) et l’articulation de leurs activités avec celui de l’administration (chef de daïra, wali) ont besoin plus que jamais de nouvelles définitions et requièrent une vision rénovée par rapport aux enjeux du développement local. L’actuelle Assemblée nationale, issue des élections locales de novembre 2007, n’est pas encore sollicitée par l’Exécutif pour l’étude des codes de la commune et de la wilaya préparés par le département de M.Zerhouni. Depuis la fin de l’assemblée communale monopartisane du FLN en mai 1990, la logique de l’évolution interne de cette structure de base donne le constat d’une certaine asphyxie due à une marge de manœuvre floue de ses élus par rapport au pouvoir de l’administration incarné par le chef de daïra et le wali, comme elle fait un appel d’air à l’ensemble des clivages et archaïsmes traversant la société tout entière. Les luttes homériques entre les membres des assemblées ont entraîné des retraits de confiance et autres procédures pénalisantes au point que l’intérêt de la collectivité est souvent relégué au second plan. A ces problèmes internes issus des contradictions existantes au sein même de la société et de la nouvelle expérience démocratique, se sont greffés les schémas trop centralisateurs de l’Etat dans lesquels domine la logique du commandement descendant, faisant ainsi abstraction des acteurs locaux, des collectivités territoriales et du monde associatif. S’agissant de la gouvernance locale par laquelle, s’ébauchent sous d’autres cieux la culture démocratique et la conscience citoyenne, les enjeux s’avèrent d’une importance vitale pour la vie quotidienne des citoyens. À ce niveau de réflexion, on ne peut éviter de mettre sur la table les instruments réglementaires et législatifs qui sont à la base du fonctionnement des assemblées élues locales (APC et APW). L’étroitesse et les limites des codes qui régissent ces deux institutions étant une réalité qu’il convient de déplorer et de dénoncer, il reste qu’à l’intérieur des prérogatives qui sont les leurs les élus n’ont pas encore brillé par une gestion innovante et imaginative des affaires relatives à leurs localités. L’esprit d’initiative en est le grand absent. Ce ne sont sûrement pas les routinières réunions des APW qui nous apprendraient le contraire. Les commissions spécialisées de ces assemblées ne sont généralement pas instruites des grands dossiers qu’elles viennent examiner avec l’exécutif concerné (direction de wilaya). Les données techniques et statistiques leur échappant complètement, elles compensent ce déficit par des péroraisons et des procès d’intention qui ne font avancer les choses en rien. Il est bien beau et flatteur cet autre statut de  »premier magistrat » de la commune dont se prévaut le président de l’APC pour peu que ce dernier fasse valoir ses attributs, ses compétences et son sens des responsabilités. Malheureusement, les prévarications, les magouilles et autres affaires interlopes dans lesquelles ont trempé nombre de maires ou de membres d’exécutifs communaux ont carrément oblitéré leurs devoirs envers leurs administrés et donné un coup de canif mortel au contrat qui les lie à leurs électeurs. Ce n’est nullement une surprise de lire dans la presse que des maires sont poursuivis en justice pour gestion opaque des marchés publics, détournement de biens sociaux et autres délits de divers degrés de gravité. La série de fermetures de mairies, y compris dans certaines grandes villes par les citoyens excédés par l’injustice et la dilapidation des fonds publics ne constitue pas non plus un scoop ou un événement extraordinaire tant la pratique, aiguillonnée par l’obstruction des voies de recours, a fini par entrer dans les mœurs. La culture de l’émeute risque de devenir une  »constante nationale ».

La gestion de proximité baigne dans l’approximation

Les dispositifs électoraux permettant de renouveler les instances locales (communales et de wilaya) sont supposées pouvoir réhabiliter et développer, autant qu’en exigera la démocratie participative locale, les notions de gouvernance locale et de gestion de proximité. En fait, par rapport à la gestion hyper-centralisée des affaires de la cité, héritage de la bureaucratie des années soixante-dix du siècle dernier, l’autorité locale, symbolisée de manière diffuse par le président de l’APC, constitue, même avec ses tares et travers, le porte-étendard de populations qui n’ont pratiquement aucun relais dans les rouages nébuleux de la haute sphère de commandement. La mairie, la structure la plus proche-du moins physiquement- des population locales sert souvent pour ces dernières de défouloir et de mur de lamentations face aux difficultés de la vie entraînées par la nouvelle orientation économique du pays. Une transition qui n’en finit pas et qui a charrié pauvreté, accroissement des inégalités, chômage, précarisation plus insidieuses des basses classes,…etc. Lorsque les jeunes n’arrivent pas à faire entendre leur voie auprès du wali ou d’un ministre quelconque, c’est sur le siège de l’APC que retombera leur courroux et c’est sur ses murs que se déversera leur vieille furie. Première entité administrative du pays- c’est son unité administrative de base-, la commune fonctionne en Algérie sur la base d’un code désuet, dépassé par l’évolution sociale et institutionnelle du pays. Les nouveaux codes de la commune et de la wilaya étaient en préparation au niveau du ministère de l’Intérieur depuis le début des années 2000. À force d’être annoncés et aussitôt différés tout au long de ces deux dernières années, ces projets ont fini par prendre aux yeux des populations et des élus l’aspect d’un mirage. Le ministre de l’Intérieur a à plusieurs reprises fait état d’un travail de maturation que réclamerait encore les deux textes avant leur promulgation. Au cours du mois de mars 2007, le ministre délégué aux Collectivités locales a établi, le constat le moins indulgent et le moins complaisant qui puisse être fait sur la gestion des municipalités du pays. En effet, Ould Kablia n’y va pas par trente-six chemins pour diagnostiquer le mal qui ronge les Assemblées populaires communales censées être l’entité de gestion minimale du territoire du pays. Manque de formation, dilution des responsabilité, corruption, mauvaise prise en charge du foncier, inadéquation du Code communal en vigueur avec les nouvelles réalités du pays et une kyrielle d’autres problèmes qui prennent à la fin en otage la collectivité tout entière. On reconnaît au ministre cette franchise peu coutumière chez nos responsables gouvernementaux en s’attaquant à l’aspect politique de la composante de l’Assemblée. Cela revient à mettre sur la table de discussion la notion de démocratie telle qu’elle est perçue par les élus de base, loin des États-majors des partis. Cependant, ces derniers ne manquent pas, lorsque des intérêts sont en jeu-et c’est souvent le cas- de peser de tout leur poids pour orienter les décisions des assemblées communales dans le sens qui leur sied. Ould Kablia a pointé du doigt expressément les membres de l’Alliance présidentielle :  » Il se trouve que le seul domaine où les partis de l’Alliance conjuguent peut-être leurs efforts c’est pour faire tomber le président de l’APC « . Triste situation de la gestion des assemblées élues lesquelles, cinq mois après leur prise de fonction, se retrouvent encore dans des situations de blocage ou de  »deux pas en avant, trois pas en arrière ». Le comble est atteint lorsqu’à la dernière semaine du mois d’avril dernier une mairie de la wilaya de Bordj Bou Arréridj a été cadenassée non par des émeutiers mais par des élus  »excédés » par les méthodes de gestion de la municipalité.

Qui veut la fin veut les moyens

Dans les pays développés, la gestion des communes est en train de prendre de plus en plus les aspects de la gestion d’une  »petite république ». Chez nous, le Code communal, au vu de l’évolution des réalités économiques, culturelles et sociales du pays, est frappé d’obsolescence. Des ministres et d’autres hauts dirigeants le reconnaissent.

La nouveauté du futur Code communal, d’après le ministre délégué aux Collectivités locales, c’est l’approche d’une  »démocratie participative » qu’il convient d’asseoir dans les assemblées élues : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles, participeront aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement,…etc. Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives tels que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…), comme il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que celui-là signifie, contrairement à l’élu, la pérennité et la permanence de l’institution.

Demeure le vieux dossier de la nouvelle division administrative que les officiels jugent pourtant comme étant une nécessité absolue au vu des profondes transformations qu’a connues l’Algérie au cours des dernières années. La maturation du dossier est bien avancée au département de Zerhouni, mais des considérations probablement liées à des rapports de forces politiques au sein des institutions a quelque peu retardé la concrétisation du projet. Une version de ce projet- mouture définitive-serait entre les mains du président de la République. Beaucoup d’autres wilayas seront créées avec une moyenne démographique de 300 000 habitants. Mais les difficultés de transfert de pouvoirs et de délimitation définitive des frontières feront certainement traîner le dossier de la nouvelle division administrative appelée certainement à connaître une période de transition avec le système de wilayas déléguées. Une chose est pourtant sure : une division administrative rationnelle et harmonieuse et des prérogatives claires et bien managées des cellules de base que sont les municipalités sont à même d’ébaucher les bourgeons d’une démocratie venant de la base et de mieux appréhender les outils et les enjeux du développement.

Déconcentrer/décentraliser

Un cran supérieur vers la participation citoyenne

Au moment où la population, les organisations de la société civile et les opérateurs économiques misent sur une décentralisation accrue des structures de l’État pour libérer les initiatives et les énergies locales, instaurer un équilibre régional en matière de développement économique et harmoniser la gestion des territoires, l’impression qui se dégage au sommet de la hiérarchie gouvernementale ne donne aucun signe d’empressement même si à un certain moment la décentralisation administrative et territoriale est présentée comme la solution idéale pour une gestion rationnelle des ressources et pour une véritable intégration nationale basée sur les spécificités régionales et la complémentarité dans l’ensemble national. Suite à l’impasse historique du modèle jacobin et à une demande citoyenne exprimée parfois dans la violence, des lueurs d’espoir commençaient à poindre lorsqu’au début des années 2000, les programmes sectoriels de développement ont été déconcentrés et confiés à la gestion des wilayas. Au chef du gouvernement et ministres de son cabinet sont confiées des missions qui auraient pu être mieux et plus promptement assumées si elles étaient dévolues à des autorités intermédiaires qui auraient à leur charge par exemple la gestion d’un territoire regroupant trois ou quatre wilayas. Les problèmes soulevés dans certaines réunions des exécutifs communaux ou dans les travées de l’APW sont parfois d’une simplicité si désarmante que l’on a peine à croire qu’ils doivent être soumis aux hautes autorités du pays pour leur trouver une solution. Les exemples ne manquent pas. Les programmes de développement inscrits dans le cadre du Plan de soutien à la croissance économique, et dont la gestion et le suivi sont confiés aux wilayas, sont si importants et leur gestion si délicate que seule une véritable décentralisation de la décision pourra en assurer une garantie minimale. Les daïras, entités intermédiaires qui ont une fonction plus symbolique que managériale, ne sont habilitées ni techniquement ni humainement à prendre en charge de tels plans de développement. Dans une telle situation de chaînon manquant dans la machine administrative de l’État, personne ne trouve son compte si l’on excepte les réseaux de corruption et de clientélisme qui tirent partout dans le monde avantage de la concentration des pouvoirs et de l’opacité de gestion qui lui est intimement liée.

Une révision positive des codes de la commune et de la wilaya constitue à n’en pas douter la pierre de touche de la volonté politique du gouvernement à établir la bonne gouvernance locale et à aller vers plus de décentralisation dans les structures de l’État et la gestion des territoires. En cherchant par le truchement d’autres formes d’organisation (associations, clubs,…) à peser dans l’échiquier de la gestion de la cité, la société consacre ainsi des organisations loin des carcans bureaucratiques des appareils centralisés, voire même contre eux. Même si les textes fondamentaux du pays réservent la place qui leur sied à la commune-première cellule de la pyramide institutionnelle et unité minimale de la gestion territoriale- et à l’APC en tant que première structure élue la plus proche des citoyens, la réalité de la gestion de ces entités est autrement plus problématique et l’arsenal des textes les régissant demeure souvent un fouillis de vœux pieux. Confrontés à la gestion quotidienne de la cité, les édiles municipaux et les services techniques qui leur sont rattachés se trouvent souvent désarmés face au manque de ressources financières, au déficit en logements sociaux, à la problématique inextricable du foncier et aux pratiques bureaucratiques élisant domicile dans les services de la wilaya et dans d’autres structures connexes censées servir le citoyen et la commune. Jusqu’à présent, presque toutes les timides tentatives initiées par certaines institutions nationales pour décentraliser leurs services se sont soldées par un patent échec. Ce sont généralement des actions isolées dont la réussite dépend en réalité de tout un écheveau de structures qui ne leur ont pas emboîté le pas. Moralité de l’histoire : la décentralisation-et la leçon a acquis sa part d’universalité- est un tout indivisible qui agit sur les institutions et les territoires.

On en est arrivé, avec certaines initiatives qui montent de la base pour tirer le pays vers plus de décentralisation et moins de bureaucratie, à un stade où le pouvoir politique est quelque part en retard par rapport aux initiatives citoyennes. Le salut du pays passera indubitablement par de tels projets s’ils arrivent à se multiplier à l’échelle de tout le territoire.

Amar Naït Messaoud

Partager