Du transport public privé

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L’Etat leur a fait la part belle. Avec un amoncellement de cadeaux qui ferait verdir de jalousie un garçon de riche le jour de Noël, les transporteurs “publics privés” ne voient pas de raison de s’arrêter en si bon chemin pour se refuser quoi que ce soit. La première faveur -inespérée- faite à ces “opérateurs” est dans la foulée de la décision de libérer le secteur dans le Grand Alger. Dispensés de services dans le centre-ville abandonné à ses calvaires éternels, ils ont main basse sur la périphérie et les banlieues qui les soulagent de l’effort et quelque part du contrôle. Avec un cahier des charges virtuel que seuls s’échinent à nous rappeler les services des transports de la wilaya et le ministère de tutelle, ils font comme ils veulent, tous les jours et sur chaque mètre de leur espace d’opération. Des véhicules dont le cahier des charges est censé avoir réglé les exigences de qualité, de confort et de sécurité, nous n’avons vu que de vieilles quincailleries menaçant à tout instant de rendre l’âme. Le respect des itinéraires pourtant strictement arrêtés est déjà une vieille histoire. Un bus censé desservir la ligne Bab El Oued – Aïn Benian peut décider de son terminus à la Pointe Pescade quand le patron estime qu’aller au bout du parcours est moins rentable qu’un retour prématuré au point de départ. Chauffeurs et receveurs, théoriquement obligés de travailler avec des tenues correctes, sont habillés comme des clochards, s’autorisent toutes les familiarités avec les femmes et oublient souvent de vous rendre la monnaie si par malheur vous osez régler votre ticket avec un billet. Et le bus doit toujours être plein à craquer. Sinon il peut se garer à n’importe quel arrêt et attendre la totale. Quelques brebis galeuses peuvent toujours rouspéter mais elle resteront des brebis galeuses face à la résignation générale et les garanties d’impunité promises ailleurs. La musique, la cassette de Coran ou le prêche enregistré se font diffuser selon le choix du genre et du volume du conducteur. Sur les vitres et les parois, la réclame bat son plein. On y promeut des produits et des services en tous genres, mais c’est le prêche islamiste qui domine. On ne connaît pas avec précision la part de vérité dans ce qui se dit sur l’argent du racket terroriste investi dans ce créneau, mais les indices de confirmation ne manquent pas dans les véhicules et les comportements de certains parmi ceux qui en ont la charge. Les jeunes hommes sommés de changer de place pour délit de proximité avec les filles et les regards inquisiteurs à l’endroit de femmes trop légèrement habillées ou trop maquillées au goût de nos transporteurs vigiles de la vertu. Aux grands points de départ, pompeusement appelés “agences”, l’anarchie est indescriptible. Dans un brouhaha de Souk, les receveurs crient à tue-tête leur destination. Dans des positions impossibles, les usagers sont happés par des préposés baveux et vindicatifs. Les choses sont pourtant censées être réglées. Un espace précis pour chaque destination, un temps pour “charger” et un ordre de départ selon l’ordre d’arrivée. Le respect de ces règles, des agents sont payés pour y veiller. Mais abreuvés aux puits de la roublardise et à la loi du plus fort, les transporteurs ne s’imaginent pas en train de s’aligner et attendre leur tour. Les agents, eux, ne voient pas de raison de se priver de ce que pourrait leur procurer leur statut dans un monde où tous les espaces sont “techipisables.”

Les bagarres éclatent à longueur de journée et les gourdins, devenus outils de travail, rivalisent en grosseur et en efficacité. L’usager subit et regarde. Il arrivera à destination dans deux heures au lieu de trente minutes, supportera des conditions de déplacement humiliantes et s’angoisse pour sa sécurité physique. Les services des transports de la capitale et du ministère de tutelle ont définitivement réglé le problème du transport urbain.

S. L.

laouarisliman@gmail.com

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