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Morosité sur toute la ligne …

A cette heure de la matinée, à l’arrêt des bus les derniers cars à destination d’Alger, de Tizi et de Bejaia commencent à quitter leurs aires de stationnement. Les cafétérias qui ont ouvert leurs portes pour accueillir les quelques voyageurs baissent les rideaux. A présent, des fourgons formant une file interminable sur une centaine de mètre attendant leur tour de rotation. Vers 7 h, hormis la présence de quelques vieux lève-tôt aux abords de la place publique et quelques travailleurs retardataires qui s’empressent de se rendre sur leurs lieux de travail respectifs, les passants se font rares. Aussitôt les premiers voyageurs partis, les lieux se vident et le village semble déserté de ses habitants. A l’intérieur de l’agglomération, la circulation automobile est très faible, parfois quasi inexistante. Aucun magasin n’est encore ouvert à cette heure de la journée. Pour ceux ayant des enfants en bas âge qui voudraient grignoter un quignon de pain, il faudra puiser sur les réserves de la veille.

L’après-midi pour les emplettes

Comme partout ailleurs, les emplettes s’effectuent l’après-midi. C’est-à-dire la morosité perdure jusqu’aux environs de 15 h. Avant, peu de chance de trouver acquéreur et encore moins de vendeurs. En milieu d’après-midi, la foule commence peu à peu à sortir, et les rues s’animent petit à petit. Sur l’artère principale du village, les derniers commerçants ambulants, notamment ceux proposant des fruits et légumes ont pris places. Les autres commerces qui ouvrent leurs portes, l’animation y est assez remarquée également. Sur les devantures de ces magasins, toutes sortes de produits, particulièrement des boissons gazeuses se trouvent exposées à même le trottoir, en plein soleil et soumis aux aléas de la poussière. Les vendeurs à la sauvette et les revendeurs de quelbalouz et de zlabia sont également de la partie. Ils sont pour la plupart positionnés en plusieurs endroits, mais uniquement sur les trottoirs, appâtant ainsi l’arrivée du moindre client. Le temps passe mais lentement au goût des jeûneurs. Aux alentours de 18 heures, la circulation devient de plus en plus dense à telle enseigne que des embouteillages monstres se créent au niveau du carrefour du CW 10 reliant Takerboust à Tazmalt. Pour l’automobiliste de passage dans le coin à l’approche de l’heure du f’tour, il pourrait penser qu’il est coincé dans un bouchon digne de ceux d’Alger Centre à quelques minutes de l’Adhan. Les nerfs chauffés à blanc, certains automobilistes font montre d’une impatience et d’une nervosité hors du commun. Et il n’est pas rare de les entendre s’échanger des vulgarités et autres insultes. Il faut dire que dans ce genre de situation, les nerfs en manque de nicotine et de caféine bouillonnent souvent. L’enchevêtrement de véhicules se fluidifie toutefois grâce à la sagesse de quelques uns pour qu’à l’approche de la rupture du jeûne, personne ne se retrouve coincé dans son véhicule loin de chez lui. Quelques minutes avant 19h 00, l’appel du muezzin à la rupture du jeûne retentit et soudainement la rue se vide, des groupes de fidèles se rendent à la mosquée tandis que les autres rejoignent leurs pénates. Autour de la meïda, le jeûneur à la tête ailleurs, car ne pensant qu’à la clope et au café qui suivront le repas. A peine les premières cuillères de la chorba avalées que beaucoup de jeunes se retrouvent dehors, et les cafétérias sont vite envahis. Au café du Djurdjura, c’est Madjid, un gars, la cinquantaine bien sonné, un Kahouadji de longue date qui est au comptoir. «Mselkhir saha lafthourick, un café léger, s.v.p !», «Un café bien ciré pour moi mon ami !» Les demandes fusent de partout et le cafetier ne sait plus où donner de la tête. Mais l’expérience et le sang-froid du bonhomme au comptoir font souvent la différence. A l’extérieur des cafés maures, un monde fou et commence alors les incessants va-et-vient. Il est quasi impossible de se frayer un chemin parmi la population. Là, l’exiguïté se fait ressentir, le qualificatif du village disant qu’il est le plus populeux trouve toute sa signification. À l’intérieur des salons de thé et des cafés maures, beaucoup de jeunes sont attablés. Cafés, thé, jus et autres kelbalouz ornent les tables durant ces soirées ramadhanesques. Après ce court moment de retrouvailles, chacun choisit sa destination. Les gens n’ont pas l’embarras du choix mais à chacun ses habitudes. Si ce n’est pas à la mosquée pour faire la prière de Tarawih, c’est dans un cybercafé pour se connecter. Si ce n’est pas dans un café maure pour jouer aux cartes et aux dominos, c’est dans un café voisin pour jouer au loto.

Le soir au café, on joue au loto

Mais de toute ces destinations, celle de la cafeteria réservé au jeu de loto semble la plus prisée. Généralement dans ces lieux réservés à ce jeu de hasard, c’est à partir de 20 h, que la soirée d’adrénaline débute. Mais avant il faut que l’ensemble des cartons soit épuisé et que les habitués soient au rendez-vous. Une soirée qui continue jusqu’à une heure très tardive, ou parfois très matinale (jusqu’au lendemain matin). D’habitude dans ce genre d’endroit, alors que les clients sirotent des boissons offertes par le patron en récupérant au passage leurs cartons numérotés (3 cartes, 6 cartes parfois), les personnes qui travaillent dans la salle s’activent afin de mettre tout en place ; tables, chaises sont rapidement installés. 20 h : Une personne appelée “tireur“ s’installe devant le comptoir et prend place et invite les présents à se préparer avant qu’il ne commence à dicter les numéros (de 1 à 99) qu’il extrait aveuglément dans un sac. Il ne reste que quelques minutes. A peine les clients, dont le nombre varie entre 30 et 50 par salle, installés, les garçons de salle font le tour des tables et encaissent l’argent, c’est-à-dire, une somme fixée habituellement entre 10 DA, 50 DA dans certains endroits. Et c’est le prix à payer par chaque joueur à la fin de chaque manche de jeu (cette dernière se termine en moins de 5 minutes et c’est l’un des joueurs qui ramasse généralement le pactole ou la mise (L’kina en kabyle) laquelle s’élève à 200 DA parfois plus. Durant la même soirée, entre 20h 30 et 4 h du matin, on peut jouer jusqu’à une centaine de manches comme celle qu’on vient de décrire. Le loto est un jeu de hasard prohibé très répandu en Kabylie et qui se joue que durant le mois de ramadhan. Dans cette région, les amateurs du jeu ne gagnent pas une fortune en jouant au loto et ne perdent pas pour autant de grosses sommes. Cependant, les personnes au chômage et aux faibles revenus ont tout à perdre en s’adonnant à ce jeu car ils perdent chaque soir la moyenne de 1000 dinars. Alors qu’à l’intérieur de ces cafeterias c’est le silence radio, dans les rues peu

éclairées, on dirait un vrai souk. Les odeurs de la cuisson qui émanent des gargotes et fast-foods improvisés à l’occasion du ramadhan se mêlent aux odeurs des gaz d’échappements. Les klaxons des véhicules se mélangent avec les cris des enfants qui courent dans tous les sens. Mais à partir de 22h et au fil des minutes qui s’égrènement, la foule commence à se disperser et à devenir de moins en moins compacte. Dans une demi-heure, les routes seront presque vides et seulement les jeunes habitués de la vie nocturne resteront jusqu’à l’aube. Le lendemain sera à l’identique de cette journée, et ce jusqu’au jour de l’Aïd.

Djamel M.

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