Entièrement dédié aux arts et à la modernité, Riadh El Feth était un projet de conception canadienne commandé par le… Shah d’Iran qui, rattrapé par la révolution khomeyniste, n’a pas eu le temps de le réaliser à Téhéran. La maquette a donc sommeillé dans les tiroirs pendant des années avant d’être ressortie au début des années 80 pour l’Algérie. Chadli Bendjedid, fraîchement porté aux affaires, faisait feu de tout bois pour marquer sa différence avec son prédécesseur en multipliant les “initiatives d’ouverture”. Souvent velléitaires, les “preuves” de sa différence n’en constituaient pas moins les gages de sa volonté d’inaugurer une ère nouvelle dont cet espace était envisagé comme le plus flamboyant des symboles. Une fois inauguré, Riadh El Feth était différemment apprécié. Les plus démunis d’entre les Algérois qui venaient, à l’instar des autres Algériens, d’entrer dans une phase de désarroi social après des années de factice prospérité, ont convoqué le génie populaire pour désigner avec de succulents quolibets ce sanctuaire imposant, singulier et surtout inaccessible. La jeunesse dorée et des “résidus” d’une classe moyenne à qu’il restait encore quelques illusions s’en donnaient à cœur joie ou s’efforçaient d’y croire. Des magasins de luxe, des salles de cinéma fréquentables, des spectacles de plein air de bonne facture, des librairies, un théâtre pour enfants et enfin une… discothèque digne de ce nom. Dans la foulée, la polémique était bien sûr inévitable. Sur son utilité dans un ordre de priorité qui n’était évidemment pas le même pour tout le monde, sur sa véritable vocation et sur le mode d’attribution des espaces qui n’a pas toujours été transparent et sur lequel beaucoup a été dit. Comme chez nous le meilleur- c’est-à-dire le pire- est toujours à venir, la dégradation a commencé très vite. Les échoppes ont intégré les “normes,” les cinémas n’ont plus de clients, le Théâtre de Verdure est reconverti en boui boui pour encanaillés adipeux et la discothèque s’est alignée sur les bouges effrontément appelés “cabarets”. Et ça a essaimé. En annonçant que ces “lieux de dépravation”, pour reprendre l’expression d’un député, la ministre de la Culture veut faire œuvre de salubrité publique et restaurer ces espaces à leur vocation initiale. Si Mme Toumi ne manque pas d’arguments, elle ne doit pas manquer non plus de “supporters.” Ce sont précisément ces arguments, et un peu plus ces supporters, qui posent problème. D’abord cette propension à laisser pourrir les choses avant d’aller aux solutions extrêmes. Qu’est-ce qui, en fait, dérange dans le cas précis et d’autres similaires ? L’existence même d’espaces de défoulent qui sont autant de lieux d’expression de la vie moderne, ou alors leur état de délabrement, l’absence de contrôle, l’insécurité et la déplorable qualité de service ? La prostitution réglementée et contrôlée dans son hygiène ou les putes arnaqueuses et maquées par des flics ? Le vin destressant et convivial ou les alcools frelatés de contrebande? Il est significatif que lors de son intervention à l’Assemblé nationale sur le sujet, la ministre de la Culture ait été applaudie à tout rompre par des islamistes aux anges et des conservateurs toujours plus soucieux de la moralité de la société que de la leur. Parce que la décision de Mme Toumi peut donner des idées à d’autres, on voit bien que les mêmes actions peuvent tout à fait être mues par des motivations différentes. Déjà que le jour même à l’APN, la ministre a été interpellée sur la liberté faite à la… “chanson dépravée,” on devine que, l’appétit venant en mangeant, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. On a rarement vu “fermer une maison close !” pour en faire un atelier de peinture.
S. L.
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