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Des Kabyles, sans le kabyle

La Télévision algérienne a commencé à se moquer des Kabyles du temps où le kabyle y était banni. Les plus célèbres d’entre “les comédiens” spécialisés dans la pitrerie anti-kabyle étaient même recrutés es qualité puisqu’ils sont originaires de cette région dont la culture de l’autoflagellation est légendaire. Comme si le déni culturel et linguistique était insuffisant, il fallait donc y ajouter la culpabilisassion de la différence en montrant à l’occasion l’archaïsme et la puérilité de ceux qui s’en réclament. C’était aussi une façon cynique et arrogante de leur dire qu’ils ne sont pas au bout de leur peine et qu’ils boiront le calice jusqu’à la lie. Il n’y a pas plus humiliant pour une communauté que d’être réduite à ce que son oppresseur pense d’elle et que ce soit lui qui se charge de le dire parce qu’évidemment il en détient les leviers politiques et matériels tout en ayant main sur les espaces d’expression. Et le pouvoir l’a fait, sans état d’âme, l’œil vigilant et le sel à portée de main pour ne laisser aucun répit aux plaies béantes. “L’opium et le bâton”, l’un des plus beaux romains de la littérature algérienne, a été adapté au cinéma dans une autre langue que celle qui pouvait rendre le mieux l’atmosphère de ce village en pleine guerre de Libération, faire sentir ses palpitations les plus profondes, aller au bout de son esthétique et, par-dessus tout, rendre hommage en restituant à la mémoire les affres de sa population. Les Kabyles ne devaient pas se retrouver quelque part, et il fallait donc pousser le zèle à son paroxysme en les dépossédant même de leur histoire la plus proche. Celle qui est censée être la plus partagée de surcroît. On se souvient de l’immense frustration et des sourdes colères générées par cet épisode, mais la télé algérienne, dans le sillage des autres espaces d’expression et de création, ne s’est pas remise en cause pour autant. A chaque feuilleton, le Kabyle avait son lot d’insultes. Le plus récent est Imarat Hadj Lakhder. Diffusé en prime time, ce feuilleton est chaque jour cité en exemple pour son succès et ses records d’audience. Son Kabyle en mission, certainement issu d’un casting pléthorique et rigoureux, a tous les attributs de l’emploi kabyle, zélé dans la caricature, sûrement attardé mental à l’origine-ce qui le dispense de l‘effort artistique puisqu’il campe son propre rôle- il pourrait être le bouffon idéal pour un roitelet en déchéance. Mais ce n’est pas suffisant puisque l’auteur va plus loin dans ce qu’il veut lui faire et dire. Débile- mais ça, c’est la marque de fabrique- il est aussi le Kabyle paresseux et cupide qui vit aux crochets de son futur beau-père qui le prend entièrement en charge, lui l’arabophone pieux, généreux et moralement irréprochable. Tout au long du feuilleton, il est mis en situation de contraste avec ses deux futurs beaux-frères, beaux, perspicaces, chômeurs mais débrouillards. Analphabètes mais roublards, ils ne le supportent que parce qu’il faut bien quelqu’un à leur sœur qui n’a plus vingt ans et ne voit pas les prétendants se bousculer à leur porte. Dans son infinie bonté, le vieux beaux-père finit toujours par pardonner à son “Kabyle aliéné” les frasques les plus invraisemblables et l’arroser de sa morale sociale, religieuse et… patriotique, ce dont il est évidemment génétiquement dépourvu. On pourra toujours nous dire qu’on peut rire de tout. Mais le problème est que ça ne fait pas rire. Avec un immense talent, le regretté Hadj Abderrahmane a inventé un personnage et une langue succulents qui nous font encore rêver. Cette langue n’était pas du “jijelien” mais les habitants de cette région ont fini par s’en revendiquer, simplement parce que le génie de l’artiste ne pouvait pas les blesser. Il nous faisait rire l’inspecteur Tahar.

S. L.

Laouarisliman@gmail.com

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