Quels rôles et quel avenir pour la formation professionnelle en Algérie ?

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Les capacités d’hébergement sont de 45 000 lits, alors que le nombre d’enseignants exerçant dans ce type d’établissement est aujourd’hui de 13 400. Pour donner du sens à ces chiffres, le président a insisté sur la  » nécessité de développer le secteur de la formation dans le but de couvrir les besoins actuels et futurs de l’Algérie en matière de main-d’œuvre qualifiée « . Afin d’adapter les offres de stage et les programmes de formation professionnelle, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale et le nouveau Commissariat au Plan ont été instruits par Bouteflika pour  » identifier de manière continue les besoins en main-d’œuvre qualifiée pour chacun des domaines d’activité « . Dans le même souci de renforcer l’insertion des jeunes diplômés de la formation professionnelle dans les secteurs de l’emploi, le président de la République ordonne au gouvernement de  » veiller à ce que les diplômés de la formation et de l’enseignement professionnels soient également parmi les candidats prioritaires au bénéfice des encouragements publics à la création d’emplois, que ce soit par la voie du micro-crédit ou des aides apportées à l’agriculture et à l’artisanat « .

A l’occasion de l’examen de ce dossier par les instances supérieures du pays, l’on apprend que la prochaine rentrée de la Formation professionnelle sera caractérisée par le relèvement à 80 du nombre de formations manuelles offertes. La réunion a aussi eu à aborder le sujet de la formation continue des travailleurs, parent pauvre de la formation en Algérie. 192 000 travailleurs ont subi ce genre de formation spéciale et, d’après le programme tracé pour les prochaines années, cent mille autres travailleurs vont en bénéficier.

L’on ne peut focaliser les regards sur la réhabilitation des valeurs du travail, l’insertion dans l’économie mondiale et la recherches de politique alternative à la rente pétrolière sans prendre en compte le volet de la formation qui est considérée aujourd’hui de par le monde comme une condition sine qua non de tout progrès économique et social.

Dans une situation économique comme celle que traverse l’Algérie, caractérisée par une lente et laborieuse transition vers l’économie de marché, l’on ne peut s’offrir le ‘’luxe’’ de continuer à former des licenciés, des ingénieurs et des médecins chômeurs. Le problème se pose en termes d’adéquation entre le système d’enseignement et le marché du travail. Cette dernière notion a, il est vrai, fait défaut par le passé du fait que l’ensemble des diplômés avaient leurs débouchés pris en charge par l’État, principal employeur du pays. Les ébauches de ‘’passerelles’’ entre les différents domaines de la formation ont déjà été échafaudées en 2004 par les responsables des secteurs de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle dans des ateliers communs. Les analystes les plus indulgents ont conclu à la faillite du système de la formation professionnelle dans notre pays. Les symptômes commencent à apparaître au grand jour : les ateliers et usines privés ayant vu le jour au cours des dernières années ne trouvent pas le personnel technique et d’exécution sur le marché du travail. Les offres d’emploi par lesquelles des employeurs cherchent des ouvriers spécialisés, des contremaîtres et agents de maîtrise (charpentiers, chauffagistes, plombiers, …) traînent pendant des semaines sur les pages publicitaires des journaux sans pouvoir mettre la main sur l’oiseau rare. C’est que depuis longtemps, la formation professionnelle est vue par la société et même par les pouvoirs publics comme « simple réceptacle des exclus du système éducatif  » (telle que vue par Abdelaziz Belkhadem, alors Premier ministre, lors d’un séminaire sur la formation professionnelle en 2007).

Un simple exutoire en attendant mieux ?

Au lieu qu’elle soit un choix dicté par les préférences d’un cycle court ou par des prédispositions et aptitudes particulières- comme cela se passe dans les autres pays du mode-, la formation professionnelle est vécue plutôt comme un moindre mal par rapport à l’exclusion scolaire et un morose stand-by avant le service national et l’âge adulte. Il faut dire aussi que cette médiocrité et cette faillite sont les conséquences d’un système rentier qui avait plutôt besoin d’un personnel docile que d’un personnel qualifié. Aujourd’hui, les données sont en train de changer radicalement. Face à une vague sans précédent de techniciens, personnels d’exécution, cadres et même ouvriers étrangers ramenés ou recrutés par les sociétés étrangères travaillant en Algérie (chantiers des bâtiments, de l’autoroute, des barrages, du tramway,…), les responsables de la formation sont plus que jamais interpellés pour révolutionner le secteur par de nouvelles méthodes de formation et une nouvelle pédagogie qui allient la nécessité de qualification aux besoins de l’économie nationale. Le nouveau patron ne se souciera plus d’une façon obsessionnelle du ‘’papier-diplôme’’ de son employé, mais, comme disent les Américains, de ‘’ce qu’il sait faire avec ses dix doigts’’.

Les analystes nationaux et les institutions financières internationales ont acquis la conviction que l’Algérie bénéficie actuellement de circonstances financières exceptionnellement favorables pour relancer son économie sur une base plus juste et plus rationnelle. Les rigueurs de l’orthodoxie financière- issue des conditionnalités du rééchelonnement de la dette extérieure au milieu des années 1990- et l’envolée des prix du pétrole qui ne s’est pas démentie depuis presque deux ans sont indubitablement des facteurs encourageants pour sortir de l’underground de l’informel et pour encadrer les nouvelles transformations économiques dans le sens de meilleurs investissements créateurs d’emplois, de pertinentes lois sociales libératrices d’initiative et porteuses de dignité humaine et, enfin, de développement durable où l’homme et son milieu seront invités en vivre en parfaite symbiose.

Des passerelles pour la formation

Les nouveaux horizons qui se dessinent partout dans le monde pour les réformes de l’enseignement ne s’embarrassent plus d’a priori idéologique ou d’inutiles chapelles qui ont fait les dégâts que l’on sait dans l’école algérienne. Le souci majeur étant aujourd’hui de former les techniciens et les cadres dont aura besoin l’économie nationale dans quelques années, économie soumise à rude épreuve par les impératifs de productivité, d’efficacité technique et d’innovation ainsi que par la mondialisation des échanges de plus en plus offensive. Pour réussir un tel pari, les réformes de l’enseignement ne pourront plus se limiter aux établissements gérés par le ministère de l’Éducation (école primaire, CEM et lycée), mais devraient englober- par une vision stratégique d’articulation et de juxtaposition des synergies-les différents secteurs qui concourent à cet objectif et l’ensemble des segments de la formation, qu’ils soient pilotés par l’Éducation nationale, l’Université, les Instituts relevant des autres départements ministériels ou par la Formation professionnelle. C’est dans le cadre de cette politique de complémentarité et d’intégration que l’Enseignement technique a fait l’objet en 2006 d’un repositionnement le faisant passer de l’Éducation nationale vers la Formation professionnelle. Cette mesure, avait, dès qu’elle a été annoncée, soulevé le courroux des enseignants qui reprochent à

M. Benbouzid un “délestage’’ qui ne dit pas son nom. Au-delà des incompréhensions et malentendus générés par cette situation- et qui trouveront leur solution si toutes les parties sont réellement animées de bonne foi-, les connexions entre l’enseignement général et l’enseignement technique sont partout aujourd’hui la règle.

Quel personnel pour le monde su travail ?

A l’occasion de la rentrée de la formation professionnelle de l’année dernière, l’opinion et les médias ont pris connaissance de l’évolution quantitative d’un secteur considéré comme étant au cœur des réformes économiques par la nature et les performances de la ressource humaine qu’il mobilise. En effet, l’effort de la collectivité a hissé la Formation professionnelle en un secteur stratégique de premier plan. Le ministre en charge de ce département, El Hadi Khaldi, révéla, au cours de son passage au forum d’El Moudjahid, le chiffre de la croissance des capacités d’accueil des différents centres du pays. Par rapport à février 2007, l’offre en formation professionnelle a progressé de 19%, atteignant ainsi, pour l’ensemble du territoire national et toutes formules confondues, quelque 188 000 postes. Il demeure évident que l’offre, particulièrement dans un domaine aussi sensible et aussi délicat que la formation, ne saurait se réduire à la seule infrastructure, à la bourse ou au pensionnat. L’offre, c’est aussi et surtout le niveau de formation, son degré d’insertion dans le monde du travail et les moyens pédagogiques mobilisés pour ce grand dessein. N’avons-nous pas vu des ateliers d’apprentissage électronique complètement dépourvus de matériel adéquat ? L’administration publique n’emploie-t-elle pas des agents de saisie et des informaticiens qui découvrent pour la première fois la forme de l’écran d’ordinateur ?

Le ministère de tutelle a établi ces chiffres de la croissance de l’offre sur la base des propositions des différents acteurs au niveau des wilayas (entreprises, administrations, artisanat,…). Cela permet, en premier lieu, de cerner les besoins réels de différents corps de métiers, et ensuite de cibler les qualifications appropriées. Ambitieux projet si l’en est. Cependant, si, jusqu’à ce jour, la formation professionnelle en Algérie n’a pas bénéficié des avancées et performances telles qu’elles sont vécues en Europe ou en Amérique du Nord depuis près d’un siècle, la faute ne revient ni aux candidats à l’apprentissage ni aux moyens financiers, colossaux, mobilisés pour ce secteur. L’ancien système économique, basé exclusivement sur la rente pétrolière a, comme dans l’enseignement général, nivelé par le bas la connaissance et le savoir. Résultat : la critique et les griefs ne viennent pas seulement de la presse ou de la société ; ils sortent de la bouche de M.El Hadi Khaldi lui-même :  » Ce secteur offre à la société un produit périmé qui ne trouve pas d’acquéreur sur le marché du travail « .

Peut-on avoir meilleure sentence que cette formule ramassée et lapidaire par laquelle le ministre a voulu, lors de son déplacement à Ouargla en mars 2007, attirer l’attention des différents acteurs sur la décrépitude d’un secteur dont la jeunesse et toute la société attendent beaucoup de choses pour insérer, dès l’adolescence, les jeunes dans le monde du travail et de la production et leur faire éviter, du même coup, les déviations et les maux sociaux qui les guettent à chaque coin de rue. La première question qui viente à l’esprit devant une actualité problématique de la formation professionnelle est celle-ci : comment gérer cette contradiction développée dans deux déclarations du ministre de tutelle, à savoir une offre qui augmente de 19% et le caractère ‘’périmé’’ du produit qui en sort ?

En tout cas, le produit qui en sort offre une image peu adaptée aux exigences de l’économie algérienne moderne. Cette dernière, même si elle est en voie de formation, commence déjà à montrer son impatience de bénéficier des ressources humaines les plus aguerries. Ses structures (entreprises privées ou publiques, ateliers, usines, chantiers de construction) réclament des ouvriers spécialisés, des conducteurs de travaux, des charpentiers,…que le secteur de la Formation professionnelle n’a pas su mettre à leur disposition, du moins en qualité et en nombre suffisants.

Des dispositifs d’ “emplois’’ peu efficaces

L’angoisse et le désarroi de la catégorie des jeunes cadres embauchés par le moyen du dispositif Pré-emploi n’ont d’égal que l’immense espoir qu’on leur avait donné à la veille de l’élection présidentielle d’avril 2004 lorsque les directions de l’Emploi des wilayas ont affecté un ‘’contingent’’ de plus de 45 000 universitaires aux structures administratives, services techniques et entreprises avec des salaires oscillant entre 6 000 et 7 000 DA. Une autre vague rejoignit la première au courant de 2005. Une véritable impasse se dessine, à chaque fin d’échéance de contrat (c’est-à-dire deux ans) à une catégorie d’employés dès qu’ils commencent à maîtriser les premiers éléments de travail et de gestion dans une conjoncture où l’administration publique se trouve franchement débordée par l’ampleur des projets de développement qu’elle est appelée à mettre en œuvre. Le dernier Plan de soutien à la croissance économique doté de quelque 150 milliards de dollars n’en est pas des moindres. Un grand nombre de cadres pré-emploi ont apporté un certain savoir-faire dans les structures où ils sont affectés. Les renvoyer demain sans autre forme de procès, c’est certainement ouvrir la voie vers une incommensurable dérive. L’on se souvient de la mauvaise blague du ministre de la Solidarité par laquelle il voulait destiner ses universitaires après la fin de leurs contrats à la gestion des vespasiennes publiques. On a beau se gargariser des micro-entreprises que certains de ces cadres ont pu mettre en place par le moyen du dispositif de l’ANSEJ, la réalité est là : d’abord, cela représente une goutte d’eau dans l’océan du chômage ; ensuite, le peu d’unités créées se sont enlisées dans d’inextricables problèmes de dettes vis-à-vis des banques à tel point que certains gérants ont fini par baisser les bras.

Le nouveau contrat d’emploi

Au printemps dernier, et pour la première fois depuis que les dispositifs sociaux de création d’emplois ont été mis en place (Filet social, Emploi de jeunes, Pré-emploi), le gouvernement a pu se rapprocher de la formule la plus raisonnable et la plus efficace en matière de préparation des jeunes diplômés au monde du travail, et cela en adoptant un projet de décret relatif à l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Ce schéma, en vigueur dans la plupart des pays développés touchés par le phénomène de chômage, a été présenté par le ministre du Travail et consiste en un contrat de travail liant un diplômé à un employeur dans lequel l’État interviendra par le financement d’une partie du salaire. Contrairement à la politique suivie jusqu’à ce jour par le dispositif pré-emploi- où l’État paye la totalité d’un salaire de misère pour un poste qui disparaît en deux ans de contrat-, le nouvel instrument réglementaire encourage l’employeur à embaucher des diplômés du fait qu’il ne leur payera qu’une partie du salaire, l’autre partie étant réservée à l’État. Ce dernier se désengagera progressivement de cet accompagnement (45% de participation la première année, 40% la 2e année et 30% la troisième année) avec garantie de couverture sociale et réduction de l’IRG. Sans qu’elle puisse se substituer à une politique d’investissement basée sur la stratégie d’entreprise, cette formule contribuera, à coup sûr, si elle est délestée des carcans bureaucratiques et des habitudes de népotisme, à réduire notablement le chômage et à donner des chances aux jeunes diplômés de se déployer dans le monde du travail avant que le désespoir et le nihilisme n’investisse leur cœur.

Le chapitre épineux de la gestion du dossier de l’emploi dans notre pays ne constitue que la partie visible de l’iceberg. En effet, la relation intime et dialectique entre la formation et l’emploi n’a pas encore bénéficié de l’attention voulue des pouvoirs publics de façon à rationaliser et harmoniser le rapport entre la qualification et le background universitaire d’une part et les besoins d’une économie émergente d’autre part. Néanmoins, l’engagement de l’Algérie dans l’économie de marché- supposant compétitivité, performance et management moderne- ne peut souffrir davantage les atermoiements d’un système scolaire et universitaire qui forme des chômeurs en puissance.

Le marché du travail souffre des incohérences de la formation

Tout le monde a pu remarquer le nombre d’offres d’emploi publiées en vain quotidiennement dans les journaux et qui s’étalent parfois sur plus d’une semaine, annonces faites par les nouvelles entreprises à la recherche d’une main-d’œuvre qualifiée, d’agents de maîtrise et de cadres compétents. La particularité du chômage en Algérie est le fait qu’il soit lié à un déficit de qualification et de compétence. Là, apparaît également la faillite de la formation professionnelle qui n’a pas su s’élever au diapason des défis de l’économie moderne. Il n’y a pas lieu de se faire trop illusions sur l’absorption du chômage par les entreprises étrangères qui investissent dans notre pays avec le seul argument que la main-d’œuvre algérienne est à bon marché par rapport à l’exigence salariale des travailleurs européens.

Cela ne peut devenir une réalité tangible que si nos ouvriers, agents d’exécution et cadres arrivent à s’imposer par la compétence et l’efficacité. Malheureusement, le nivellement par le bas généré par une économie rentière- qui, il faut bien se l’avouer, n’avait besoin d’aucune qualification particulière- a fait beaucoup de dégâts dans les systèmes scolaire et universitaire. La formation professionnelle qui, à travers tous les pays à économie performante, répond à des soucis de maîtrise de postes de travail bien précis et spécifiques au sein des unités de production et des ateliers, a été malheureusement ravalée chez nous pendant des décennies à une simple ‘’salle d’attente’’ où les jeunes, recalés du système éducatif, rongeaient leur frein en attendant souvent la mise en chômage.

Les diplômés de l’université ne sont pas logés à meilleure enseigne. Dans un contexte de compétitivité qui, aujourd’hui, n’offre de place que pour la compétence, le plein emploi est une simple vue de l’esprit. Ce ne sera que par le moyen d’une formation performante et adaptée aux besoins de l’économie moderne que ces deux secteurs- formation et emploi-pourront convoler en justes noces.

Amar Naït Messaoud

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