« J’espère apporter quelque chose au judo algérien »

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La Dépêche de Kabylie : Après un certain recul, que pensez-vous de la participation algérienne aux JO en général et du judo en particulier ?

Mohamed Bouheddou : Je pense que la participation des Algériens dans tous les sports était très respectable et très honorable à partir du moment qu’on ne peut pas être fort dans toutes les disciplines.

La force de l’Algérie était l’athlétisme,la boxe et le judo alors que pour les autres sports leurs qualifications est déjà une performance ; les minimiser serait un coup fatal à ses jeunes athlètes surtout en haltérophilie ou en cyclisme.

Au lieu de demander pourquoi ils n’ont pas de médailles, moi je pense qu’on doit poser une question : “Pourquoi les autres disciplines ne sont-elles pas qualifiées ?”

On ne doit pas juger les disciplines qui ont pu atteindre la qualification avec leurs sueurs et des sacrifices : il y a d’autres disciplines qui ne sont pas qualifiées alors qu’ on oublie toujours ça, et c’est très important.

Pour le judo, c’est un résultat historique, il était toujours à une marche du podium depuis 3 ou 4 olympiades. Cette année on a pu avoir deux médailles, pour moi c’est un très bon résultat qui va avec l’objectif tracé par la famille du judo. Cette moisson de médaille est le résultat de toute la famille du judo, c’est grâce à la stabilité du staff technique, administratif et des élus qu’on a eu ces résultats.

Quel est votre avis sur les deux athlètes médaillés ?

Disons que je fais partie de la famille du judo et je suis très fier d’avoir les deux médailles. Benyekhlef, que j’ai l’honneur de diriger dans la catégorie des cadets et juniors, à cette époque déjà il avait démontré qu’il pouvait aller tres loin ; je suis plus fière de Soraya, c’est une athlète que j’ai pris dans la catégorie cadette ; jusqu’à ce jour, j’essaye toujours d’être présent dans son parcours et de tout ce qui entoure le judo ; j’essaye de collaborer, et d’être présent quand il faut ; j’étais son entraîneur dans mon club, la JSEK ; c’est une fierté en tant que judoka et entraîneur ; je me sens comme son grand frère. Si elle a pu avoir cette médaille, donc elle a atteint ce niveau et si elle atteint ce niveau donc elle possède du talent et a beaucoup travaillé. Elle se donne à fond et elle est concentrée sur son sujet, c’est une athlète qui n’est pas perturbée et à ce niveau de compétition il faut avoir un moral d’acier : c’est une sportive qui mérite cette distinction.

Un commentaire sur l’accueil des autorités locales réservé à la championne ?

Je suis encore très fière de la famille de Béjaïa, surtout la population de Béjaïa qui était reconnaissante par rapport au travail et à cette médaille.

A deux reprises on était reçu par les autorités locales et à leur tête le wali ; je confirme que le wali de Béjaïa a estimé à sa juste valeur cette médaille ; je ne sais s’il a fait du sport mais je le remercie pour sa sportivité, sa simplicité et son amabilité ; il a fait son devoir de premier responsable de la wilaya ; même Soraya, par ses gestes et les mots qu’elle choisis, est très fière de représenter toujours la wilaya de Béjaïa car elle défend toujours les couleurs du club d’El Kseur.

Les responsables du pays ont-ils été à la hauteur de la performance ?

Je crois que cette fois je peux dire qu’ils sont à remercier : les deux athlètes ont été reçus par le ministre de la Jeunesse et des Sports. Le comité olympique algérien (CAO) a été à la hauteur lors de la réception organisée à l’hôtel militaire de Beni Messous ; vraiment je suis très satisfait pour les récompenses et très content pour ce geste.

Il ne faut pas oublier aussi de féliciter tous les sponsors et les différents ministères qui ont été à la hauteur de l’événement. Je peux dire que toutes les promesses d’avant Pékin ont été tenues ; tant mieux pour les athlètes et pour nous. Il y a aussi Oueld Abbas, ministre de la Solidarité, qui viendra à Béjaïa pour la récompenser.

Quelles sont les raisons de la déroute de l’athlétisme par exemple ?

On ne change pas d’équipe et de commandant de bord à une année des Jeux olympiques ; ça s’est passé en athlétisme et en boxe où les présidents ont été limogés à cause de problème de prérogatives, c’est tout à fait normal et les résultats de ses disciplines sont là. Il faut laisser la gestion des associations et des fédérations pour les concernés et à la famille de la discipline.

Le Comité olympique international et les Fédérations internationales luttent depuis 15 ans, exigent et font tout pour ne pas avoir d’ingérence dans les affaires des associations ; il savent que toute ingérence dans le sport est très néfaste ; c’est pas pour toucher x ou y, je le dis en tant qu’acteur du sport algérien

Ça fait 15 ans que j’active en tant qu’entraîneur des équipes nationales, je pense que le plus grand problème du sport en Algérie c’est cela ; il faut laisser les gens de l’athlétisme décider de leur avenir, du judo et la boxe aussi ; l’Etat est là pour veiller au respect des lois du sport et elle intervient conformément à la réglementation, il n’y a que les gens de terrain et qui travaillent dans la discipline qui peuvent juger la personne. Je pense que la déstabilisation n’amène rien malgré qu’on puisse décrocher une médaille par chance. Pour les disciplines de la boxe, d’athlétisme et de judo, qui ont le niveau mondial, je pense qu’on ne peut rien faire en 1, 2 ou 4 ans. Si en 4 ans rien n’a été fait c’est à la famille de la discipline concernée de faire les changements

Il ne faut pas trop exiger quand la déstabilisation a atteint le sommet et que les structures des fédérations changent 3 ou 4 DTN et autant d’entraîneurs dans un même mandat olympique.

L’athlétisme et la boxe ont été très proches des médailles, il suffit qu’ils gagnent un combat pour décrocher une médaille

Revenons à vous. Quel est votre parcours d’entraîneur ?

J’ai commencé en 1993 avec l’équipe nationale des cadets jusqu’à 1996 où j’ai pris les juniors, et depuis 2000 j’occupais le poste d’entraîneur des seniors dames jusqu’à 2006 avant d’aller au Qatar. J’ai arrêté en Algérie car les responsables du judo du Qatar n’ont pas cessé de me solliciter depuis longtemps pour prendre l’EN seniors.

Ce n’était pas possible en 2003 et aux JO de 2004 où l’on a raté une médaille de Soraya à 3 secondes de la fin du combat. J’ai essayé de reporter ça jusqu’à 2005 au championnat du monde avec la médaille de Soraya et la troisième place par équipe, et je me suis dit : “Il faut aller”.

Existe-t-il d’autres raisons qui ont poussé Bouheddou à opter pour le Qatar ?

Pour être honnête, c’est des raisons familiales parce qu’en 13 ans d’entraîneur national, du point de vue sociale je suis resté au même niveau que le premier jour où j’ai commencé ; il fallait aussi que je pense un peu à mon avenir et celui de mes enfants ; j’étais très fatigué. Je faisais aussi chaque week-end Alger-Béjaïa, et les autorités ne peuvent pas m’assurer un logement à Alger parce que les équipes nationales s’entraînent à la capitale.

J’ai répondu favorablement à cette offre afin de me rapprocher plus de ma famille car au Qatar je vis avec ma famille à quelques centaines de mètres du dojo national.

Dans quelles conditions vit Mohamed au Qatar ?

Je suis dans de très bonnes conditions matérielles et sociales où j’entraîne les juniors et seniors hommes.

Je collabore toujours avec la fédération algérienne ou je suis conseiller technique.

On travaille avec l’entraîneur national seniors et l’on réalise ensemble la conception du programme avec celui du Qatar pour qu’on soit ensemble dans la préparation ; j’ai fait beaucoup de stage en Algérie et les Algériens viennent aussi au Qatar pour travailler sur l’infrastructure dont dispose ce pays, ils sont mis dans de bonnes conditions pour faire des stages de haut niveau.

Quel est le niveau du judo qatari ?

Le judo au Qatar a un niveau très modeste, on profite pour progresser. La fédération qatarie n’a que 6 ans d’existence, on a beaucoup progressé ; déjà, en 2 ans on a pu atteindre certains niveaux.

On a un athlète qui s’est classé 3e au championnat d’Asie en cadet, une athlète championne arabe juniors et le plus important c’est au niveau du championnat du Golf où on a fait des résultats encourageants.

Depuis la création de la fédération, aucun entraîneur n’est resté plus d’une année, il y avait un Russe et un Autrichien et je suis le seul qui est resté aussi longtemps.

Vous assistez toujours les judokas algériens. Non ?

J’ai été toujours présent à toutes les compétitions internationales même si le Qatar ne participait pas.

J’étais au Jeux africains d’Alger, au Championnat d’Afrique qualificatif aux JO à Agadir et au Championnat du monde au Brésil ; je n’ai pas quitté le judo algérien tant que la fédération et les athlètes me le permettent ; j’essaye d’apporter un détail, un petit plus, parce qu’à ce niveau c’est le petit détail qui fait la différence. Peut-être que je suis encore beaucoup plus proche de Soraya Haddad en tant entraîneur car depuis que je suis au Qatar elle est venue 5 fois et elle est partie avec l’équipe nationale du Qatar au Japon à deux reprises : 2006 et 2007.

Même la Fédération du Qatar recevait Soraya avec les honneurs ; j’ai reçu beaucoup de messages de félicitations de leur part après la médaille.

Les Qataris l’estiment bien par rapport à son comportement et son éducation et c’est à ce titre que j’étais présent aux JO de Pékin comme entraîneur particulier. J’essaye de faire quelque chose aussi avec l’entraîneur national, qui est une veille connaissance car on a travaillé ensemble depuis plusieurs années, j’espère qu’avec ma modeste contribution j’apporterai quelque chose au judo algérien

Quelle est la différence en judo, du point de vue moyen, entre l’Algérie et le Qatar ?

L’Algérie dispose d’athlètes qui sont très disposés à faire ce sport par rapport à l’esprit et la mentalité algérienne et méditerranéenne, surtout concernant les filles. Vous savez que la femme algérienne — et de tout le temps — a été combattante, comme Hassiba Ben Bouali, Kahina et Fatma Nsoumer ; je pense que si l’on encourage et l’on prend en charge le sport de combat en Algérie, surtout chez les filles, on peut aller très loin. C’est très important, chaque pays a sa spécificité : la Jamaïque en athlétisme, l’Éthiopie en sport d’endurance et l’Amérique qui est cosmopolite.

Êtes-vous partant pour une troisième année de suite au Qatar ?

Pour le moment je suis là-bas, le ministre du MJS a refusé de nous renouveler le détachement dans le cadre de la coopération, on essaye de rentrer et trouver une autre solution. Je vais rentrer et voir ce qui est utile car je suis fonctionnaire du MJS, j’espère qu’on trouvera une solution.

Si la fédération vous sollicite pour un poste d’entraîneur, quelle sera votre réponse ?

Je ne pense pas pour le moment ; le sport et le judo algérien sont un grand point d’interrogation dans 3 mois avec le renouvellement des fédérations.

Dans 3 mois je ne sais qui va être là bas, si on me sollicite en tant qu’entraîneur tout dépendra de l’équipe qui sera en place. Ça fait 13 ans que je suis avec Meridja, c’est un ancien athlète international, quelqu’un qui communique, il a l’autorité dans la fédération, maintenant c’est valable pour les entraîneurs qui sont sur place. La famille du judo est très inquiète de la situation, je ne sais pas, je suis contre le changement des équipes qui gagnent, le judo algérien est au début de son commencement. Disons que ça va commencer, je côtoie les athlètes et les gens qui ont fait des résultats, ils sont très inquiets. Je les côtoie quotidiennement, surtout que Meridja pour eux est un grand frère, un père mais ça reste un point d’interrogation, j’espère qu’il y aura des gens qui auront des capacités.

Quel est le mal du sport algérien en général ?

Le véritable mal du sport algérien est l’instabilité : changer la fédération tous les 4 ans. Et quand on sait qu’un bureau ou un président de fédération n’a pas de compte à rendre car dans 4 ans il va partir… Au niveau des instances internationales, quel est le cadre algérien qui peut postuler à un mandat international quand il n’est même pas connu chez lui ? S’il n’y a pas de changement dans les statuts de la fédération, on fera un grand pas en arrière ; je le dis sans entrer dans les considérations politiques, s’il n’y a pas de changement et si les choses restent comme ça dès demain tous les nouveaux dirigeants qui viendront, avant d’arriver à 2 ou 3 ans, si y aura beaucoup de problèmes d’interférences, de prérogatives du DTN ou de la fédération, et j’espère que je me trompe.

Je vous laisse le soin de conclure…

J’espère que les médailles vont apporter quelque chose pour le judo puisque je suis à la Dépêche de Kabylie, un grand club de judo des Ouadhias qui a commencé dans une baraque en zinc, beaucoup d’athlètes champions d’Afrique sont formés tels Mekli, Alili, Ouardane, Latrous, et par malheur jusqu’ aujourd’hui la section des Ouadhias s’entraîne encore dans une salle en zinc et sur un tatami en bâche. Logiquement, là où il y a un pôle de développement il faut donner les moyens.

Qu’est-ce que va coûter un dojo de 10 sur 15 m qui peut contenir jusqu’à 300 jeunes ? C’est un exemple pour dire que maintenant le judo a prouvé à l’échelle nationale et il faut mettre les moyens il faut attendre 2007 pour que la fédération dispose d’infrastructure d’entraînement tel le dojo attribué y a 2 ans de ça, mais il n’y a pas que l’EN, il faut aussi aider les équipes de wilaya et les équiper en tatamis. En 1998, notre club d’El Kseur avait jusqu’à 2 millions de dinars comme subvention et 10 ans après et avec les titres internationaux, nous avons entre 50 et 60 millions de centimes toutes subventions confondues. La seule récompense que je peux offrir pour les seniors dames de la JSEK, est de les inviter au Qatar en leur assurant les billets d’avion et l’argent de poche : le club n’a pas de moyens. Soraya, comparativement à ses collègues du Mouloudia, avait un contrat moral ; elle a continué à se sacrifier car elle a été formée par El Kseur, Avec la nouvelle politique des autorités, elle continuera à défendre les couleurs de la JSEK bien qu’elle ait décidé que les JO seront la dernière compétition avec le club.

Je pense que les 2 dernières semaines l’approche des responsables est positive par rapport à ça, donc elle ne changera pas de club et continuera à représenter la JSEK et Béjaïa au niveau national et international.

Je suis les résultats de mon club ; je me déplace même au championnat d’Algérie pour suivre mes athlètes. Ce n’est pas parce que Bouheddou est partie que tout va tomber à l’eau ; mais au contraire je suis très content car les responsables m’ont toujours ouvert la porte pour apporter quelque chose pour le judo algérien.

Propos recueillis par Zahir Hamour

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