A Biskra, ce sont six citoyens qui ont été condamnés à quatre ans de prison et cent mille dinars d’amende pour délit de “mangeage” de Ramadhan, pour reprendre la sympathique formule utilisée par un confrère sportif juste après leur arrestation. L’autre confrère d’El Watan, qui rapporte le verdict du tribunal de Biskra nous donne, en plus de la décision de justice, une autre information et un commentaire. “L’info” c’est que “la plupart des Biskris” sont contents de la dureté de la sentence parce que, dit-il, elle (la condamnation) “donne l’occasion de donner l’exemple et de redresser le tort causé aux sentiments religieux de la population.” Comme il ne nous vient pas à l’esprit que notre confrère, qui n’a pas utilisé de guillemets, a pris sur lui le ou les commentaires qui ont accompagné l’information, il devient donc évident que “le mangeage de Ramadhan” n’étant pas un délit expressément stipulé dans les textes de loi, il faut bien trouver quelque artifice juridique qui permette de laver l’affront subi par la population dans sa foi. Mais voilà. Aucun Biskri, jusqu’à preuve du contraire n’a déposé plainte ou demandé réparation pour sévice moral. C’est donc bel et bien le ministère public qui s’est autosaisi, comme c’est le cas dans tous les cas similaires d’inquisition “légale.” La descente de police, qu’elle ait été actionnée à distance ou le fait de fonctionnaires zélés aura encore été suffisante pour aboutir au châtiment exemplaire. Mais le meilleur -ou le pire- dans cette affaire n’est pas dit. Les mis en cause, qui ont cassé la croûte dans un coin tout près du siège du club de foot local ne se sont pas laissé faire. Non seulement ils n’ont pas adopté le profil bas de ceux qui ont quelque chose à se reprocher. Ils n’ont expliqué “leur geste” ni par des problèmes de santé ni par les vicissitudes de la marginalité. Ils ont revendiqué leur liberté de conscience et ce qui ne gâte rien, elle est théoriquement consacrée par la Constitution. C’est à ce titre qu’ils se sont défendus. Cela a accentué l’embarras de leurs inquisiteurs qui ne comprennent pas une telle outrecuidance. Ils attendaient au moins des excuses qui auraient suffi à leur bonheur et à la libération des casseurs de Ramadhan égarés. La loi, surtout quand elle n’existe pas, peut se passer de sa rigueur et dans le cas précis son élasticité a été prouvée de la façon la plus flagrante. Pour le même “délit” une trentaine de personnes a été arrêtée une semaine plus tôt et libérée de plates excuses et une déclaration de “repentir !” dûment signée. Parce que c’est de liberté du culte, de liberté de conscience et de liberté tout court qu’il s’agit, c’est sur ce terrain qu’on attendait la réaction de Boudjemââ Ghechir, l’honorable président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, mais c’est à la gymnastique juridique qu’il s’est invité, précisément là où d’autres veulent situer le débat. Ou l’absence de débat. Ecoutons-le : “L’interprétation du juge de l’esprit de l’article 144 bis 2 n’est pas juste. Ces personnes ont été condamnées pour s’être moquées d’un précepte de l’Islam alors que rien ne prouve qu’il s’agissait de moquerie.”
C’est de tout autre chose qu’il s’agit en effet. M. Ghechir ne croyait peut-être pas si bien dire.
S. L.