Il y a 107 ans s’éteignait Chikh Mohand, le précurseur de la pensée kabyle

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Par Abdenour Abdesselam

Bien des hommes ont marqué l’esprit de la pensée humaine dans le monde. Chikh Mohand Oulhoucine est de ceux-là. C’est un personnage qui a travaillé, sa vie durant, à offrir aux siens une langue intelligente en la dotant d’un esprit vivace. Pour le chikh, la vivacité crée des valeurs annonciatrices d’une morale qui impose d’elle-même des devoirs et des droits. Ainsi, il a socialisé la kabylité en tant que mode de pensée et de vivre. Son lieu de vocation (At Hmed à Aït Yahya) n’était pas une citadelle de la théologie comme certaines sphères de pensée veulent le falsifier. Il était le temple de la pensée kabyle qui a empêché que la langue soit abandonnée aux seuls hommes de culte. Dans ce cas de figure, elle aurait été alors enfermée sur le sacré et donc non créative. En optant à la “démocratisation” de la langue, Chikh Mohand a libéré l’initiative de la parole et partant celle de l’effort. Il a de la sorte enclenché l’influence de la raison sur les dogmes car il savait d’autant que les certitudes absolues sont des pièges abominables.

Dans le sillage de la rénovation mohandienne de la langue berbère de Kabylie, la tradition n’est plus perçue comme un écart par rapport à la doctrine religieuse. Elle devient plutôt un substrat à partir duquel on innove. Ce qui naturellement impulse un mouvement nécessaire à la dynamique de l’intelligence. Il considérait que les expériences sont des étapes nécessaires à la croissance d’esprit et que la vie était un temps d’épreuves dont il fallait s’instruire. Toute son intervention était faite du verbe et le langage réfléchi, ouvert sur la curiosité est devenu alors un langage consommable. Voilà pourquoi nous continuons à évoquer encore aujourd’hui les dits du Chikh. Si pour Jamake Highwater dans L’esprit de l’Aube : “Le langage nous permet de nous exprimer mais il fixe aussi des limites à ce que nous sommes capables de dire,” Chikh Mohand justement dépasse ces limites et va au-delà de toute préconception arrêtée des choses nommées. La langue par laquelle il a communiqué n’était pas seulement un tout-venant de mots. Il y découvre une extraordinaire liberté dont il s’est servi pour dire librement sa pensée. Parler de la pensée kabyle ne veut pas dire singularité. Par pensée kabyle, entendre un mode d’existence et de conception de la vie de la communauté en rapport, en harmonie et en accord avec le cours des évolutions de l’être et de son environnement. “Taqbaylith d swab n ddounir” disait-il. La recherche, la connaissance et la découverte sont les axes principaux de l’action de Chikh Mohand, ce qui nous permet de travailler à notre accomplissement.

Ainsi disait-il “Bedd a twalidh, Ruh a d-tawidh, Qim oulach.” N’est-ce pas que ses dits, d’une densité spirituelle et humaine immense, apportent bien de l’utilité à la pensée universelle ! Autant dire qu’il est venu à temps dans un monde encore traditionnel mais en pleine mutation.

A. A.

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