Justices

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Le problème pour les hommes en charge d’une responsabilité d’Etat, qui n’ont ni politique claire où puiser action et réaction ni repères doctrinaux qui déterminent leur pensée, est de se contredire à tous moments, sans se remettre en cause, ce qui est un moindre risque. Bien sûr, le fonctionnement à la carte ou à la tête du client peut toujours “prémunir”de la responsabilité, mais ça met parfois dans l’embarras même si nos responsables se soucient rarement de ce que ça va leur en coûter. Puisque de manière générale ça ne leur coûte rien. Déjà qu’ils ne sont jamais comptables de leurs bilans positifs ou négatifs-ils ne vont quand même pas s’encombrer en faisant attention à ce qu’ils disent. C’est le cas de Bouabdellah Ghlamallah le ministre des Affaires religieuses, interviewé hier par une consœur de Liberté. A la question de savoir s’il a été consulté ( par la justice) sur l’affaire des six personnes condamnées à Biskra pour non observation du jeûne du Ramadhan, le ministre a eu cette réponse : “ Si le procureur de la République, qui les a présentés à la justice, avait demandé mon avis, bien entendu, je lui aurais demandé de laisser cette affaire entre eux et Dieu.

Il fallait peut-être les sermonner, les convoquer et leur dire que ce, n’est pas bien de se comporter de cette manière. De là à les mettre en prison, je ne suis pas d’accord. Cette affaire est rentrée dans l’ordre sans mon intervention… Dans mon entourage certains n’observent pas le jeûne, et après?”

Dans cette réplique, M. Ghlamallah dit beaucoup de choses, aussi intéressantes les unes que les autres. La première est que le ministre aurait donc pu être sollicité pour “ donner son avis” dans un procès et qu’il l’aurait donné volontiers. Les voilà donc édifiés, les Algériens qui croyaient que la justice était indépendante et rendue conformément à la loi par les juges chargés de l’appliquer dans le strict respect de la procédure et des droits à la défense. La deuxième est que, finalement même à un si haut niveau de responsabilité, on peut se suffire d’une réaction de brave père de famille sans histoire qui “ laisse les gens répondre de leurs actes devant Dieu.”

Quant à lui, il ne répond ni comme autorité religieuse ni comme autorité politique. Au nom de la loi dont il évoque le vide juridique en la matière, il n’est pas d’accord pour les mettre en prison. Au nom de quoi, fallait-il alors les convoquer et les sermonner?

La troisième enfin est que les six interpellés ont été remis en liberté sans son intervention. On ne sait si le ministre se félicite ou se désole que l’heureux dénouement soit intervenu sans sa précieuse collaboration, mais on sait qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée de l’exclure. On savait que les “ interventions” dans les affaires de justice étaient banales et quotidiennes, mais on ne s’attendait pas à les entendre de la manière la plus nette de la bouche d’un ministre. Encore heureux que ce ne soit pas un châtiment exemplaire que M. Ghlamallah aurait recommandé au juge de Biskra. Mais le ministre du culte a vite fait de tempérer nos ardeurs quant à sa bienveillante miséricorde.

Dans le même entretien, il dit ceci: “ Il n’y a pas dans le code civil un article de loi sur lequel se baser pour condamner les non-jeûneurs. Mais la société a sa propre position sur le sujet !” En d’autres termes si la loi ne peut pas grand-chose contre les contrevenants, n’importe qui peut s’ériger en “société” et “se faire justice” en cassant du mécréant. Et ça n’émeut pas outre mesure M. le ministre. A défaut d’avoir une justice, la société peut donc la faire elle-même et c’est un ministre qui le dit.

S. L.

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