La Dépêche de Kabylie : Comme vous l’avez vu, dans ce colloque, même certains intervenants n’hésitent pas à tirer la sonnette d’alarme et parlent du risque de disparition de la langue kabyle…Youcef Necib: Ce qui induit le recul des parlers berbères, et pas seulement en Kabylie, ce n’est pas l’existence des médias modernes, c’est beaucoup plus le fait d’une scolarisation intensive qui porte les enfants à utiliser la langue arabe écrite et parlée qui fait qu’ils s’orientent beaucoup plus vers un instrument de communication plus fiable, la télévision, la radio, les journaux, les livres… Ceci fait reculer les parlers berbères. Mais de là à dire que le berbère disparaîtra, je ne le crois pas. Les Français, pendant 130 ans, non seulement n’ont pas encouragé le berbère, mais ils ont tout fait pour le faire disparaître. Je me souviens, dans mon enfance, dans une classe d’école d’un petit village kabyle, l’instituteur français faisait circuler une petite boite dans laquelle il fallait glisser une pièce de sou quand un élève osait parler kabyle. Nous étions sanctionnés quand nous parlions en kabyle. Nous n’avions le droit de parler que le français. Malgré cela, le système colonial n’a pas réussi à faire disparaître la langue kabyle. C’est vrai que les médias d’aujourd’hui n’étant pas en berbère, la tendance est d’aller vers ces médias qui offrent de la commodité, du confort, du plaisir, de la détente… et encore ! Moi, je vois la BRTV (Berbère télévision) qui a des émissions en berbère assez variées et assez riches. C’est une façon de maintenir le berbère en utilisant des moyens modernes.
Quel est votre opinion sur les livres qui sont édités en tamazight pendant ces dernières années ? ll La nouveauté en matière de production littéraire berbère, c’est que de plus en plus, on produit en berbère. On n’écrit plus seulement sur le berbère, en français ou en arabe, mais on édite des œuvres littéraires en berbère. Qu’il s’agisse de poésie, de romans ou de théâtre. A mon avis, cet élément est encourageant parce que si on donne à la littérature berbère un moyen d’expression autre que les moyens traditionnels (le proverbe, le conte, la poésie, ou la légende), il y a d’autres, créneaux qui peuvent l’aider à s’épanouir : Le théâtre, la comédie, le roman. Ces derniers peuvent aider le kabyle à s’épanouir.
Parmi les créneaux que vous citez, quel est celui qui peut permettre au kabyle de mieux se développer ?ll Je pense qu’il ne faut négliger aucun moyen, y compris le cinéma.
L’existence de plusieurs variantes de la langue amazigh pose de sérieux problèmes dans l’enseignement de cette langue. D’après vous, comment doit-être appréhendée cette question ?ll Je pense que la langue tamazight n’est pas la propriété ni des Kabyles seuls, ni des Mozabites, ni des Chaouis. C’est une donnée civilisationnelle et maghrébine depuis de milliers d’années qui appartient à l’ensemble du Maghreb. Par conséquent, il ne faut jamais focaliser sur une région. Plus on prend conscience de la caducité et de la vulnérabilité de cette langue car pendant très longtemps orale exclusivement, plus on ira sans le dire vers la définition d’un lexique commun. La chose a commencé déjà. On dit Agidid dans les Aurès, au Maroc et en Kabylie. On ira avec l’usage, vers la création de néologismes. Le rapprochement, la proximité, la communication et le fait de travailler ensemble permettent d’aller vers une certaine uniformisation du vocabulaire et vers peut-être une définition syntaxique et morphologique commune.
Est-ce que vous êtes actuellement en préparation d’un livre ?ll J’ai l’ambition de faire un dictionnaire culturel qui parte avec une entrée alphabétique sur des concepts les plus variés possibles. C’est un travail de longue haleine.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi