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Novembre

Tout est dans la posture de cette chanteuse libanaise accueillie comme une héroïne à l’aéroport international d’Alger. Artiste de troisième zone, sans rapport affectif particulier à l’Algérie, elle avait toutes les raisons d’être surprise par autant d’égards, au point de se demander ce qu’elle avait fait pour mériter l’honneur d’une invitation en grande pompe et généreusement rémunérée pour fêter le cinquante-quatrième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération. Elle ne savait peut-être pas, la pauvre, ce que ses illustres hôtes ont fait de Novembre : la fête des intrus. Elle ne savait pas qu’elle était là parce que ceux qui l’ont invitée ne devaient pas y être. Elle peut connaître l’Histoire de L’Algérie sans connaître ses histoires de célébration. Non, la belle Libanaise ignore tout des cimetières verrouillés au nez d’enfants de martyrs dédaignant les cortèges officiels pour  » oser  » un recueillement sobre et digne.

Elle ne sait pas les œillets et les chrysanthèmes arrachés de leurs mains et écrasés sur le parvis des stèles dédiées à la mémoire de leurs péres. Elle ne verra pas les visages de baroudeurs ignorés par les flonfloneurs, n’entendra pas les voix généreuses étouffées par le tapage des M’samâia révolutionnaires et camouflées par les contorsions des danseuses du ventre. Il n’y aura pour l’applaudir ni défenseurs d’idéal, ni concepteurs de projets, ni dessinateurs de trajectoire. Seulement des pitres baveux qui vont bouffer du mégaphone avant de retourner aux râteliers, des faux moudjahids authentiques escrocs et des narrateurs d’exploits factices.

La petite chanteuse libanaise repartira dans son pays sans avoir rencontré, ne serait- ce qu’un seul Algérien intéressant. Qui lui dise l’Algérie de la  » famille révolutionnaire  » effarouchée par l’existence de faux maquisards au point de lâcher les chiens contre la vérité et d’en arriver à l’ultime insulte. Avant de reprendre l’avion, elle sera, dans une suite de palace cossue, protégée contre les mauvaises rencontres. Elle ne fera connaissance ni avec un artiste insoumis et talentueux, ni avec un intellectuel éclairé qui lui proposera un autre regard sur son pays, ni un militant qui lui rappelle qu’en cette contrée, il y a d’autres raisons de combattre.

Et d’espérer. S’il y a quelqu’un pour lui dire tout ça, même après avoir repris l’avion, alors son voyage n’aura pas été vain. Même de troisième zone, la chanteuse libanaise pourrait ne pas se suffire d’une prise en charge et d’un cachet.

Il ne faut jamais désespérer d’un artiste comme on désespère de ceux qui l’invitent. Même un Premier Novembre.

S. L.

Laouarisliman@gmail.com

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